Aller au contenu principal

« Délires » : un ex-ambassadeur de France violemment critiqué pour avoir annoncé l’« effondrement » de l’Algérie 

Xavier Driencourt, qui fut à deux reprises ambassadeur de France à Alger, prône depuis quelques années la fermeté de la diplomatie française face à l’Algérie
« Croire à Paris qu’en allant à Alger, en cédant aux Algériens sur les dossiers qui leur sont chers, mémoire et visas, nous les gagnerons à notre cause et les amènerons vers plus de coopération est un leurre » - Xavier Driencourt (capture d’écran/Le Figaro)
« Croire à Paris qu’en allant à Alger, en cédant aux Algériens sur les dossiers qui leur sont chers, mémoire et visas, nous les gagnerons à notre cause et les amènerons vers plus de coopération est un leurre » - Xavier Driencourt (capture d’écran/Le Figaro)
Par MEE à ALGER, Algérie

Les critiques sont aussi dures que les mots utilisés.

Une tribune, publiée le 8 janvier dans Le Figaro par Xavier Driencourt, ex-ambassadeur de France à Alger (entre 2002 et 2012 puis entre 2017 et 2020), a suscité en Algérie de violentes réactions.

Son texte, intitulé « L’Algérie s’effondre, entraînera-t-elle la France dans sa chute ? », qui se veut un bilan des trois années de présidence Tebboune, conclut que « le régime a montré son vrai visage : celui d’un système militaire brutal, tapi dans l’ombre d’un pouvoir civil […] obsédé par le maintien de ses privilèges et de sa rente ».

Pour Xavier Driencourt, qui fut aussi directeur général de l’administration du Quai d’Orsay et chef de l’Inspection générale des affaires étrangères, aujourd’hui à la retraite, cette situation devrait alerter la France et Emmanuel Macron, qui a choisi de faire du partenariat avec l’Algérie une priorité.

Emmanuel Macron (à gauche) et son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune se serrent la main à l’issue d’une conférence de presse conjointe au palais présidentiel d’Alger, le 25 août 2022 (AFP/Ludovic Marin)
Emmanuel Macron (à gauche) et son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune se serrent la main à l’issue d’une conférence de presse conjointe au palais présidentiel d’Alger, le 25 août 2022 (AFP/Ludovic

« Croire à Paris qu’en allant à Alger, en cédant aux Algériens sur les dossiers qui leur sont chers, mémoire et visas, nous les gagnerons à notre cause et les amènerons vers plus de coopération est un leurre », dénonce l’auteur de L’Énigme algérienne. Chroniques d’une ambassade à Alger (éditions de l’Observatoire, 2022), un livre basé sur ses huit années à Alger.

Des propos qualifiés d’« ahurissants » dans l’édito du quotidien officiel algérien El Moudjahid, qui s’étonne de la publication d’une telle tribune alors que règne « un climat de sérénité rarement perçu entre l’Algérie et la France depuis des décennies », rappelant la visite du chef d’État français fin août et celle, début octobre, de la Première ministre Élizabeth Borne.

« L’‘’Algérie nouvelle’’, selon la formule en vogue à Alger, est en train de s’effondrer sous nos yeux et […] entraîne la France dans sa chute, sans doute plus fortement et subtilement que le drame algérien n’avait fait chuter, en 1958, la IVe République », insiste Xavier Driencourt, qui a toujours défendu la fermeté de la diplomatie française face à l’Algérie.

Il prône notamment de ne pas céder sur la question des visas et se demande quelle est la vision de la relation bilatérale entretenue par Emmanuel Macron, laissant entendre que Paris a tout à perdre en cherchant à gagner la confiance d’Alger qui ne veut pas, dans le fond, de réconciliation.

Selon l’ancien ambassadeur, la France est « paralysée » vis-à-vis d’Alger de peur de « fâcher », subir des « mesures de rétorsion », perdre l’attention d’un acteur clé pour la sécurité au Sahel et la lutte contre l’immigration clandestine.

« Il faut qu’on ait une position moins timorée, beaucoup plus forte », affirme le diplomate. « Nous avons trop souvent tendu l’autre joue après avoir reçu une gifle », écrit-il également dans son livre.

« Délires »

« Ses mots relèvent plus de la souffrance mentale que de la diplomatie », poursuit le quotidien algérien, qui titre son article « Delirium », en concluant : « Ce délire à la sauce de Madame Soleil surprend de la part d’un homme qui a représenté la France en Algérie sans jamais avoir remarqué de signes annonciateurs de cataclysme. Le seul ingrédient qui manque à sa démence serait la suggestion d’un nouveau débarquement à Sidi Fredj [début de la colonisation française]. Il y pense très fort. Pauvre diable. »

« Les Algériens ne comprennent que le rapport de force », selon l’ex-ambassadeur de France à Alger
Lire

Un autre quotidien, L’Expression, à la ligne éditoriale très nationaliste, qui parle aussi des « délires de Driencourt », revient sur sa dernière mission en Algérie : « Si l’État algérien n’a pas sérieusement collaboré avec lui, c’est tout simplement parce que Xavier Driencourt est un homme de réseaux dans le mauvais sens du terme. Durant ses deux séjours à Alger en qualité d’ambassadeur de France, il s’est entouré d’un microcosme d’individus, une ‘’clique’’ de militants outrageusement pro-français qui lui disaient certainement ce qu’il voulait entendre au sujet de l’Algérie, contre un traitement de faveur pour les visas et les ‘’fêtes de l’ambassadeur’’. »

Le président du Conseil de la nation (Sénat), Salah Goudjil, a associé Xavier Driencourt aux « résidus du colonialisme qui veulent maintenir l’Algérie sous tutelle ». S’exprimant à la clôture d’une séance plénière, il a ajouté : « Ces même résidus qui sont encore nostalgiques à leur passé abominable et qui sont sceptiques quant aux mesures adoptées par l’Algérie nouvelle tentent désespérément de nous donner des leçons. »

Le site souverainiste Algérie Patriotique estime qu’en annonçant l’effondrement de l’Algérie, Xavier Driencourt cherche « à détourner les regards des Français d’une France qui, elle, s’effondre réellement, privée de gaz, d’électricité et bientôt de pain, assise sur une poudrière sociale dont l’explosion est imminente ».

Pour l’ex-ministre et diplomate algérien Abdelaziz Rahabi, Xavier Driencourt « vient de franchir le pas qui l’identifie clairement au discours de l’extrême droite française ». Une extrême droite qui s’est d’ailleurs emparée de la tribune puisque, pour Marine Le Pen notamment, « il faut lire ceux qui sont des spécialistes de l’Algérie et qui racontent les drames qui viennent ».

« Le diplomate a vocation à faire mieux comprendre à son pays la réalité et parfois la complexité du pays d’accueil, à jeter des passerelles pour favoriser la compréhension entre les peuples. L’ambassadeur Driencourt a choisi la voie de l’opportunisme, celle de l’exercice des pulsions au détriment de celui de la raison », écrit Abdelaziz Rahabi sur le site d’information TSA.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].