L’émir Abdelkader, un « traître » ? Vive polémique en Algérie
Sur les réseaux sociaux, prolifèrent les images de l’émir Abdelkader (1808-1883), figure de la résistance algérienne contre la conquête française, humaniste, grand soufi et fondateur de l’État algérien moderne. Le hashtag « Abdelkader est ton maître » aussi est en tête de liste des trends sur Twitter.
La raison de ce revival ? Une polémique déclenchée par un ex-député, fils d’un héros de la guerre d’indépendance, le colonel Amirouche, qui, lors d’une interview télé, a brocardé la personne de l’émir.
Dans l’émission de la chaîne de télévision privée el-Hayat, Nordine Aït Hamouda, dissident du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, laïc) et personnalité réputée pour son franc-parler, a déclaré : « Tous les auteurs français le qualifient d’‘’ami de la France’’. Tout le monde sait que l’émir Abdelkader s’est rendu à la France. Tous ses enfants, ses petits-enfants et sa veuve ont reçu des pensions de la part de l’État français. Lui-même a reçu la Légion d’honneur de la part de l’État français. Tout cela suffit amplement pour savoir que l’émir Abdelkader est un traître. »
L’ancien député, également connu pour avoir participé à la formation des groupes civils qui ont combattu les islamistes armés dans les années 1990, a également accusé l’émir d’avoir « remis l’Algérie à la France, alors que l’Algérie n’est pas son bien personnel », évoquant le traité de la Tafna signé en 1837 entre Abdelkader et le général Bugeaud, qui stipule que la France reconnaît la souverainté de l’émir sur les deux tiers du territoire algérien contre la reconnaissance par Abdelkader de la souveraineté française sur le littoral algérien.
L’émir Abdelkader n’est pas sa seule cible. Nordine Aït Hamouda critique aussi violement Messali Hadj, un des pères du nationalisme algérien, Ahmed Ben Bella, premier président de l’Algérie, et son successeur Houari Boumédiène.
Mais ce sont ses mots sur l’émir qui ont provoqué une onde de choc sur les réseaux sociaux et dans les médias, poussant même les autorités à réagir.
L’arrière-petit-fils de l’émir, Jafar Elhassani Eljazaery, a réagi sur une autre chaîne de télévision en déclarant : « Nous sommes pour la liberté d’expression. Mais les mensonges concernant les prétendus salaires versés pour notre famille par l’État français ne relèvent pas de la liberté d’expression. Nous allons déposer plainte pour prouver aux Algériens qu’il s’agit d’un mensonge. »
La Fondation Émir Abdelkader a également décidé de porter plainte.
Atika Boutaleb, arrière petite-nièce de l’émir, qui portera également plainte contre l’ancien député, a expliqué au quotidien Al-Quds al-arabi à Londres : « Les propos tenus par Nordine Aït Hamouda sont très graves, dangereux pour l’unité nationale et portent atteinte à notre histoire […] Ce n’est que la face apparente d’une campagne plus vaste qui vise les symboles de l’État et que nous avions dénoncée par le passé. C’est un phénomène qui n’a pas commencé aujourd’hui. Il y a une volonté des ennemis de l’Algérie de la déstabiliser en dénigrant tous ceux qui ont combattu le colonialisme. »
Le ministère des Moudjahidine (anciens combattants) a rappelé, pour sa part, que la loi punissait toute atteinte à un symbole de l’État.
Par ailleurs, l’Autorité de régulation de l’audiovisuel (ARAV) a convoqué le directeur de le chaîne el-Hayat afin de s’expliquer sur les déclarations de l’ancien député.
« Ce qu’a dit Aït Hamouda est injuste. Il démontre une grande ignorance des vérités historiques. Ces insultes contre l’émir Abdelkader, Messali Hadj et Boumédiène sont faites sur une base idéologique qui aggravera les polarisations et les troubles sociaux dans notre pays », a prévenu sur Twitter Abderrezak Makri, le président du Mouvement pour la société de la paix (MSP, tendance Frères musulmans), renvoyant aux polémiques politiciennes et identitaires sur l’histoire du nationalisme algérien qui reviennent épisodiquement animer la scène médiatique.
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