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L’« exfiltration » d’une opposante provoque une nouvelle crise entre Alger et Paris

Après des mois d’embellie relative dans la relation Alger-Paris, l’aide portée par l’ambassade de France à Tunis à une opposante franco-algérienne lui évitant l’extradition vers Alger a provoqué une nouvelle crispation
Amira Bouraoui, est accueillie à sa sortie de prison le 2 juillet 2020, devant la prison de Kolea près de la ville de Tipasa, à 70 km à l’ouest de la capitale Alger (AFP/Ryad Kramdi)
Amira Bouraoui est accueillie à sa sortie de prison le 2 juillet 2020, devant la prison de Kolea près de la ville de Tipasa, à 70 km à l’ouest de la capitale Alger (AFP/Ryad Kramdi)

L’Algérie a rappelé mercredi « pour consultations » son ambassadeur en France pour protester contre « l’exfiltration illégale » via la Tunisie de la militante franco-algérienne Amira Bouraoui, une affaire qui risque de fragiliser encore plus une relation bilatérale laborieusement rétablie ces derniers mois.

Soulignant que l’Algérie a, via une note officielle, « protesté fermement contre l’exfiltration clandestine et illégale d’une ressortissante algérienne » vers la France, le président Abdelmadjid Tebboune « a ordonné le rappel en consultations de l’ambassadeur, Saïd Moussi, avec effet immédiat », a annoncé la présidence algérienne.

Une « opération clandestine et illégale  »

« Le ministère des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l’étranger a exprimé aujourd’hui à l’Ambassade de France la ferme condamnation par l’Algérie de la violation de la souveraineté nationale par des personnels diplomatiques, consulaires et de sécurité relevant de l’État français qui ont participé à une opération clandestine et illégale d’exfiltration d’une ressortissante algérienne dont la présence physique sur le territoire national est prescrite par la justice algérienne », lit-on dans le communiqué des Affaire étrangères.  

Arrêtée en Tunisie vendredi d’où elle risquait d’être expulsée vers l’Algérie, la militante politique et animatrice d’une émission sur Radio M a finalement pu embarquer lundi soir sur un vol à destination de la France.

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Cette Franco-Algérienne faisait l’objet d’une interdiction de sortie du territoire en Algérie (ISTN). 

Elle avait été interpellée par la police tunisienne alors qu’elle cherchait à prendre un avion pour Lyon afin d’y rejoindre son fils étudiant, munie de son passeport français. Une juge l’avait remise en liberté lundi mais elle avait été emmenée par des policiers tunisiens, avant d’être placée sous la protection du consulat français à Tunis.

Selon le quotidien français Le Monde, elle a été « accueillie quelques heures à l’ambassade de France » avant d’obtenir « du président tunisien Kais Saied l’autorisation de rejoindre la France ».

L’Algérie a rejeté ce développement « inadmissible et inqualifiable » qui cause « un grand dommage » aux relations algéro-françaises, selon la note.

Mercredi matin, le journal gouvernemental El Moudjahid avait dénoncé, dans un éditorial, un acte « très inamical » envers l’Algérie et la Tunisie. Ce jeudi, le même journal écrit dans son éditorial : « Il paraît que les diplomates français se transforment en gendarmes aux aguets contre tout ‘’manquement’’ à leur doxa d’ancien colonisateur ! Mais cet ancien colonisateur affiche toujours la même consternante ignorance, la même stupéfiante outrecuidance. »

Condamnée à deux ans de prison

Le quotidien privé L’Expression va plus loin en suggérant que la visite du président algérien à Paris en mai pourrait être sérieusement hypothéquée : « Aujourd’hui, les relations algéro-françaises sont objectivement suspendues et le grand espoir suscité par la visite du président Macron en Algérie est réduit à zéro. »

Amira Bouraoui a remercié « tous ceux qui ont fait en sorte qu’[elle] ne [se] retrouve pas une autre fois derrière les barreaux »

Amira Bouraoui a tenté plusieurs fois de quitter l’Algérie ces derniers mois pour rendre visite à son fils établi en France, mais en vain, selon le site du média algérien Radio M (dont le directeur El Kadi Ihsane est en prison depuis décembre dernier), où elle animait depuis septembre une émission politique. 

Elle était porte-parole du mouvement « Barakat » (« Ça suffit », en algérien) qui dénonçait la candidature de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika à un quatrième mandat en 2014.  

Cette médecin de formation de 46 ans avait été emprisonnée en Algérie courant 2020 pour plusieurs chefs d’inculpation. Elle a été libérée en juillet 2020. Elle est sous le coup d’une condamnation à deux ans de prison ferme pour « offense » à l’islam pour des propos tenus sur sa page Facebook.

Amira Bouraoui a remercié « tous ceux qui ont fait en sorte qu’[elle] ne [se] retrouve pas une autre fois derrière les barreaux », mercredi sur sa page Facebook (qui n’est plus visible sur ce réseau), citant les ONG Amnesty International et Human Rights Watch (HRW), les journalistes et les personnels consulaires de l’ambassade de France en Tunisie.

Elle a assuré que son départ pour la France n’était pas « un exil » et qu’elle serait « de retour très vite » en Algérie.

Mercredi soir, des médias algériens ont annoncé l’interpellation de Mustapha Bendjama, rédacteur en chef du journal Le Provincial à Annaba (est), non loin de la frontière avec la Tunisie. 

Avant son arrestation, il a dit à des collègues avoir été contacté au préalable par la police lui demandant « des informations sur la sortie d’Amira Bouraoui du territoire » et leur avoir répondu n’avoir « rien à voir avec cette affaire ».

Paris joue l’apaisement 

Interrogé, ce jeudi, sur le fait que cette affaire était susceptible de dégrader les relations bilatérales, François Delmas, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, a déclaré : « Pour notre part, nous entendons continuer à travailler à l’approfondissement de notre relation bilatérale. »

Il s’est en revanche refusé à tout commentaire sur le rappel de l’ambassadeur algérien, « une décision algérienne qu’il ne m’appartient pas de commenter ».

Il n’a pas non plus voulu faire de commentaires « sur cette situation individuelle » mais a tenu à rappeler qu’Amira Bouraoui était « une ressortissante française et qu’à ce titre, les autorités françaises exercent leur protection consulaire ».

« Il s’agit d’une procédure qui ne ressort d’aucune manière de l’ordinaire », a-t-il précisé.

Il n’a pas non plus voulu répondre à la possibilité que cette affaire remette en question la visite du président algérien Abdelmadjid Tebboune programmée pour le mois de mai.

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