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La prière du vendredi, nouvelle pomme de discorde en Algérie

Pandémie de COVID-19, crise économique, référendum controversé sur la Constitution, un hirak qui se termine en queue de poisson : comme si la situation n’était pas assez compliquée, l’Algérie s’est inventé une nouvelle bataille, celle de la prière du vendredi
Des volontaires désinfectent la salle de prière d’une mosquée de Kouba, à Alger, le 15 août 2020 (AFP)
Des volontaires désinfectent la salle de prière d’une mosquée de Kouba, à Alger, le 15 août 2020 (AFP)
Par Abed Charef à ALGER, Algérie

Le reflux de la pandémie de COVID-19 a eu un résultat inattendu en Algérie : il a replongé le pays dans une nouvelle bataille religieuse.

En ce début octobre 2020, alors que le pays se prépare à la tenue d’un référendum controversé sur la Constitution et à une délicate rentrée scolaire et universitaire plusieurs fois reportée en raison des risques liés à la pandémie, la prière du vendredi s’est imposée comme un nouveau sujet de crispation qui risque de parasiter le débat politique.

Les mosquées avaient été fermées au mois de mars et la prière du vendredi suspendue en raison du coronavirus. Le gouvernement avait longuement hésité à prendre cette mesure, pour éviter de heurter une fraction de l’opinion islamiste ou conservatrice attachée aux rituels religieux.

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Curieusement, les courants islamistes hostiles à la fermeture des mosquées avaient trouvé des alliés parmi les activistes d’extrême gauche impliqués dans le hirak (mouvement né le 22 février 2019 en opposition au cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika), qui considéraient alors le COVID-19 comme une simple manœuvre du pouvoir destinée à mettre fin aux marches populaires.

Mais au bout du compte, la fermeture des mosquées s’est déroulée sans incident notable, la majorité de la population ayant admis que la situation sanitaire imposait ce sacrifice.

La décision des autorités saoudiennes de suspendre la oumra, petit pèlerinage, et de réserver le hadj, grand pèlerinage, à un nombre restreint, essentiellement des résidents d’Arabie saoudite, avait fortement contribué à calmer les récalcitrants, notamment les salafistes, attachés à un respect mimétique des rites religieux.

Ce n’est qu’à la mi-août que les mosquées ont été partiellement ouvertes, avec un protocole sanitaire strict, généralement respecté, selon plusieurs imams. Contrôle de la température et port du masque sont obligatoires, et la mosquée n’est ouverte qu’à l’heure de la prière.

Remous

Mais la prière du vendredi n’est toujours pas rétablie, la commission médicale chargée de suivre la pandémie du coronavirus ayant estimé qu’elle présente encore trop de risques de contamination.

La décision de rouvrir les mosquées tout en maintenant la suspension de la prière du vendredi a suscité des remous.

Le 15 août, les plages avaient été ouvertes en parallèle à la réouverture des mosquées. Une cohue indescriptible avait été enregistrée dans la plupart des plages du pays, alimentant la polémique : les partisans de la reprise de la prière du vendredi estimaient qu’il y avait plus de risques sur les plages, en raison de la proximité et de la difficulté d’imposer des mesures barrières, que dans les mosquées.

Mi-août, la réouverture des plages avait alimenté la polémique, les partisans de la reprise de la prière du vendredi estimant qu’il y avait plus de risques sur les plages que dans les mosquées (AFP)
Mi-août, la réouverture des plages avait alimenté la polémique, les partisans de la reprise de la prière du vendredi estimant qu’il y avait plus de risques sur les plages que dans les mosquées (AFP)

Les protestataires se recrutent dans les mêmes milieux islamistes qui avaient déjà mis en cause l’idée même de fermeture des mosquées, en mars. Un site a passé en revue ces positions, qui englobent des salafistes, des Frères musulmans comme des radicaux.

Ali Belhadj, ancien dirigeant du Front islamique du salut (FIS), continue par exemple de réclamer le rétablissement de la prière du vendredi, après s’être opposé à la fermeture des mosquées. Empêcher la prière du vendredi risque « d’abolir les préceptes fondamentaux de l’islam », a-t-il dit, en ajoutant : « Il est possible qu’on nous dise que le jeûne du Ramadan n’est pas requis car il affaiblirait notre immunité contre le COVID-19 ». 

Une « tolérance zéro » avec les mosquées

Ali Belhadj était souvent interpellé par la police le vendredi, depuis des années, pour l’empêcher de se rendre dans les mosquées, où il avait pris l’habitude de prendre la parole de manière illégale.

