Mars et bientôt la lune ? Comment le Moyen-Orient participe aussi à la conquête spatiale
Ce mois-ci, les Émirats arabes unis sont devenus le premier pays du Moyen-Orient à envoyer un vaisseau spatial en orbite autour de Mars – et seulement le cinquième pays du monde à réaliser cet exploit.
La sonde Al-Amal (Hope Probe en anglais, espoir) a été lancée le 19 juillet 2020 et a rallié la planète rouge le 9 février. Elle transporte trois instruments qui seront en mesure de déchiffrer l’atmosphère martienne.
Lundi, elle a retransmis sa première image de la planète, concrétisant l’entrée fulgurante des Émirats arabes unis dans le domaine spatial observée au cours des dernières années.
Traduction : « La transmission de la première image de Mars par la sonde Hope Probe est un moment décisif dans notre histoire et marque l’entrée des EAU parmi les pays avancés engagés dans l’exploration spatiale. Nous espérons que cette mission conduira à de nouvelles découvertes sur Mars qui profiteront à l’humanité. »
Le succès d’Al-Amal a contribué à raviver le souvenir des programmes spatiaux développés par d’autres pays de la région.
Plus de la moitié des pays de la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord) ont – ou ont eu – un programme spatial gouvernemental.
« Alors que les Émirats arabes unis se sont positionnés en tant que leader régional dans le domaine spatial, d’autres pays revoient également leur investissement et leur ambition à la hausse en matière de programmes spatiaux », indique Simon Seminari, conseiller principal chez Euroconsult, une société de conseil spécialisée dans les marchés spatiaux.
Les dépenses de la région MENA dans le domaine spatial ont presque doublé au cours de la dernière décennie, passant d’un total de 755 millions de dollars en 2010 à près de 1,3 milliard de dollars en 2020, selon le rapport sur la situation du marché réalisé par Euroconsult au sujet des programmes spatiaux gouvernementaux.
Des programmes dissimulés de développement de fusées
Les racines de l’exploration spatiale moderne dans la région remontent au début des années 1960.
« Au Moyen-Orient, la fascination pour l’exploration spatiale est un phénomène d’après-guerre », remarque Jörg Matthias Determann, professeur associé d’histoire, science, technologie et société à la Virginia Commonwealth University School of the Arts au Qatar.
Comme il l’explique, le président égyptien Gamal Abdel Nasser a commencé à développer un programme spatial national au début des années 1960 avec l’aide de l’expertise allemande, mais celui-ci a été interrompu à la suite de la guerre des Six Jours contre Israël en 1967.
Malgré ce revers, l’Égypte a établi un record dans la région au cours des trois dernières décennies en lançant neuf satellites dans l’espace, en particulier à des fins de communication et de télédiffusion.
L’Union africaine a décidé de créer une agence spatiale en 2017, dont le siège se trouve en Égypte et qui devrait être opérationnelle en 2023.
« Les conflits au Moyen-Orient ont encouragé les pays de la région à investir dans la défense et le développement de fusées afin d’obtenir un avantage qualitatif par rapport à leurs voisins », indique Jörg Matthias Determann.
« Les programmes spatiaux sont également utiles car ils leur permettent de dissimuler des programmes de développement de fusées et d’acquérir une autre forme de légitimité. »
Même si, au cours des dernières années, le succès des initiatives spatiales au Moyen-Orient a été variable, plusieurs pays ont affiché un regain de dynamisme et d’intérêt pour la question.
L’une des premières expériences scientifiques d’exploration spatiale au Moyen-Orient a été menée au Liban de 1960 à 1964.
Le pays a accueilli le premier programme spatial civil grâce à un groupe d’étudiants de l’université Haigazian de Beyrouth qui ont monté un programme scientifique visant à construire une fusée.
Dirigée par le professeur Manoug Manougian, la Haigazian College Rocket Society (HCRS) a lancé plusieurs fusées durant cette période. Après le premier lancement, l’armée libanaise a coopéré avec la HCRS.
« Chaque lancement de fusée était un événement au Liban. C’est devenu un phénomène national », affirme Mira Yardemian, directrice des relations publiques de l’université Haigazian.
