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Retour sur scène des nostalgiques de l’Algérie française

Très ancré à l’extrême droite, ce courant a gagné en visibilité après le score historique du Rassemblement national aux dernières législatives. Des historiens pensent que ses députés pourraient entraver des évolutions législatives en faveur du règlement du contentieux mémoriel avec l’Algérie
« Ce symbole d’unité française [représenté par le Parlement] touche l’enfant d’une France d’ailleurs, que je suis, arraché à sa terre natale et brossé sur les côtes provençales par le vent de l’histoire en 1962 », a déclaré José Gonzalez en évoquant l’Algérie, lors du discours inaugural de la nouvelle Assemblée nationale, le 28 juin 2022 (AFP/Christophe Archambault)
« Ce symbole d’unité française [représenté par le Parlement] touche l’enfant d’une France d’ailleurs, que je suis, arraché à sa terre natale et brossé sur les côtes provençales par le vent de l’histoire en 1962 », a déclaré José Gonzalez en évoquant l’Algérie, lors du discours inaugural de la nouvelle Assemblée nationale, le 28 juin 2022 (AFP/Christophe Archambault)
Par Samia Lokmane à PARIS, France

Soixante ans après la fin de la guerre d’indépendance, les nostalgiques de l’Algérie française s’assument plus que jamais dans les rangs de l’extrême droite

Ce courant s’est d’ailleurs frayé un chemin à l’Assemblée nationale le 28 juin, en même temps que 89 députés du Rassemblent national (RN), parti d’opposition majoritaire au Parlement. 

José Gonzalez, député RN des Bouches-du-Rhône, sollicité en tant que doyen pour assurer le discours inaugural de la nouvelle législature, a souligné son passé regretté de rapatrié d’Algérie.

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« J’ai laissé là-bas une partie de ma France et beaucoup d’amis. Je suis un homme qui a vu à jamais son âme meurtrie », a-t-il déclamé sous les applaudissements d’une partie de l’Hémicycle.

Peu après, le parlementaire de 79 ans a estimé devant des journalistes qu’il n’était « pas là pour juger si l’OAS [Organisation de l’armée secrète] avait commis des crimes » et qu’il ne savait pas ou presque ce qu’était cette organisation.

José Gonzalez s’est improvisé par ailleurs avocat de l’armée française, en soulignant que cette dernière n’avait pas commis de crimes en Algérie, « et encore moins des crimes contre l’humanité ». 

« Si je vous emmène avec moi en Algérie […] dans le djebel [montagnes], vous verrez beaucoup, beaucoup, beaucoup d’Algériens qui n’ont jamais connu la France et qui nous disent : “Monsieur, quand est-ce que vous revenez ?” », a enchaîné le député RN. 

À gauche, du dégoût

Pour Tramor Quemeneur, historien spécialiste de la colonisation, José Gonzalez ment, de toute évidence, en niant le rôle de l’OAS. 

« À l’âge qu’il avait au moment de l’indépendance de l’Algérie, il devait nécessairement savoir de quoi il retournait », explique l’historien à Middle East Eye.

L’OAS, organisation politico-militaire clandestine, avait été fondée par un groupe de généraux en 1961 pour défendre la présence coloniale française en Algérie. 

Jean-Marie Le Pen aurait d’ailleurs, selon la presse française, beaucoup apprécié le coup d’éclat du député Gonzalez au perchoir et aurait demandé à le rencontrer

Elle a notamment commis de nombreux attentats en Algérie et en France, qui ont fait au moins 2 000 morts. 

Le groupuscule a même tenté d’assassiner le président de l’époque, Charles de Gaulle, coupable à ses yeux d’avoir reconnu les résultats du referendum d’autodétermination ayant conduit à l’indépendance de l’Algérie.

Bien que l’OAS soit considérée par la France comme une organisation terroriste, nombreux sont ses membres qui n’ont jamais été inquiétés par la justice. 

Certains sont même devenus députés lorsque le Front national – ascendant du RN – a intégré pour la première fois l’Assemblée nationale en 1986, sous la direction de Jean-Marie Le Pen, père de la présidente actuelle du RN, Marine Le Pen

L’ancien dirigeant du FN aurait d’ailleurs, selon la presse française, beaucoup apprécié le coup d’éclat du député Gonzalez au perchoir et aurait demandé à le rencontrer. 

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Sa fille a estimé, pour sa part, que le parlementaire n’avait « pas commis de dérapage ». 

« Il a fait un très beau discours, un discours très digne, très républicain, qui a été d’ailleurs salué quasi unanimement par les applaudissements nourris de l’Assemblée nationale », a-t-elle commenté. 

Quasiment toute l’assemblée ? Peut-être pas. 

À gauche, les propos de José Gonzalez sur l’OAS ont plutôt soulevé un tollé. 

« La dédiabolisation du RN vole en éclats dès la première séance. Attendons le vote sur l’IVG pour voir le vrai visage de ce groupe et attendons l’arc démocratique », a ironisé la députée écologiste Sandrine Rousseau. 

La présidente du groupe de La France insoumise (LFI) à l’Assemblée, Mathilde Panot, a accusé le RN de faire « l’apologie de l’Algérie française et des crimes de la colonisation », alors que son collègue du parti, Thomas Portes, a fait part de son dégoût. 

Compromission à droite

Le premier secrétaire du Parti socialiste (PS), Olivier Faure, a non seulement trouvé le discours du député RN « gênant », mais il s’est également dit interpellé par l’accueil qu’il a reçu. 

