La mort d’Ayman al-Zawahiri, chef d’al-Qaïda : l’histoire d’une longue traque
Dimanche 31 juillet. Le soleil s’est levé depuis une heure sur Kaboul, où la température affiche 17 °C. Il est 6 h 18. Un drone survole la capitale afghane et une maison du quartier résidentiel aisé de Sherpur. Sur ordre du président américain Joe Biden, deux missile sont tirés sur l’homme déjà levé qui se tient sur le balcon.
Onze ans après la mort d’Oussama ben Laden, après des années de traque par les services secrets américains et des mois de repérage, l’Égyptien Ayman al-Zawahiri, chef d’al-Qaïda, est tué à l’âge de 71 ans.
« Justice a été rendue, et ce dirigeant terroriste n’est plus », a déclaré Joe Biden dans un discours prononcé depuis la Maison-Blanche lundi 1er août au soir.
Alors que l’homme était introuvable depuis des années, que les rumeurs le disaient terré entre le Pakistan et l’Afghanistan, Washington repère en 2022 sa famille dans une maison servant de cache à Kaboul, d’où l’armée américaine s’était retirée en catastrophe en août 2021 face à la prise de pouvoir des talibans.
Selon un haut responsable américain, un travail de renseignement confirme dans les mois qui suivent la présence d’Ayman al-Zawahiri. Les Américains étudient la structure de la maison, les risques pour les civils, son mode de vie : il ne sort jamais et passe beaucoup de temps sur son balcon.
« Nous avons identifié Zawahiri à de nombreuses reprises, et pour de longs moments, sur son balcon, là où il a finalement été abattu », a expliqué lundi soir un haut responsable américain.
Aucune explosion
Pendant la préparation, en mai et juin, seule une poignée de responsables américains sont tenus dans la confidence.
Le 1er juillet, un projet d’opération est présenté au président démocrate dans la « Situation Room », pièce ultra-sécurisée de la Maison-Blanche où, selon une photo devenue célèbre, Barack Obama suivait en direct l’assaut contre Ben Laden en 2011, Joe Biden, alors vice-président, à ses côtés.
À la suite de cette présentation, on amène même au président une maquette de la maison.
Le 25 juillet, le président, positif au covid-19, rassemble ses principaux conseillers et « cherche à en savoir plus sur l’organisation des pièces derrière la porte et la fenêtre du troisième étage ». Il demande l’avis de tous puis « autorise une frappe aérienne précise et sur-mesure, » toujours selon un haut responsable américain ayant requis l’anonymat.
L’opération qui, selon Washington, n’a nécessité aucun effectif militaire au sol à Kaboul, est chirurgicale.
Autour de la maison où vivent sa femme, sa fille et ses petits-enfants, les traces de la frappe sont minimes : aucune explosion ne semble s’être produite, aucune autre victime n’est connue.
Les missiles Hellfire R9X « flying ginsu », du nom d’une marque américaine de couteaux inspirés du Japon, sont dépourvus de charge explosive mais dotés de six lames qui se déploient avant l’impact pour découper sa cible sans effet de souffle
« La frappe a finalement été menée […] par un aéronef sans pilote. Deux missiles Hellfire [sont tirés] sur Ayman al-Zawahiri, qui est tué », a affirmé un haut responsable américain.
Les États-Unis auraient utilisé une arme dont l’existence même n’a jamais été confirmée : les missiles Hellfire R9X « flying ginsu », du nom d’une marque américaine de couteaux inspirés du Japon.
Cette version modifiée du missile américain serait dépourvue de charge explosive mais dotée de six lames qui se déploient avant l’impact pour découper sa cible sans effet de souffle.
Une rarissime longévité
Zawahiri était l’un des terroristes les plus recherchés au monde et les États-Unis promettaient 25 millions de dollars pour tout renseignement permettant de le retrouver.
Le successeur de Ben Laden était considéré comme un des cerveaux des attentats du 11 septembre 2001, qui avaient fait près de 3 000 morts aux États-Unis.
Sa mort permettra aux familles de victimes tuées le 11 septembre dans les tours jumelles du World Trade Center, à New York, et au siège du Pentagone près de Washington « de tourner la page », a déclaré le président démocrate.
« Nous disons encore clairement ce soir que peu importe le temps que cela prendra, peu importe où vous vous cachez, si vous constituez une menace contre notre population, les États-Unis vous trouveront et vous élimineront », a martelé Joe Biden.
Le théoricien à la barbe fournie et aux larges lunettes, aisément reconnaissable à sa bosse sur le front, aura survécu à plus de 40 ans de traque, une rarissime longévité, avant d’être tué.
Né le 19 juin 1951 à Maadi, près du Caire, au sein d’une famille bourgeoise – son père était un médecin réputé et son grand-père un grand théologien de la mosquée d’al-Azhar dans la capitale égyptienne –, Ayman al-Zawahiri devient chirurgien.
Ses convictions sont précoces : il intègre la confrérie des Frères musulmans dès l’adolescence.
Impliqué dans l’assassinat, en 1981, du président égyptien Anouar al-Sadate, il est emprisonné pendant trois ans puis il rejoint l’Arabie saoudite et le Pakistan au milieu des années 1980, où il soigne les combattants contre les Soviétiques et rencontre Ben Laden.