« En 1963, environ 15 000 personnes ont assisté au lancement de la fusée Cèdre IV, qui a atteint une altitude de 140 km. »
Le Liban a même commémoré l’événement avec un timbre.
Mais lorsque le professeur Manougian est rentré aux États-Unis, le projet a pris fin : l’armée libanaise voulait développer des fusées à des fins militaires, alors que Manoug Manougian et l’université Haigazian préféraient s’en tenir à la recherche scientifique.
Le premier Arabe dans l’espace
Pour voir le premier Arabe dans l’espace, le Moyen-Orient a dû attendre 1985.
Le prince saoudien Sultan ben Salmane ben Abdelaziz al-Saoud est devenu le premier Arabe à voyager dans l’espace grâce au programme de lancement de la navette spatiale Discovery de la NASA en 1985.
L’Arabie saoudite est également devenue le principal actionnaire de l’Organisation arabe des satellites de communications (Arabsat), un opérateur de satellites de communication créé dans le but de fournir des services de télécommunications par satellite publics et privés à ses 21 pays membres.
L’intérêt du royaume pour l’exploration spatiale a été ravivé en 2018 avec la nomination du prince Sultan à la présidence de la Commission spatiale saoudienne.
L’Arabie saoudite a déclaré qu’elle prévoyait d’investir 2,1 milliards de dollars dans son programme spatial d’ici 2030.
« Dans l’espace, tout est différent »
Le pilote militaire syrien Muhammed Faris est devenu le deuxième Arabe à aller dans l’espace, deux ans après le prince Sultan.
Dans les années 1980, la Syrie a envoyé Muhammed Faris en Union soviétique, où il a finalement décollé en tant que cosmonaute chercheur dans le cadre du programme Interkosmos vers la station spatiale Mir en juillet 1987, passant près de huit jours dans l’espace.
« J’ai participé à treize expériences scientifiques et j’ai effectué des essais physiques et chimiques », raconte Muhammed Faris. « J’ai aussi pris des clichés de la Terre depuis l’espace pour constater l’impact de la pollution de l’air et de l’eau. Par ailleurs, j’ai fait construire une machine en Syrie pour étudier les différentes couches du ciel terrestre jusqu’à 200 km d’altitude. »
Muhammed Faris a été décoré du titre de « héros de l’Union soviétique » le 30 juillet 1987, ainsi que de l’ordre de Lénine.
« Quand j’étais dans l’espace, je voyais la vie sous un autre angle, car quand on est dans l’espace, tout est différent », confie Muhammed Faris.
« Le corps sent qu’il évolue dans des conditions anormales. Mais quand je suis revenu de l’espace, j’ai ressenti davantage d’empathie. J’ai eu l’impression que la Terre était comme ma mère. Et nous devons la sauver. »
Comme l’Égypte, un autre pays de la région a dû arrêter son programme spatial en raison de troubles politiques : il s’agit de l’Irak de l’ancien président Saddam Hussein.
Le programme spatial irakien a duré de 1988 à 1990, période au cours de laquelle l’Irak a développé un satellite à énergie solaire appelé Al-Ta’ir (oiseau). En 1989, le pays a lancé une fusée de 25 mètres de long depuis une rampe de lancement près de Bagdad.
L’année suivante, un deuxième essai de lancement appelé Al-Kharief (automne) a été planifié, mais l’invasion du Koweït par l’Irak en août 1990 a entraîné la suspension de toutes les activités.
En 1988, Saddam avait commandé un canon spatial à Gerald Bull, inventeur canadien et grand spécialiste de l’artillerie, qui avait reçu un acompte de 25 millions de dollars. Le projet Babylone visait à produire un canon destiné à mettre des satellites en orbite.
Bien qu’il ait pu livrer un prototype plus petit du canon, baptisé « Baby Babylon », le projet a été interrompu après l’assassinat de Gerald Bull en 1990, attribué aux services secrets israéliens.
Avec des projets de développement de fusées présentant clairement un potentiel d’utilisation non pacifique, le programme spatial iranien, établi en 2003, a été critiqué par les États-Unis et l’Europe en raison de sa portée militaire.
L’Iran a lancé quatre satellites de recherche et testé deux fusées spatiales. En 2013, le pays a affirmé avoir envoyé un singe dans l’espace.
