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Yémen : les milices profitent des divisons des forces armées pour contrôler le pays

Des violences ont éclaté au Yémen ces derniers jours alors qu’Hadi s’empresse de constituer une armée pour affronter les Houthis
Les Houthis et al-Qaïda sont les deux forces susceptibles d’attiser les violences sectaires au Yémen, d'après le journaliste yéménite Mohammed al-Shaibani (AFP)

AL-MUKALLA, Yémen - Saddam al-Lahji n'arrivait pas à croire à ce qui se passait dans la petite ville d’al-Huta située dans la province méridionale du Lahj. Mercredi, une foule s’est soudainement mise à semer le chaos dans la ville en prenant d'assaut et en pillant les principales institutions du gouvernement et de la sécurité sans rencontrer beaucoup de résistance de la part des forces de l'ordre.

Les assaillants, pour la plupart des habitants locaux et quelques militants d’al-Qaïda, ont d'abord attaqué le camp central des forces de sécurité puis se sont emparés d’armes légères, de munitions et de meubles.

« Ils ont volé les ventilateurs, les chaises et les tiroirs, » raconte al-Lahji à Middle East Eye.

Ensuite, les assaillants se sont dirigés rapidement vers le siège de la police et le bâtiment de la Sécurité générale, en les saccageant comme les édifices précédents. Ils se sont engagés dans de brefs affrontements avec les gardes du palais du gouverneur et de la sécurité politique (les services de renseignement) lorsqu'ils ont fait irruption dans le bâtiment.

« Ils ont tué tous les soldats qui ont essayé de leur opposer une résistance, » explique al-Lahji. A la fin de la journée, dix soldats avaient été tués dans les assauts sur les bâtiments.

Pourquoi maintenant ?

Comme beaucoup d'autres personnes dans sa ville, al-Lahji n’est pas parvenu à trouver une explication à l'explosion de violence à al-Huta. Les forces de l'ordre et de l'armée qui ont capitulé ce vendredi avaient repoussé plusieurs tentatives de la branche locale d’al-Qaïda de s'emparer de la ville.

« Ils avaient plusieurs postes de contrôle à l'entrée de la ville. Personne n'a répondu aux appels pour défendre la ville des vandales », raconte al-Lahji.

Yasser al-Yafae, un journaliste yéménite qui réside actuellement dans la ville portuaire d’Aden, associe la soudaine escalade de violence dans le Lahj aux événements dramatiques qui ont eu lieu dans la ville limitrophe d’Aden.

Jeudi, les forces loyales au président assiégé Abd Rabo Mansour Hadi ont battu les Forces spéciales de sécurité (FSS), une unité des forces de sécurité loyale à l'ancien président Ali Abdallah Saleh, et les ont chassées de l'aéroport de la ville. Des centaines de soldats ont fui le camp des FSS lorsque les forces d’Hadi les ont attaqués à l’aide de chars d'assaut, mettant fin à une rébellion qui durait depuis vingt jours.

Yasser al-Yafae affirme que suite à l'humiliante défaite de leurs collègues à Aden, les FSS basés à al-Huta ont pris leur revanche sur Hadi en se retirant de la ville avec des armes lourdes et des soldats et en créant ainsi les conditions pour qu’al-Qaïda et les autres groupes armés puissent prendre le relais.

« Le gouverneur de la province de Lahj est un pion de Saleh. Il a passé le contrôle de la province aux militants au moment où Hadi était sur le point de le renvoyer », précise al-Yafae. Le gouverneur de la Lahj n'a pas souhaité répondre à ces accusations.

Le Yémen, un pays frappé par la pauvreté, est plongé dans une nouvelle période de turbulence depuis janvier, lorsque les rebelles houthis ont attaqué le palais présidentiel et ont forcé Abd Rabo Mansour Hadi et son Premier ministre, Khaled Bahah à démissionner. Hadi, Bahah et quelques autres fonctionnaires ont été assignés à résidence par les rebelles. Le mois dernier, Hadi a fui vers le sud et s'est installé à Aden.

Cependant, Abd Rabo Mansour Hadi a dû faire face à des difficultés majeures lorsque certaines de ses unités de sécurité se sont refusées à reconnaître son autorité et sont restées loyales à Saleh et aux Houthis.

Abdulhafed al-Saqqaf, le chef de la sécurité des FSS à Aden, a rejeté les ordres d’Hadi, en soutenant que celui-ci voulait permettre à al-Qaïda de prendre le contrôle d’Aden. Au début, Hadi semblait réticent à utiliser la force pour se débarrasser d’al-Saqqaf, mais la prise d'une partie de l'aéroport d’Aden par les forces d’al-Saqqaf a été la dernière goutte qui a fait déborder le vase.

Les analystes estiment que Saleh et les Houthis sont en train d'envoyer des troupes vers le sud afin de chasser Hadi d’Aden, après avoir échoué à le renverser à l’aide des FSS.

« Ils donnent tout leur soutien aux forces d’al-Saqqaf afin de reprendre rapidement Aden des mains d’Hadi », nous explique al-Shaibani, le rédacteur en chef adjoint de l'hebdomadaire politique al-Tagamoa. « Maintenant, ils envisagent d'envoyer des forces terrestres et d'utiliser des avions militaires pour bombarder Aden. »

Al-Shaibani affirme que Saleh s'est allié avec les Houthis pour se débarrasser de ses opposants, y compris Hadi, qui semble être conscient de la menace.

La constitution des forces

Les troupes d’Hadi, qui ont battu les forces rivales à Aden, sont constituées de centaines de membres des comités populaires de sa ville natale, Abyn, ainsi que de troupes de l’armée et de clans associés. Hadi a créé ces forces quand la tension avec les Houthis s'est exacerbée.

Selon al-Shaibani, Hadi est en train de former sa propre armée pour se protéger des deux forces principales que sont l'alliance Houthi-Saleh et les séparatistes du Yémen méridional.

« Hadi est conscient que Saleh et les Houthis n'ont rien à perdre et que c'est lui qu'ils veulent », affirme-t-il.

Entre-temps, le Mouvement méridional (connu sous le nom d’Hirak), qui milite pour la renaissance d'un Etat indépendant dans le sud du Yémen, a gagné en puissance depuis 2007.

« Les partisans du Hirak pensent qu’Hadi les a ramenés en arrière alors qu’ils étaient proches de la reconquête de leur Etat. »

Le modèle syrien au Yémen

Au moment où Hadi s'efforçait de resserrer son emprise sur le sud du pays, des violences ont éclaté à Sanaa vendredi quand un double attentat-suicide a frappé des mosquées houthies, tuant plus de cent dix personnes et blessant des centaines d'autres. L'attentat alimente les craintes quant à la possibilité d’un plus vaste conflit sectaire au Yémen, similaire à ce qui se passe en Syrie.

« Les attaques ont ciblé les plus grandes mosquées houthies du Yémen », indique al-Shaibani.

Les militants d’al-Qaïda ont menacé de combattre les Houthis, qu'ils considèrent comme des infidèles. Les Houthis et al-Qaïda sont les deux forces susceptibles d’attiser les violences sectaires au Yémen, d'après al-Shaibani.

« Ansar Allah [les Houthis] a bénéficié de l'insécurité dans le nord et Ansar al-Sharia [al-Qaïda] a tiré profit des turbulences dans le sud. »

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