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Assassinats de ressortissants britanniques par frappes de drones : Cameron suit l’exemple d’Obama

Qu’est-ce qui autorise légalement l’assassinat arbitraire d’un ressortissant britannique dans un pays étranger ?

Le monde se souviendra de George W. Bush et de Tony Blair comme étant à l’origine de la « guerre contre le terrorisme » et de l'invasion illégale de l'Irak, provoquant la déstabilisation qui a donné naissance à Daech. Toutefois, il semble y avoir une divergence d’opinion quant à l’héritage que laissera le président Barack Obama. D’une part, il est critiqué par les bellicistes et les néoconservateurs pour sa faiblesse dans le traitement des questions du Moyen-Orient, et pour s’être laissé intimider par la Russie en Ukraine, tandis que d’autres l’ont surnommé « Obomber » pour avoir officialisé l’emploi des drones Predator dans le but d’éliminer les « terroristes ». Les milliers d’hommes, de femmes et d’enfants innocents tués au Pakistan, en Afghanistan, au Yémen et en Somalie ont suscité de vives critiques et de fermes condamnations de la part des groupes de défense des droits de l'homme concernant l’utilisation des drones par Obama.

Curieusement, les « dégâts collatéraux » d’une frappe de drone qui décima une famille entière lors d’un mariage en Afghanistan ne suffirent pas à scandaliser l’opinion internationale. Ce fut seulement après l’exécution extrajudiciaire du célèbre imam proche d’Al-Qaïda Anwar al-Awlaki et de son fils de 16 ans, Abdulrahman Awlaki – tous deux citoyens américains – que l’opinion publique commença à s’inquiéter de l’emploi aveugle de drones pour éliminer des Américains, sans autre forme de procès.  Un certain nombre de groupes de défense, d’avocats et de journalistes soulignèrent qu’assassiner des citoyens américains sans procès équitable contrevenait à la constitution américaine, que le gouvernement d’Obama a contourné par le biais d’une loi du Congrès permettant de lever la protection conférée par la citoyenneté américaine.

Blair avait suivi Bush, Cameron suit Obama

À travers le monde musulman,  des groupes djihadistes ont dénoncé l'utilisation de drones par Obama comme une continuation de la guerre menée par Bush contre l’Islam. Si Obama pensait qu’en ayant recours à des drones plutôt qu’à une invasion terrestre,  il aurait l’air plus « compatissant » que son prédécesseur aux yeux de l’ensemble de la communauté musulmane, il s’est complètement fourvoyé.

Quand le Premier ministre David Cameron a annoncé le 7 septembre qu’il autorisait une frappe de drone de la Royal Air Force à l’encontre des citoyens britanniques Reyaad Khan et Ruhul Amin pour avoir fomenté des attentats en Grande-Bretagne – bien que le Royaume-Uni n’ait pas l’autorité de lancer des attaques en Syrie – il se trompait tout aussi grossièrement s’il supposait que cela le ferait paraître moins sanguinaire que Blair.

Dans son discours au congrès du Parti Conservateur en octobre dernier, Cameron a défendu sa décision d’autoriser l’assassinat sans procès des deux Britanniques,  déclarant qu’en tant que dirigeant, il n’avait « pas le temps de discuter », mais « seulement de prendre des décisions ». Cette justification en une phrase était peut-être une « nuance tory » de la valeur britannique d’ « État de droit », que seuls ce qui assistaient au congrès étaient à même de comprendre. L'approche musclée de Cameron pour faire respecter les valeurs britanniques sous la nouvelle stratégie contre l’extrémisme est à comprendre dans le contexte des tentatives jusqu’ici infructueuses des Tories de réformer le Human Rights Act – loi gouvernant les droits de l’homme au Royaume-Uni. Si cette entreprise réussit dans un avenir proche, l’assassinat de ressortissants britanniques luttant aux côtés de Daesh ou de tout autre groupe militant sera facilité par la mise à l’écart de la Convention européenne des droits de l’homme. Il faut ajouter à cette conception et application contradictoires de la justice le fait que la Grande-Bretagne a célébré cette année le 800e anniversaire de la Magna Carta – un document historique qui se veut le garant suprême des droits et des libertés pour tous, y compris pour les dissidents et les ennemis de l’État.