La Turquie vise la lune à l’horizon 2023
Contrairement aux autres pays de la région, Israël est l’un des sept pays à avoir construit ses propres satellites et lanceurs.
Le Conseil national pour la recherche spatiale a été créé par le gouvernement en 1960 et une agence spatiale a été formée en 1983. L’agence, qui développe des satellites à des fins de reconnaissance et commerciales, travaille sur différents projets, dont la recherche spatiale.
En plus de l’agence nationale, l’organisation israélienne privée SpaceIL a lancé un atterrisseur nommé Beresheet qui est entré en orbite autour de la Lune le 4 avril 2019. Une semaine plus tard, pendant sa procédure d’atterrissage, les communications avec Beresheet ont été perdues et l’atterrisseur s’est écrasé sur la Lune.
Désormais, avec le succès de la mission martienne ce mois-ci, l’industrie spatiale mondiale a les yeux rivés sur l’Agence spatiale des Émirats arabes unis (UAESA), créée en 2014.
Ses scientifiques étudieront les cycles météorologiques martiens ainsi que les événements météorologiques dans la basse atmosphère ; ils fourniront également des informations sur la perte d’hydrogène et d’oxygène dans l’atmosphère et les autres facteurs potentiellement à l’origine de changements climatiques radicaux sur Mars.
L’agence, qui a obtenu environ 5,2 milliards de dollars de financement de la part du gouvernement ainsi que d’entités privées et semi-privées, a également pour objectif de déployer en 2024 un rover lunaire baptisé Rashid afin d’étudier le satellite terrestre.
D’autres pays de la région développent des programmes de recherche et spatiaux, notamment la Turquie, qui a annoncé ce mois-ci un programme de dix ans prévoyant une mission lunaire à l’horizon 2023.
La première étape de la mission devrait se faire « par le biais d’une coopération internationale », tandis que la seconde étape emploierait des fusées turques, a déclaré le président Recep Tayyip Erdoğan le 9 février.
Les pays du Moyen-Orient ont lancé plus de vingt satellites au cours des dernières années et de nombreux autres sont en cours de planification. Oman espère lancer son premier satellite en 2024.
Dans le même temps, Simon Seminari d’Euroconsult estime que la nouvelle course spatiale lancée ces dernières années par les agences spatiales occidentales et des sociétés privées telles que SpaceX d’Elon Musk a eu un impact positif sur les pays du Moyen-Orient.
« De nombreuses raisons contribuent à expliquer cet intérêt et ce dynamisme, parmi lesquelles le désir de réduire la dépendance vis-à-vis des ressources pétrolières et gazières et de diversifier l’économie », affirme-t-il.
« Utile à l’humanité »
Le succès du programme spatial émirati semble avoir stimulé l’enthousiasme pour l’investissement dans le domaine spatial et les experts s’attendent à ce que le dynamisme du Moyen-Orient dans ce secteur perdure.
Selon Simon Seminari, l’engouement persiste également au sein de l’économie spatiale commerciale, qu’Euroconsult a évaluée à plus de 300 milliards de dollars en 2020.
« Les investissements des gouvernements dans le domaine spatial peuvent accroître les opportunités commerciales et favoriser l’innovation, les développements technologiques et la création de start-up et d’entreprises », affirme Simon Seminari.
Cet intérêt pour le domaine spatial peut également inciter les jeunes à obtenir des diplômes dans plusieurs domaines, notamment les sciences, l’ingénierie, les mathématiques et la technologie, et augmenter ainsi la capacité humaine globale parmi la population du pays.
Jörg Matthias Determann estime toutefois qu’une coopération internationale est essentielle à la réussite d’un programme spatial.
« Ce qui manque encore dans la région, c’est l’expertise internationale, un élément primordial », affirme-t-il.
« Même un pays comme les États-Unis a besoin d’une expertise étrangère pour développer son programme spatial. La mission martienne des Émirats aurait dû faire appel à l’expertise américaine. »
Sur le plan de la recherche scientifique, l’ancien cosmonaute syrien Muhammed Faris pense que toute découverte extraterrestre sera utile à l’humanité.
« J’espère que la mission martienne des Émirats reviendra avec des résultats positifs et qu’ils trouveront quelque chose de bénéfique pour la Terre », confie-t-il.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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