Yémen : les habitants de Ta’izz accusent les Houthis d’extorsion
TA’IZZ, Yémen – À Ta’izz, poudrière du sud-ouest du Yémen, les Houthis extorquent de l’argent à des civils suspectés d’être des partisans du président en exil Abd Rabo Mansour Hadi, ont confié à Middle East Eye des habitants de la ville.
Cela fait plusieurs mois que les habitants de Ta’izz souffrent des conséquences d’une guerre entre les Houthis et les forces loyales au président Hadi qui a réduit la ville en ruines.
La coalition menée par l’Arabie saoudite dans le but de repousser l’avancée des Houthis a récemment largué des armes pour les milices pro-Hadi dans cette ville, qui se trouve sur un axe stratégique reliant le nord du Yémen à Aden, un port clé dans le sud du pays.
Les Houthis ont mis en place des points de contrôle dans les zones de Ta’izz qu’ils occupent, et les utilisent pour arrêter les civils et vérifier s’ils sont des partisans de Hadi, ont expliqué les habitants à Middle East Eye.
Solaiman al-Maqtari, 29 ans, était au volant de son taxi au rond-point du Sofitel, dans le quartier d’Hawban, le 22 octobre vers 8 heures, lorsque les Houthis l’ont arrêté pour un contrôle.
Les miliciens du nord du Yémen ont trouvé dans la voiture 60 litres d’essence stockés dans des bouteilles, ce qui a suscité des soupçons car l’essence à Ta’izz est un bien rare.
Les Houthis ont ensuite confisqué le téléphone portable de Maqtari et ont commencé à le contrôler pour voir s’il contenait des signes d’un quelconque soutien à Hadi.
« Ils m’ont accusé de faire passer en contrebande de l’essence pour les résistants [les forces qui soutiennent Hadi] » a raconté Maqtari. « Ensuite, ils ont trouvé une photo du leader de la résistance à Ta’izz, Hamoud al-Mikhlafi, et pour cette raison ils m’ont accusé d’être un partisan des résistants. »
Maqtari affirme avoir essayé d’expliquer aux Houthis qu’il n’était pas un sympathisant des forces pro-Hadi, et que la photo de Mikhlafi avait été téléchargée automatiquement sur son portable par l’application WhatsApp.
« Mais les Houthis ont insisté à dire que j’étais un résistant et ont garé ma voiture près du check-point. Ils m’ont conduit dans leur atelier dans les parages et m’ont demandé d’attendre là-bas. Ils sont revenus moins d’une heure après avec une personne qu’ils avaient arrêtée au point de contrôle. »
À midi, a poursuivi Maqtari, il y avait trois autres personnes détenues dans l’atelier, tous des chauffeurs de taxi.
Cinq miliciens houthis sont arrivés plus tard avec un véhicule militaire et ont amené toutes les personnes détenues dans la ville d’al-Salah, à dix kilomètres de distance.
Maqtari a raconté qu'une fois arrivés à Saleh, les Houthis l'ont amené dans une grande prison improvisée, composée de quatre différentes sections : une zone pour les partisans de Hadi, une autre pour les prisonniers de plus haut rang, une troisième pour les activistes et une autre encore pour les sympathisants civils des troupes.
« Un des Houthis nous a expliqué que notre cas était simple », a expliqué Maqtari. « Il nous a dit que nous serions amenés dans la section des sympathisants [des forces pro-Hadi] et que ces prisonniers-là normalement peuvent être libérés facilement. »
« Lorsque je suis entré dans la section des sympathisants, c'était presque plein. Il n'y avait presque pas de place pour moi. Ils ont refusé de me rendre mon portable ou de me dire ce qu'il se passait. Ils m'ont seulement dit que j'étais un sympathisant [de Hadi] et qu'ils en avaient la preuve. »
Pris en otage
Maqtari a été détenu en prison durant sept jours, pendant lesquels ses gardiens houthis l'ont nourri avec du pain et de l’eau. Ils lui ont interdit de contacter sa famille pendant une semaine, puis un des gardiens houthis lui a dit de contacter un membre de sa famille.
« J'ai contacté mon cousin à Ta'izz, Yaseen, et il est venu le lendemain », a raconté Maqtari. « Je me suis rendu compte très rapidement que je n’étais accusé de rien et qu'en fait les Houthis voulaient de l'argent en échange de la libération ».
« Deux jours après, je leur ai donné 300 000 rials yéménites [1 400 dollars] et ils m'ont relâché immédiatement et rendu mon taxi. Mais ils ne m'ont pas restitué mon portable », a-t-il ajouté.
Depuis sa libération début novembre, Maqtari n’est pas retourné à Ta'izz, craignant d'être à nouveau arrêté par les Houthis. Il est resté dans son village d’al-Maqatirah, près de Ta'izz.
Les Houthis affirment qu'ils sont en train de combattre al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA), ainsi que la section yéménite naissante de Daech, et que cette lutte implique d'arrêter régulièrement des personnes et de les détenir pour mener des investigations.
« Je mets quiconque au défi de dire qu’il a été torturé en prison par les Houthis en raison de son soutien [aux forces pro-Hadi] », a affirmé à Middle East Eye Zuhair Ali, un partisan des Houthis à Ta'izz. « Nous ne torturons pas des prisonniers même s'ils sont des résistants. »
Ali a nié que les Houthis demandent de l'argent aux personnes qu'ils détiennent en prison.
« S'il y a un membre d’Ansar Allah [les Houthis] qui a reçu de l'argent pour libérer un prisonnier, cela est une honte pour cette personne et non une erreur du groupe. Des fautes sont commises partout dans le monde », a affirmé Zuhair Ali.
On ne connaît pas le nombre exact de personnes détenues par les Houthis dans la prison à l'extérieur de Ta'izz. Toutefois, le responsable d'une organisation locale de défense des droits de l'homme a affirmé qu'il y avait des dizaines de prisonniers.
« Nous n'avons pas de chiffres précis sur le nombre des détenus, mais presque chaque jour nous rencontrons des prisonniers qui quittent la ville et la plupart d'entre eux nous ont raconté qu'ils ont payé les Houthis afin qu'ils les libèrent », a affirmé Tawfeeq al-Shoaibi, juriste et directeur de l'Organisation nationale pour la défense des droits et de la liberté.
Shoaibi a affirmé que les Houthis demandaient de l'argent aux détenus pour soutenir leurs opérations militaires, n’ayant pas de sources de financement à Ta'izz.
« Les Houthis ne sont pas venus à Ta'izz légalement et ils ne comprennent que le langage de la guerre », a-t-il ajouté.
Traduction de l’anglais (original) par Pietro Romano.
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