Le penchant de Theresa May, ministre de l’Intérieur, en faveur de procès à huis-clos avec des éléments de preuve tenus secrets indiquait déjà un futur inquiétant pour le pays. Je pense que, de ce fait, on pourrait soutenir que les assassinats secrets de sujets britanniques sans procès confirment une dérive résolue vers un État intolérant, qui ne soutient pas réellement les valeurs  de liberté et d’État de droit.

Voici la question que les Britanniques devraient poser, quelle que soit leur religion ou leur idéologie : qu’est-ce qui autorise légalement l’assassinat arbitraire d’un ressortissant britannique dans un pays étranger ? C’est une question extrêmement importante, qui si elle reste sans réponse, peut mettre en danger la vie de dissidents politiques de tous bords dans les années à venir – et pas seulement des « Islamistes ».

Le « caniche » des États-Unis

La réalité gênante, c’est que la Grande-Bretagne est devenue le véritable  « caniche » des États-Unis depuis près d’un demi-siècle, et que la « guerre contre le terrorisme » a cimenté le fait que les Premiers ministres britanniques successifs n’ont pas eu assez de courage pour refuser de se joindre aux frasques impérialistes des États-Unis dans le monde musulman.

De même que Blair avait volontiers suivi Bush lors des invasions en Afghanistan et en Irak, Cameron a récidivé avec Obama en effectuant des frappes aériennes contre Daesh en  Irak, avec la ferme intention de faire la même chose en Syrie, jusqu’à ce qu’il subisse un revers à la Chambre des communes. De même qu’Obama avait utilisé des drones pour assassiner Awlaki, quelques années plus tard, Cameron l'a imité avec l’exécution extrajudiciare de deux de ses concitoyens.

La Grande-Bretagne a perdu sur tous les fronts la bataille contre l’« Islamisme » depuis le début de la guerre contre le terrorisme.  Des millions de livres sterling ont été investis dans des initiatives antiterroristes au cours des 14 dernières années.  Mais cela n’a pas fourni la réponse escomptée aux attentats du 7 juillet 2005, et les efforts concentrés plus en amont ont aussi largement échoué. Le plan « Prevent » du gouvernement affirme avoir un objectif fondamental : dissuader les jeunes musulmans britanniques de soutenir le terrorisme contre la Grande-Bretagne. À première vue, pour un profane mal informé, cette démarche semble raisonnable, mais en réalité, « Prevent » a été largement décrié et jugé “draconien”, “toxique” et « un facteur de division ».

L’invasion par la Grande Bretagne d’États souverains sous le prétexte fallacieux qu’ils possédaient des armes de destruction massive et qu’ils donnaient asile à des terroristes, le fait de soutenir des  « changements de régimes » au Moyen-Orient pour imposer sa propre conception de la démocratie, son soutien sans équivoque de l’État d’Israël et de dictateurs laïcs brutaux dans le monde arabe, et son « interventionnisme humanitaire » sélectif ne sont que la partie émergée de l’iceberg, et interdisent au Royaume-Uni de se poser comme champion de la morale et de dicter au reste du « monde en voie de développement » comment se comporter.

La menace posée par Daesh au Royaume-Uni est sans aucune comparaison avec celle que posait l'IRA ( Armée Républicaine Irlandaise ) il y a quelques années, ou celle des groupes séparatistes laïcs dans l’ensemble de l’Europe. En conséquence, les mesures prises pour y faire face doivent être proportionnelles et basées sur des faits – et non pas manifester un mépris complet de l’État de droit, et de ces mêmes droits et libertés que la Grande-Bretagne prêche avec arrogance au reste du monde.

Photo : Le Premier ministre britannique David Cameron rencontre des pilotes et des techniciens sur la base de la Royal Air Force à Akrotiri (AFP).

- Dilly Hussain est le rédacteur en chef adjoint du nouveau site d’information britannique musulman 5Pillars. Il écrit aussi pour le Huffington Post, Al Jazeera English, Foreign Policy Journal et Ceasefire Magazine. Il apparaît régulièrement sur Islam Channel, Russia Today et la BBC TV et radio pour discuter des questions politiques au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, de la politique étrangère britannique, de l'islamophobie et de la guerre contre le terrorisme. Retrouvez-le sur Twitter @dillyhussain88.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduction de l’anglais (original) par Maït Foulkes.

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