Omar Barghouti : « Israël fait sous-traiter sa répression du mouvement BDS à son parrain américain »
Le 10 avril dernier, le militant palestinien des droits de l’homme et cofondateur du mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) Omar Barghouti s’est vu refuser l’accès à un vol pour les États-Unis à l’aéroport Ben Gourion de Tel Aviv, alors qu’il était en possession d’un visa américain valide jusqu’en janvier 2021.
Il devait rejoindre le lendemain un groupe d’experts à Washington, D.C., et participer à des réunions avec des décideurs, des militants et des journalistes de premier plan. Il devait également assister au mariage de sa fille.
La décision a été dénoncée par les associations de défense des droits de l’homme, qui ont évoqué une violation flagrante de la liberté d’expression.
L’American-Arab Anti-Discrimination Committee, un groupe de défense des droits de l’homme basé à Washington, l’a ainsi décrite comme un « nouvel exemple des pratiques de l’administration Trump visant à faire taire les voix palestiniennes et les défenseurs des droits des Palestiniens ».
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Face à ces critiques, le porte-parole du département d’État américain, Robert Palladino, a déclaré que les États-Unis ne refusaient pas les visas « sur la base uniquement de déclarations ou d’opinions politiques ». Il a toutefois refusé d’évoquer plus en détail le cas d’Omar Barghouti lors d’une conférence de presse jeudi et n’a pas confirmé si son visa avait été révoqué ou non.
La campagne BDS a subi de nombreuses attaques aux États-Unis au cours des dernières années, des dizaines d’États adoptant des lois interdisant aux entreprises et aux individus de boycotter Israël.
Le Congrès américain a également condamné à plusieurs reprises le mouvement et, plus tôt cette année, le Sénat a adopté un projet de loi incitant les États à interdire les entreprises qui boycottent Israël. La Chambre des représentants sous contrôle démocrate ne l’a pas encore adopté.
En août dernier, le chroniqueur de MEE Kamel Hawwash, vice-président du Palestine Solidarity Campaign (PSC), une organisation britannique qui soutient la campagne BDS, s’était lui aussi vu interdire l’accès à un vol pour les États-Unis au départ de Londres.
Middle East Eye : À votre avis, pourquoi l’accès au territoire américain vous a-t-il été interdit alors que vous étiez en possession de documents de voyage valides ?
Omar Barghouti : Cela illustre le fait qu’Israël fait sous-traiter sa répression du mouvement BDS à son parrain américain.
Aux États-Unis, sous l’administration de droite de Donald Trump, le maccarthysme refait surface et la loyauté envers Israël en est un élément déterminant.
MEE : Depuis des années, Israël est soupçonné de refuser l’entrée sur son territoire pour des raisons politiques. Cette pratique a été partiellement officialisée en mars 2017 lorsqu’Israël a adopté une loi interdisant l’entrée aux ressortissants étrangers soutenant le boycott. Pensez-vous qu’un modèle similaire soit désormais utilisé aux États-Unis pour faire taire la dissidence à l’égard d’Israël ?
OB : Cela pourrait bien inaugurer, en effet, une nouvelle phase dans la complicité des États-Unis avec le régime d’occupation et d’apartheid israélien, où l’on verrait le gouvernement américain se mettre à interdire l’entrée sur son territoire pour des raisons idéologiques et politiques, en violation des lois américaines.
Aux États-Unis, sous l’administration de droite de Donald Trump, le maccarthysme refait surface et la loyauté envers Israël en est un élément déterminant
La répression des voix pro-palestiniennes et les discours de haine à l’encontre des défenseurs de la solidarité avec les Palestiniens sont indubitablement en hausse aux États-Unis, attisés par un gouvernement anti-palestinien irresponsable qui considère le régime d’oppression et d’extrême droite israélien comme un modèle.
Toutefois, cela reflète aussi l’immense essor du soutien aux droits des Palestiniens aux États-Unis ces dernières années ainsi que l’impact croissant du mouvement BDS non seulement parmi les personnes de couleur et les progressistes en général, mais également chez les libéraux traditionnels.
MEE : L’épisode de votre refoulement semble illustrer une coopération plus forte que jamais entre les États-Unis et Israël. Pensez-vous que les deux pays partagent des informations sur des personnes jugées indésirables, par exemple ?
OB : Absolument. Après avoir complètement échoué à contenir la croissance de la campagne BDS en faveur des droits des Palestiniens, Israël et ses groupes de pression ont recours à des mesures répressives sans précédent qui, selon l’Union américaine pour les libertés civiles, « rappellent les serments de loyauté de l’époque de Mc Carthy ».
En tentant de m’empêcher de rencontrer les membres du Congrès, les médias traditionnels et divers défenseurs de la justice, y compris de jeunes progressistes juifs, Israël et ses comparses américains manifestent un réel désespoir.
En dépit de leur bruyante répression anti-démocratique et alors que le régime israélien est en train de devenir le représentant de l’extrême droite en plein essor à travers le monde, notamment des tendances fascistes que l’on peut observer de l’Europe de l’Est jusqu’au Brésil, la Palestine fait désormais partie intégrante du programme progressiste.
MEE : Vous avez fait face à d’autres restrictions dans vos déplacements à l'étranger dans le passé, le gouvernement israélien refusant de renouveler vos documents de voyage. Faut-il interpréter ces mesures comme un indice du succès du mouvement BDS, dont vous êtes l’un des plus identifiables porte-parole ?
OB : Le BDS a réussi à rallier à sa cause des Églises de premier plan, des campus universitaires, des fonds de pension, mais aussi des milliers d’artistes et universitaires ainsi que des groupes LGBTQI, entre autres.
En tentant de m’empêcher de rencontrer les membres du Congrès, les médias traditionnels et divers défenseurs de la justice, y compris de jeunes progressistes juifs, Israël et ses comparses américains manifestent un réel désespoir
Le mouvement a montré qu’il peut jouer un rôle important dans l’isolement du régime d’oppression israélien et qu’il est le moyen le plus efficace pour lutter en faveur de la liberté, de la justice et de l’égalité pour les Palestiniens.
MEE : Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a été réélu la semaine dernière à l’issue d’une course électorale serrée contre son principal rival, Benny Gantz. Que signifie cette victoire pour les Palestiniens et le mouvement civil pro-palestinien ?
OB : Israël a glissé vers l’extrême droite et des groupes politiques ouvertement fascistes sont en passe de participer au prochain gouvernement Netanyahou. Parallèlement, les crimes israéliens contre le peuple palestinien, en particulier à Gaza, se sont multipliés.
Cela présente à la fois un défi sérieux pour les droits des Palestiniens – voire leur existence, à certains égards – et une occasion propice pour exposer le vrai visage d’Israël en tant que régime d’apartheid colonial qui doit être isolé par la communauté internationale, comme l’a été l’Afrique du Sud durant l’apartheid.
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