« C’est curieux que quelqu’un soit venu plaider [à l’Assemblée nationale] sa nostalgie pour l’Algérie française et qu’une partie l’ait applaudi », a-t-il observé, ajoutant que cela était un signe supplémentaire du fait que « le front républicain [était] en train de s‘effondrer ».  

En vérifiant l’information, le quotidien Libération a pu identifier les députés qui ont ovationné Gonzalez. Tout le RN, évidemment, mais aussi des parlementaires de la droite, du centre et des macronistes (le parti Renaissance du président) principalement. 

« Ce qui est compliqué aujourd’hui en France, c’est que les partisans d’un système colonial considéré comme positif ont quitté les rivages de l’extrême droite traditionnelle pour aller vers une droite plus classique »

- Benjamin Stora, historien

« Ce qui est compliqué aujourd’hui en France, c’est que les partisans d’un système colonial considéré comme positif ont quitté les rivages de l’extrême droite traditionnelle pour aller vers une droite plus classique », analyse l’historien Benjamin Stora dans une lettre au Cercle algérianiste, une association qui promeut l’histoire de l’Algérie française. 

« Le gaullisme avait entretenu une frontière entre droite et extrême droite. Le général de Gaulle était une figure de la décolonisation et il était difficile aux partisans de l’extrême droite d’aller vers lui. Aujourd’hui, la frontière tend à s’effacer. »

Fin juin, le groupe implanté à Perpignan – ville dirigée par le vice-président du RN, Louis Aliot – s’est mobilisé pour commémorer l’exode des pieds-noirs d’Algérie en 1962 et, par la même occasion, célébrer le passé colonial de la France. 

« On ne peut pas être dans l’accusation unilatérale de la France. Il faut rappeler l’apport de la France. Il suffit de voir l’état de l’Algérie aujourd’hui. On ne peut pas dire que c’est glorieux », a soutenu l’adjoint de Marine Le Pen. 

Celui-ci souhaite d’ailleurs donner à une place de sa ville le nom de Pierre Sergent, un ancien député FN et membre de l’OAS, amnistié en 1968. 

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Le maire RN, qui se présente comme fils et petit-fils d’expatriés, avait aussi commémoré à sa manière les accords de cessez-le-feu entre la France et le FLN en 1962, en organisant dans les locaux de l’hôtel de ville une exposition temporaire de photos pour témoigner selon lui « des tortures et massacres de pieds-noirs et de harkis ». 

Perpignan abrite aussi un centre de documentation inauguré en 2012 sur l’histoire des pieds-noirs et une stèle à la mémoire des membres de l’OAS, dans le cimetière municipal.

Dans son livre Les Mémoires dangereuses paru en 2016, Benjamin Stora évoque « une blessure narcissique du nationalisme français », entretenue au fil du temps par les courants d’extrême droite et relayée aujourd’hui par une partie de la droite gaulliste. 

« L’indépendance de l’Algérie avait ouvert une crise du nationalisme français construit au début du XIXe siècle en grande partie sur la notion de l’empire colonial. L’Algérie, qui faisait partie intégrante du territoire national, représente une rupture narcissique très forte, difficile à accepter », explique-t-il à MEE

« Poursuivre la politique de réconciliation des mémoires »

À la parution de son rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie en 2021, l’historien avait essuyé les critiques des responsables du RN. 

Louis Aliot l’avait qualifié d’« arme idéologique aux conséquences incalculables », alors que Marine Le Pen accusait sur Twitter Macron – qui l’a commandé – de « continuer d’envoyer des signaux désastreux de repentance, de division et de haine de soi ». 

Maintenant que le RN est entré en force au Parlement, ira-t-il jusqu’à remettre en question les préconisations du rapport et les mesures qui les ont suivies pour régler le passif colonial de la France ?

« Il y a toujours des menaces qui pèsent sur l’écriture de l’histoire, mais c’est à la communauté des historiens de se mobiliser comme elle l’a fait lorsqu’il y a eu un vote en 2005 pour une loi sur les aspects positifs de la colonisation », affirme Benjamin Stora à MEE.

Pour Benjamin Stora, « Il y a toujours des menaces qui pèsent sur l’écriture de l’histoire, mais c’est à la communauté des historiens de se mobiliser » (AFP/Emmanuel Dunand)
Pour Benjamin Stora, « Il y a toujours des menaces qui pèsent sur l’écriture de l’histoire, mais c’est à la communauté des historiens de se mobiliser » (AFP/Emmanuel Dunand)

Ce dernier estime néanmoins que « le processus est trop profondément engagé pour qu’on puisse revenir en arrière ».

Tramor Quemeneur, qui anticipe aussi les entraves que pourrait poser le RN, pense pour sa part qu’il « est nécessaire de poursuivre la politique de réconciliation des mémoires ». 

Autre danger lié à la puissance de l’extrême droite en France, la politique consistant à bloquer la politique d’ouverture des archives sur la guerre de libération de l’Algérie.

Pierre Mansat, président de l’Association Maurice et Josette Audin (destinée à entretenir la mémoire du militant communiste et de son épouse, partisans de l’indépendance de l’Algérie), craint de voir les députés du RN geler des évolutions législatives qui permettent l’accès aux archives. 

« Je ne veux pas surestimer leur poids dans l’Assemblée, mais en même temps, je suis inquiet devant ces risques de blocages », a-t-il indiqué à MEE.

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