EN IMAGES : L’émir Abdelkader, héros, humaniste et mystique
« Côté algérien, il est la figure du fondateur du premier État algérien, un combattant, un résistant. [En France], il était encore présenté au début du XXe siècle comme le meilleur ennemi de la France, dans les manuels scolaires. Aujourd’hui, on peut dire qu’il est assez méconnu », constate Camille Faucourt, une des commissaires de l’exposition prévue du 6 avril au 22 août au Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem) de Marseille (sud-est de la France). (Mucem/Aldo Paredes)
« On a essayé de montrer toute la richesse et la complexité du personnage en revenant sur la plupart des facettes de sa vie : la période de la résistance qui l’a révélé à lui-même en tant que stratège militaire, son rôle de précurseur dans le droit des prisonniers, mais aussi sa captivité en France, son rapport à la spiritualité, à la modernité, sa capacité à dialoguer », explique Florence Hudowicz, l’autre commissaire de l’exposition.
Au total, l’exposition présente près de 250 oeuvres et documents répartis en cinq sections illustrant la vie d’Abdelkader. Issues de collections publiques et privées françaises et méditerranéennes, beaucoup sont inédites.
La présentation du Livre des haltes, recueil de pensées et d’expériences auquel l’émir a consacré une partie de son existence, fait partie des nouveautés. (Mucem/Aldo Paredes)
Savant musulman et soufi issu de la noblesse, Abdelkader mène, dès 1832, quinze ans durant « une astucieuse guerre de harcèlement » contre les troupes françaises, pourtant plus importantes et mieux équipées. Alternant victoires et défaites contre l’occupant, « il se montre habile politique et ne cesse de rechercher des appuis politiques dans toutes les couches de la société, clans, tribus, familles », rapporte l’historien Benjamin Stora.
Entre deux combats, il prie, jeûne et professe l’islam.
En 1843, le duc d’Aumale s’empare de la Smala, véritable capitale « volante » de l’émir, comprenant une gigantesque bibliothèque qu’il transportait partout avec lui. Affaibli par cette défaite et mis hors la loi par l’Algérie en 1844, il se réfugie au Maroc.
Refoulé par les Marocains, il se rend aux Français en 1847. (Jean-Antoine Siméon-Fort, Vue générale de la smalah d'Abdelkader, attaquée à Taguin par le duc d'Aumale, le 16 mai 1843, 1847, huile sur toile. Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, Versailles. © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Franck Raux)
Quand l’émir dépose finalement les armes, c’est contre la promesse de pouvoir s’établir en Orient. Mais Louis Philippe revient sur la parole donnée par son fils, le duc d’Aumale. Abdelkader est transféré au château de Pau, dans le sud-ouest de la France, puis à Amboise, dans le centre, où il sera emprisonné quatre ans, jusqu’à sa libération par Louis-Napoléon Bonaparte.
Une suite de 92 personnes partage son exil. Abdelkader et son épouse Lella Khira occupent les appartements du logis royal, ses fidèles les dépendances. Un muezzin appelle cinq fois par jour à la prière.
« L’émir a rapidement des contacts avec les Amboisiens et particulièrement avec le curé de la ville. Les deux hommes commencent des discussions interreligions très fructueuses », raconte en 2004 le conservateur du château Jean-Louis Sureau.
« Il amorce le dialogue entre deux mondes, deux Nations, deux cultures, deux religions. C’est un homme étonnamment moderne », souligne-t-il. « Si les Musulmans et les Chrétiens me prêtaient l’oreille, je ferais cesser leurs divergences et ils deviendraient frères à l’extérieur et à l’intérieur », écrit Abdelkader. (Gustave Le Gray, Abdelkader à Amboise, France, 1851, tirage sur papier albuminé. Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la Photographie, Paris. © BnF)
Contraint à l’exil, Abdelkader finit sa vie à Damas (Syrie). En 1860, il protège activement les chrétiens persécutés par les Druzes, devenant un symbole international de tolérance.
Il médite, écrit de la poésie mystique et mène un dialogue entre religions aux accents très modernes.
Sensible à la modernité technique, Abdelkader visite les expositions universelles, s’enthousiasme pour le projet franco-égyptien du canal de Suez. « Ma carrière politique est finie. Je n’ambitionne plus rien des hommes et de la gloire de ce monde. Je veux vivre désormais dans la douce joie de la famille, dans la prière et dans la paix », dit-il alors.
Abdelkader meurt à Damas en 1883, à 74 ans. En 1965, sa dépouille est rapatriée en Algérie. (Pinot et Sagaire (éd), Abdelkader organise la défense et les secours aux chrétiens, lithographie, Épinal, 1860. Mucem, don de Christian Delorme. © Mucem)
Abdelkader est aussi « une figure littéraire », « romantique » et « épique », souligne l’historien Ahmed Bouyerdene.
Victor Hugo compose en 1853 un poème à sa gloire, dans son recueil Les Châtiments. « Lui, l’homme fauve du désert ; lui, le sultan né sous les palmes, le compagnon des lions roux, le hadji farouche aux yeux calmes, l’émir pensif, féroce et doux », écrit-il. À l’opposé, Napoléon y est décrit comme « l’homme louche de l’Élysée », « fourbe et traître ».
À seulement 14 ans, Arthur Rimbaud va à son tour « commettre un poème d’éloge envers l’émir, qu’il considère comme le Jugurtha des temps modernes », en référence au roi numide qui combattit Rome, raconte M. Bouyerdene. « Il est né dans les montagnes d’Arabie un enfant qui est grand », dit en latin le premier vers de ce poème qui en compte 80 et vaudra au collégien Rimbaud le premier prix du concours de l’académie des Ardennes. (Marie Éléonore Godefroid, Abdelkader (1807-1883), entre 1843 et 1844, huile sur toile. Musée de l’Armée, dépôt du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, Paris. © Paris - Musée de l'Armée, Dist. RMN-Grand Palais / image musée de l’Armée)
« Abdelkader est pour moi une grande figure libératrice. Comme Mandela un siècle plus tard, il fut un combattant pour la justice qui n’a jamais renoncé à une réconciliation à venir », explique Christian Delorme, ancien curé des Minguette (Lyon), pour lequel l’image de l’émir représente « la fierté et la générosité algériennes », « un repère », « une possible figure de médiation d’unification ». (Caftan de l'émir Abdelkader, deuxième quart du XIXe siècle, coton. Musée de l’Armée, Paris. © Paris - Musée de l'Armée, Dist. RMN-Grand Palais/Pascal Segrette)
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