En Algérie, des figures du régime Bouteflika condamnées à quinze ans de prison
Quinze ans de prison ferme. Le tribunal militaire de Blida, au sud d’Alger, où se tenait depuis lundi un procès unique dans les annales de la république algérienne, a rendu son verdict, annoncé ce mercredi.
Saïd, le frère et conseiller du président déchu Abdelaziz Bouteflika, Mohamed Mediène, dit « Toufik », patron des services secrets durant vingt-cinq ans (le fameux DRS, dissous en 2016), Athmane Tartag, dit « Bachir », ex-général-major et successeur de « Toufik » à la tête des « services », Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT), ont été condamnés à quinze ans de prison.
Khaled Nezzar, ex-ministre de la Défense, ainsi que Lotfi, son fils, et Farid Benhamdine, président de la Société algérienne de pharmacie, un ami commun à ces derniers avec Saïd Bouteflika, absents, car à l’étranger, ont quant à eux été condamnés à vingt ans de prison, la peine requise mardi par le procureur pour tous les accusés.
Que leur reprochait le parquet militaire, même s’il s’agit de civils comme l’ont fait remarquer certains juristes ? Essentiellement « atteinte à l’autorité de l’armée » et « complot contre l’autorité de l’État ».
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« Il y a des individus, ayant occupé de hautes responsabilités qui ont intentionnellement conspiré contre [le pays] avec les ennemis »
- Ahmed Gaïd Salah, patron de l’armée
« Il y a des individus, dans la génération d’aujourd’hui, ayant occupé de hautes responsabilités et des fonctions de gestion dans les différentes institutions de l’État, qui, sans considération ni gratitude envers la patrie, ont intentionnellement conspiré contre elle avec les ennemis », a encore répété ce lundi le patron de l’armée, Ahmed Gaïd Salah.
À ses yeux, les accusés cités plus haut ont comploté contre l’Algérie. L’affaire remonte à la fin du mois de mars : alors que des centaines de milliers de manifestants refusent un cinquième mandat à un président malade et absent de la scène publique depuis des années, le chef d’état-major Gaïd Salah, dernier pilier du système encore fonctionnel, passe à l’offensive.
Dans ses discours successifs entre fin mars et début avril, le vice-ministre de la Défense dénoncera des « réunions » tenues par « des individus connus » qui viseraient « à contourner les revendications légitimes du peuple ».
Et alors que le régime Bouteflika s’effondre le soir du 2 avril avec la démission du président impotent, Gaïd Salah poursuit ses attaques contre ce qu’il qualifie de « gang », avant de préciser ses pensées mi-avril, citant directement l’ex-patron des services secrets Mohamed Mediène : « Je lance à cette personne un dernier avertissement, et dans le cas où il persiste dans ses agissements, des mesures légales fermes seront prises à son encontre ».
Entre-temps, des révélations fusent : l’ancien président Liamine Zéroual reconnaît publiquement avoir rencontré l’ex-général de corps d’armée Mediène, fin mars, venu lui proposer de présider une période de transition, une idée de Saïd Bouteflika. Ce dernier avait même appelé l’ancien ministre de la Défense, Khaled Nezzar, pour lui demander s’il n’était pas temps de démettre Gaïd Salah.
Ces réunions et contacts ont eu lieu souvent dans une résidence luxueuses d’État sur les hauteurs d’Alger, Dar El Afia, non loin de l’ambassade de France, ce qui ne manqua pas d’ailleurs de susciter toute une paranoïa autour d’un rôle français dans ces « complots ». Louisa Hanoune, en tant que « « cheffe d’un parti agréé et députée », a assisté à l’une de ces réunions.
« Ces réunions, en pleine révolution contre Bouteflika, ne visaient pas seulement à trouver une sortie honorable au clan du président, mais plutôt à évincer, de n’importe quel plan futur, le patron de l’armée », indique un ex-haut responsable.
Entre le frère du chef de l’État et le chef de l’armée, rien n’allait. Ce dernier, refusant l’autorité grandissante du frère cadet de Bouteflika, disait n’obéir qu’à un président, celui élu et non pas le conseiller tout puissant.
Les accointances business-politique sont aussi reprochées à Saïd Bouteflika, d’où la campagne anti-oligarques qui s’est enclenchée juste après la chute de Bouteflika.
Derrière les barreaux
Arrêtés le 5 mai devant les caméras, Saïd Bouteflika, Mohamed Mediène et Athmane Tartag seront rejoints pas Louisa Hanoune dont l’incarcération a choqué l’opinion publique. Une femme politique très connue en Algérie et dans le monde derrière les barreaux d’une prison militaire !
Pour les cas de Khaled Nezzar, de son fils Lotfi, gérant d’une société de télécommunication qui vient de fermer ses portes, entrepreneur et du président de la Société algérienne de pharmacie, Farid Benhamdine, cibles d’un mandat d’arrêt international depuis août dernier (donc jugés par contumace) pour « complot contre l’État et d’atteinte à l’ordre public », il leur est reproché d’avoir été en contact avec Saïd Bouteflika.
Ce que Nezzar avait confessé par ailleurs pour son cas en mai : mais ses attaques virulentes contre Ahmed Gaïd Salah sur son compte Twitter en juillet auraient changé la donne. De témoin, l’ancien homme fort de l’armée est devenu accusé, fuyant en Espagne selon des médias locaux.
C’est donc chargé de cette ambiance lourde que le procès s’est ouvert lundi au sein du tribunal militaire de Blida. Journalistes et curieux ont été tenus à l’écart du siège de l’imposant bâtiment, seules les familles et les avocats pouvant assister à ce procès qualifié d’« historique ».
Selon les avocats des différents accusés, les demandes de report du procès, pour cause médicale pour les cas de Mediène et de Hanoune, ont été rejetées. L’ancien chef des services secrets ne pourrait plus se mettre debout, d’après un de ses avocat, Farouk Ksentini.
Saïd Bouteflika refuse de répondre au juge
Quant à l’ex-coordinateur des services de sécurité, Athmane Tartag, il a tout bonnement refusé d’assister au procès, et serait resté enfermé dans sa cellule, selon ses avocats.
« Athmane Tartag considère qu’il s’agit d’un procès injuste »
- Khaled Berghel, avocat
« Il considère qu’il s’agit d’un procès injuste », a déclaré son avocat Khaled Berghel à la presse. « La réunion incriminée est une simple rencontre entre personnes au sein d’un bâtiment civil, une entité de la présidence de la République », appuie l’avocat de la défense.
Pour sa part, Saïd Bouteflika a carrément quitté l’audience pour retourner dans sa cellule, refusant de répondre aux questions du juge, exprimant son « objection à plusieurs faits mentionnés dans l’arrêt de renvoi, liés principalement à l’accusation de porter atteinte au chef d’une formation militaire et tentative de renverser le régime illégalement ».
Il aurait également dénoncé ses conditions de détention et critiqué le fait que sa défense n’a pas eu accès à des documents versés récemment dans le dossier d’accusation.
Le procès s’est poursuivi mardi avec l’audition de Médiène et de Hanoune, ainsi que de témoins, notamment d’ex-hauts fonctionnaires de la présidence algérienne.
Mediène, dans sa déclaration face aux juges, a refusé de parler de « réunions », préférant plutôt le terme de « rencontres », selon El Watan.
L’ancien patron des services secrets avance ainsi son explication pour les poursuites dont il est l’objet : « L’ouverture par [ses] services des dossiers de la corruption et la mise en branle de la justice dans l’affaire Sonatrach à laquelle le président [Bouteflika] était opposé. Ce qui m’a coûté mon poste ».
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