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Deux journalistes arrêtés depuis le 1er janvier : inquiétudes pour la liberté de la presse en Tunisie

En trois jours, les forces de sécurité tunisiennes ont arrêté un journaliste à la tête d’une émission de radio et un journaliste du bureau d’Al Jazeera
Le 1er janvier, un autre journaliste tunisien, Zied Heni, 59 ans, a été placé sous mandat de dépôt en attente d’un procès prévu le 10 janvier (AFP/Fethi Belaïd)
Le 1er janvier, un autre journaliste tunisien, Zied Heni, 59 ans, a été placé sous mandat de dépôt en attente d’un procès prévu le 10 janvier (AFP/Fethi Belaïd)
Par MEE

L’année commence mal pour les journalistes tunisiens. Mercredi 3 janvier dans la soirée, les forces de sécurité tunisiennes ont arrêté un journaliste du bureau local de la chaîne de télévision qatarie Al Jazeera, a indiqué à l’AFP son directeur.

« Notre collègue Samir Sassi a été arrêté après que les forces de sécurité ont perquisitionné son domicile et ont saisi son ordinateur, son téléphone et ceux de sa femme et de ses enfants », a expliqué Lotfi Hajji.

Le responsable a dit ne pas savoir où ce journaliste tunisien quinquagénaire a été emmené ni les motifs de son interpellation.

Traduction : « Photos de l’assemblée générale du Syndicat national des journalistes tunisien, mercredi 3 janvier 2024, centrée sur les prochaines étapes les plus importantes de la lutte du syndicat pour la défense des droits et des libertés et la libération des collègues Zied Heni, Khalifa Gasmi et notre consœur Chadha Hadj Mbarek. »

Son domicile a été fouillé. Les forces de l’ordre ont saisi son ordinateur personnel, son téléphone ainsi que les téléphones de son épouse et de ses enfants.

Le bureau d’Al Jazeera, chaîne télévisée basée au Qatar, est officiellement fermé depuis le coup de force par lequel le président Kais Saied s’est octroyé les pleins pouvoirs le 25 juillet 2021.

Aucune explication officielle n’a été fournie pour cette fermeture et les journalistes de la chaîne ont été autorisés à continuer de travailler.

Réunion du syndicat national

Le 1er janvier, un autre journaliste tunisien, Zied Heni, 59 ans, a été placé sous mandat de dépôt en attente d’un procès prévu le 10 janvier. Il est accusé d’avoir porté « atteinte à la personne » de la ministre du Commerce, Kalthoum Ben Rejeb, lors d’une émission radio qu’il anime régulièrement.

« Quelques heures seulement après avoir critiqué l’inaction supposée de la ministre du Commerce, qu’il a qualifiée de ‘’kazi ‘’ [guignole], le journaliste a été placé en garde à vue et a passé la nuit en détention », rapporte RFI.

Selon Jeune Afrique, Zied Heni reprochait à la ministre d’avoir « refusé d’inclure dans la distribution des quotas de farine un projet de boulangerie qui avait eu l’aval de toutes les autorités locales et régionales de Siliana [nord-ouest]. L’homme de presse évoquait notamment la situation à Sidi Hamada, soulignant que le projet répondait aux besoins locaux, en créant des emplois et surtout en assurant une distribution régulière de pain dans cette région ».

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Zied Heni est très connu depuis sa participation active à la révolution qui a fait chuter le dictateur Zine el-Abidine Ben Ali en janvier 2011 et donné le coup d’envoi du Printemps arabe dans toute la région.

Une vingtaine de journalistes font actuellement l’objet de poursuites en Tunisie, dont deux sont en détention.

Le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) a tenu une réunion mercredi sur les cas de Zied Heni, Khalifa Gasmi (journaliste de la radio Mosaïque FM condamné à cinq ans de prison par la cour d’appel de Tunis en mai 2023) et Chadha Hadj Mbarek, journaliste du quotidien Le Maghreb, en prison depuis le 22 juillet 2023.

La Fédération internationale des journalistes (FIJ) a dénoncé cette semaine l’arrestation de Zied Heni effectuée en vertu du « décret 54 » qui punit d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à dix ans les personnes accusées de diffusion de « fausses nouvelles ».

Fin juin, le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk, avait fait part de « sa profonde inquiétude » face aux atteintes aux libertés en Tunisie, en particulier la liberté de la presse.

Depuis 2021, la Tunisie a perdu 48 places au classement de la liberté de la presse de l’ONG Reporters sans frontières (RSF), passant de la 73e place à la 121e sur 180 pays.

« L’amendement constitutionnel de juillet 2022, dotant le président de larges pouvoirs législatifs au détriment des contre-pouvoirs qui existaient jusque-là, a mis en péril la séparation des pouvoirs et fait peser une lourde menace sur les acquis de la révolution tunisienne en matière de liberté de la presse », souligne RSF.

« L’affaiblissement de l’indépendance du pouvoir judiciaire fait craindre que son interprétation des restrictions serve des intérêts politiques sous couvert de prétendus impératifs sécuritaires. En outre, la justice tunisienne persiste à se baser sur des textes hérités de l’ère Ben Ali, au lieu de s’appuyer sur les décrets-lois de 2011 plus favorables à la liberté de la presse et de l’information. »

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