Longtemps à la tête du Jihad islamique égyptien (JIE), il ne rejoindra al-Qaïda qu’à la fin des années 1990.
Les États-Unis le mettent sur leur « liste noire » pour avoir soutenu les attentats contre les ambassades des États-Unis au Kenya et en Tanzanie en août 1998.
Il est également condamné à mort par contumace en Égypte pour de nombreux attentats, dont celui de Louxor, en 1997 (62 morts dont 58 touristes étrangers).
En 2002 puis en 2007, il est annoncé mort mais réapparaît. Devenu le bras droit de Ben Laden, il est également son médecin.
Il « n’est pas intéressé par le combat dans les montagnes. Il réfléchit plus sur le plan international », disait de lui Hamid Mir, biographe de Ben Laden, cité par le think tank Counter-Extremism Project (CEP).
Al-Qaïda décentralisée
Malgré son rôle dans les attentats de 2001, la signature fondamentale d’al-Qaïda, il n’aura jamais acquis l’aura macabre d’Oussama ben Laden.
Paradoxalement, les États-Unis offraient 25 millions de dollars pour sa capture, un record, tout en semblant, presque, se désintéresser de lui.
« Bien qu’il ait eu de nombreux défauts, il n’était pas aussi insignifiant que ne le supposaient de nombreux analystes », a nuancé lundi sur Twitter Thomas Joscelyn, expert du cercle de réflexion Foundation for Defense of Democracies.
Héritant en 2011, à la mort de Ben Laden, d’une organisation affaiblie, Ayman al-Zawahiri avait dû, pour survivre, multiplier les « franchises » et les allégeances de circonstances, de la péninsule Arabique au Maghreb, de la Somalie à l’Afghanistan, en Syrie et en Irak. Et accepter que celles-ci s’émancipent peu à peu.
S’il fut l’un des concepteurs des attentats du 11 septembre 2001, « le plus grand succès de Zawahiri est d’avoir maintenu al-Qaïda vivante », selon Barak Mendelsohn, professeur à l’université Haverford de Pensylvannie.
Avec lui, « al-Qaïda est devenue de plus en plus décentralisée, l’autorité reposant principalement dans les mains des responsables de ses filiales », ajoute le CEP, qui lui attribue pour autant un rôle de premier plan dans la réorganisation de nombreux groupes islamistes radicaux armés.
Qu’il soit responsable de son déclin ou qu’il ait réussi à l’amortir, il laisse à tout le moins un réseau aux antipodes d’une organisation internationale en guerre contre les États-Unis, dont rêvait Ben Laden.
Une « violation claire » des accords conclus à Doha
Alors qu’il limitait ses apparitions à des vidéos de prêche monotones, Ayman al-Zawahiri avait récemment multiplié les signes de vie. « L’aisance et la capacité de communication apparemment accrues d’al-Zawahiri ont coïncidé avec la prise de contrôle de l’Afghanistan par les talibans », selon un rapport de l’ONU publié à la mi-juillet.
Au cours du week-end, le ministre afghan de l’Intérieur avait démenti les informations faisant état d’une frappe de drone à Kaboul, indiquant à l’AFP qu’une roquette avait touché « une maison vide » de la capitale.
Dans un communiqué publié lundi sur Twitter avant l’intervention de Joe Biden, le porte-parole des talibans avait toutefois reconnu l’existence d’une « attaque aérienne », attribuée à un « drone américain ».
La présence d’Ayman al-Zawahiri à Kaboul constitue par ailleurs une « violation claire » des accords conclus à Doha en 2020 avec les talibans, qui s’étaient engagés à ne pas accueillir al-Qaïda sur leur sol, a noté le haut responsable américain.
Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a ajouté lundi soir qu’en « hébergeant et en abritant » Zawahiri, les talibans avaient « grossièrement violé l’accord de Doha » qui prévoyait le départ des troupes américaines d’Afghanistan.
Dans leur communiqué, les talibans ont également accusé les États-Unis d’avoir dérogé à ces accords, en conduisant une frappe sur leur territoire.
L’Arabie saoudite s’est pour sa part félicitée « de la mort du chef terroriste d’al-Qaïda », selon un communiqué du ministère des Affaires étrangères.
Saif al-Adel, ex-lieutenant-colonel des Forces spéciales égyptiennes et figure de la vieille garde d’al-Qaïda, est souvent cité pour reprendre les rênes
Se pose maintenant la question de l’avenir d’al-Qaïda, qui avait déjà perdu son numéro 2, Abdullah Ahmed Abdullah, tué en août 2020 dans les rues de Téhéran par des agents israéliens lors d’une mission secrète commanditée par Washington, information révélée quelques mois plus tard par le New York Times.
Saif al-Adel, ex-lieutenant-colonel des Forces spéciales égyptiennes et figure de la vieille garde d’al-Qaïda, est souvent cité pour reprendre les rênes. Sauf si une jeune génération venait à émerger.
Dans tous les cas, la nébuleuse devra encore s’imposer vis-à-vis de son grand rival, le groupe État islamique, avec lequel elle s’affronte, idéologiquement et militairement, sur de multiples terrains de prédation.
Selon la dernière évaluation de l’ONU, le contexte international est toutefois « favorable à al-Qaïda, qui entend à nouveau être reconnu comme le fer de lance du jihad mondial et pourrait à terme constituer une menace plus importante ».
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