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Arabie saoudite : Amnesty International s’alarme de la répression contre les activistes en ligne

Jugées par un tribunal créé pour traiter les affaires de « terrorisme », au moins quinze personnes qui s’étaient pacifiquement exprimées en ligne ont été condamnées à des peines allant jusqu’à 45 ans de prison. Pour les traquer, l’Arabie saoudite infiltrerait Twitter
Noura al-Qahtani, 50 ans et mère de cinq enfants, a vu sa condamnation passer de 13 à 45 ans de prison. D’après ce que sait Amnesty International, il s’agit de la plus lourde peine jamais prononcée contre une Saoudienne pour s’être exprimée pacifiquement en ligne (Twitter)
Noura al-Qahtani, 50 ans et mère de cinq enfants, a vu sa condamnation passer de 13 à 45 ans de prison. D’après ce que sait Amnesty International, il s’agit de la plus lourde peine jamais prononcée contre une Saoudienne pour s’être exprimée pacifiquement en ligne (Twitter)
Par MEE

Si le parcours de l’activiste féministe Loujain al-Hathloul, libérée de prison en 2021, a été très médiatisé, d’autres militantes pour les droits des femmes restent incarcérées en Arabie saoudite.

C’est notamment le cas de Salma al-Shehab. Déclarée coupable d’utiliser Twitter pour soutenir les militantes des droits des femmes, cette étudiante en doctorat à l’université de Leeds, mère de deux enfants appartenant à la minorité chiite saoudienne, a vu sa condamnation initiale à 6 ans de prison portée en appel à 34 ans par le Tribunal pénal spécial (tribunal créé pour juger les personnes accusées d’infractions liées au « terrorisme ») en août 2022, assortie d’une interdiction de voyager de 34 ans. Détenue à l’isolement pendant 285 jours, elle n’a pas été autorisée à consulter un avocat tout au long de sa détention provisoire.

Traduction : « S’il vous plaît, sauvez Salma al-Shebab de l’enfer des prisons saoudiennes. Elle a été injustement condamnée à 34 ans de prison pour un tweet. Elle est maman de deux enfants dont un est handicapé. »

Son histoire et celle d’autres militants s’exprimant en ligne est à nouveau médiatisée aujourd’hui alors qu’Amnesty International s’inquiète du sort de de quinze personnes condamnées en 2022 à des peines d’emprisonnement comprises entre 10 et 45 ans, uniquement pour des activités pacifiques en ligne.

« Depuis un an, les autorités saoudiennes intensifient leur violente répression ciblant les personnes qui se servent des espaces en ligne pour faire entendre leurs opinions », a déclaré Amnesty International le 13 février 2023 dans un communiqué.

« L’Arabie saoudite réprime depuis longtemps les défenseurs des droits humains, les journalistes et les membres de la société civile, et ses cibles incluent désormais des membres ‘’ordinaires’’ de la population qui exercent pacifiquement leur droit à la liberté d’expression en ligne. »

Détenues au secret et à l’isolement

Noura al-Qahtani, 50 ans et mère de cinq enfants, a aussi vu sa condamnation passer de 13 à 45 ans de prison. D’après ce que sait Amnesty International, il s’agit de la plus lourde peine jamais prononcée contre une femme saoudienne pour s’être exprimée pacifiquement en ligne.

L’ONG de défense des droits cite encore Mahdia al-Marzougui, une infirmière tunisienne et résidente saoudienne, a vu sa peine de 3 ans et demi d’emprisonnement portée par le Tribunal pénal spécial à 15 ans de prison en septembre 2022, suivie d’une expulsion, pour des tweets commentant les événements en Tunisie.

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Ou encore Mohammed al-Rabiah, défenseur du droit de conduire des femmes en Arabie saoudite, arrêté en mai 2018 lors d’une campagne de répression visant les défenseurs des droits humains, dont la peine de prison est passée de 6 à 17 ans en décembre 2022, et Saad Ibrahim Almadi, citoyen américano-saoudien de 72 ans, ingénieur à la retraite, arrêté lors d’un voyage en Arabie saoudite le 21 novembre 2021 et détenu à l’isolement pendant deux mois. Sa peine est passée de 16 ans et 2 mois à 19 ans en raison d’une série de tweets critiques à l’égard du royaume publiés alors qu’il se trouvait aux États-Unis. Sa famille a depuis appris qu’il était tombé dans le coma pendant sa détention et qu’il avait besoin de soins médicaux d’urgence.

Dix Égyptiens nubiens sont également concernés par cette répression : ils ont écopé de peines de prison comprises entre 10 et 18 ans pour des accusations liées à des publications sur les réseaux sociaux et pour avoir témoigné leur solidarité à l’égard d’une organisation islamiste interdite.

Ces personnes ont toutes été soumises à toute une série de violations des droits humains durant leur détention, souligne Amnesty. Elles ont notamment été détenues au secret et à l’isolement, souvent pendant des mois d’affilée, et privées de la possibilité de consulter un avocat tout au long de leur détention provisoire. Certaines ont été visées par des interdictions arbitraires de voyager, en violation du droit international relatif aux droits humains.

Un nouveau juge

L’augmentation spectaculaire de la durée des peines de prison prononcées par le Tribunal pénal spécial fait suite à la nomination d’un nouveau juge, Ahwad al-Ahmari, à la présidence du tribunal en juin 2022.

Cet homme faisait partie de la délégation envoyée par les autorités saoudiennes à Istanbul en octobre 2018 pour « nettoyer » les preuves de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, démembré au consulat saoudien, selon le rapporteur spécial de l’ONU sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires.

Traduction : « Le Tribunal pénal spécial a condamné le militant des droits humains Mohammed al-Rabiah à six ans de prison pour des charges liées à son activisme. »

En parallèle, Amnesty dénonce le fait que le royaume tente d’infiltrer les plateformes numériques, en particulier Twitter, pour contrôler les informations publiées au sujet du royaume et de ses dirigeants.

En décembre 2022, un tribunal américain a déclaré l’ancien manager de Twitter Ahmad Abouammo coupable d’espionnage au profit de l’Arabie saoudite, l’accusant d’avoir accédé à, surveillé et transmis des informations confidentielles et sensibles susceptibles de permettre d’identifier et de localiser les utilisateurs de Twitter présentant un intérêt pour la famille royale saoudienne.

D’après l’acte d’inculpation, qu’Amnesty International a pu examiner, Ahmad Abouammo a fourni les noms et les informations de comptes Twitter « publiant des informations critiques ou embarrassantes pour la famille royale saoudienne et le gouvernement de l’Arabie saoudite ».

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« Ces méthodes répressives illustrent l’hypocrisie de l’Arabie saoudite qui organise des événements mondiaux censés défendre la libre circulation de l’information en ligne », accuse Philip Luther, directeur de la recherche et du plaidoyer pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.

L’ONG demande aux autorités saoudiennes de « libérer immédiatement et sans condition » toutes les personnes détenues pour avoir exercé pacifiquement leur droit à la liberté d’expression et à Twitter de « mener des enquêtes internes afin de déterminer l’impact des tentatives d’infiltration des autorités saoudiennes sur son travail, de rendre publiques les conclusions de ses investigations et de faire savoir quelles mesures ont été prises pour prévenir ce type de violations à l’avenir ».

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