Abdallah Djaballah, président du Front de la justice et du développement, une des branches des Frères musulmans, a affirmé que la décision de suspendre la prière du vendredi ne reposait « sur aucun fondement légal ». Selon lui, les Algériens auraient, au contraire, dû « se réfugier dans les mosquées pour des prières collectives pour implorer Dieu ».

Dans le même sens, le salafiste Mohamed Ali Ferkous, suivi par une frange impossible à évaluer, a ouvertement plaidé pour le maintien de la prière du vendredi, y compris quand les mosquées sont fermées. Selon lui, le musulman doit « accomplir la prière du vendredi dans n’importe quel édifice si la mosquée n’est pas accessible ». C’est ce précepte que semble avoir appliqué Ali Belhadj, qui a organisé la prière du vendredi à son domicile.

Un autre imam cathodique, le cheikh Chemseddine, qui a longtemps officié sur la chaîne décriée Ennahar avant d’être interdit d’antenne, a lui aussi remis en cause la décision des autorités sur la prière du vendredi.

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« Si les maisons de Dieu sont fermées à cause du virus, pourquoi ne ferme-t-on pas les casernes, les sièges des services de sécurité et de la gendarmerie, ainsi que les hôpitaux ? », s’est-il demandé.

Chemseddine n’a cependant pas de poids significatif, car il a toujours officié pour une chaîne de télévision proche du pouvoir, et sa manière de prêcher en fait plutôt une sorte d’imam Chalghoumi (imam controversé et président de l’association culturelle des musulmans de Drancy, en France), avec une dose d’humour.

Plus significative apparaît l’attitude de Abderrezak Makri, président du Mouvement de la société pour la paix (MSP), une autre branche des Frères musulmans. Après avoir annoncé qu’il voterait contre la nouvelle Constitution lors du référendum prévu le 1er novembre 2020, il a utilisé une bien curieuse méthode pour critiquer la décision sur le maintien de la suspension de la prière.

Il a en effet retweeté une vidéo d’un imam d’Alger – Keireddine Aouir, de la mosquée Errahma à Alger-centre, où les manifestants du hirak faisaient leur prière du vendredi avant de participer aux marches – qui estime caduques les raisons qui auraient pu justifier la suspension de la prière.

Traduction : « Solidaire avec lui, et je suis d’accord. »

L’imam en question estime que les mosquées sont particulièrement visées par les restrictions. « Je renouvelle mon appel pour que les mosquées soient totalement ouvertes, avec le respect des mesures nécessaires, comme la distanciation, etc. Mais il faut qu’elles soient ouvertes pour toutes les prières, et particulièrement la prière du vendredi. Les choses ont évolué », explique-t-il.

« Il aurait fallu que l’instance qui a émis la fatwa pour la fermeture des mosquées intervienne, maintenant que les cas de contamination sont devenus très rares, au point que certains services ont été fermés alors que certaines zones n’ont pas connu du tout de cas de contamination. »

Il a enfin regretté une « tolérance zéro » (en français, à la fin de la vidéo) avec les mosquées, alors que pour d’autres secteurs d’activité, les autorités auraient fait preuve de souplesse.

Moins de cas mais de nombreux lieux publics fermés

Face à cette pression, le ministre des Affaires religieuses Youcef Belmehdia été contraint de contre-attaquer, le 1er octobre, pour rappeler fermement que « la reprise de la prière du vendredi dans les mosquées reste suspendue », et que la question relève du comité scientifique chargé du suivi de la pandémie.

« La question de la reprise de la prière du vendredi dans les mosquées préoccupe les autorités autant que celle portant sur la réouverture des frontières ou encore la reprise scolaire », a-t-il souligné. Une manière de rappeler que des pans entiers de la vie économique et sociale sont concernés, et que la prudence doit être de mise, d’autant plus que certains pays mieux outillés subissent un regain de la pandémie après une période d’accalmie.

La pandémie n’a pas encore été vaincue en Algérie. Certes, la décrue, même lente, est visible. La journée de dimanche 4 octobre a ainsi enregistré le plus faible bilan depuis mars, avec 141 cas de contamination et quatre décès.

Mais les spécialistes notent que ce bilan est établi alors que l’activité économique tourne au ralenti, et que les établissements scolaires, mosquées, stades et nombre de lieux publics demeurent fermés ou font l’objet de fortes restrictions.

La rentrée scolaire, initialement fixée au 4 octobre, après près de sept mois de vacances forcées, aura lieu le 21 octobre pour le cycle primaire et le 4 novembre pour les cycles moyen et secondaire.

Le championnat de football, prévu le 20 novembre, a été reporté au 28 novembre. Malgré cela, le comité scientifique chargé du suivi de la pandémie se réserve le droit de « réviser » ces décisions.

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