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En Égypte, chasse au dollar, dette et rationnement

Le Caire est pris à la gorge : il n’a plus que 33,5 milliards de dollars de réserve contre 41 en février – dont 28 sous forme de dépôts des alliés du Golfe – et sa dette extérieure a plus que triplé en dix ans, à 150 milliards d’euros
 Avec la majorité des biens importés et un bond de 8 % des taux d’intérêt, tout a fondu : les galettes de pain, les falafels, les bouteilles d’huile, etc. (AFP/Khlaed Desouki)
 Avec la majorité des biens importés et un bond de 8 % des taux d’intérêt, tout a fondu : les galettes de pain, les falafels, les bouteilles d’huile, etc. (AFP/Khlaed Desouki)
Par AFP à LE CAIRE, Égypte

Retraits bancaires limités, rationnement et publicité pour les bienfaits nutritionnels des pattes de poulet : en Égypte, les dollars manquent et les ménages ne peuvent plus remplir leurs paniers.

Officiellement l’inflation atteint 18,7 % mais « le pain que j’achetais à une livre est désormais à trois », raconte à l’AFP Rehab, 34 ans.

« Mon mari gagne 6 000 livres par mois [230 euros], avant on tenait 30 jours avec ça, aujourd’hui on passe dans le rouge au bout de dix », poursuit-elle.

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Avec la majorité des biens importés et un bond de 8 % des taux d’intérêt, tout a fondu : les galettes de pain, les falafels, les bouteilles d’huile, les sachets de légumineuses et même les paniers à prix subventionnés des 70 millions d’Égyptiens considérés comme « pauvres » et donc détenteurs d’une carte de rationnement.

Au supermarché, des panneaux préviennent : « maximum trois sachets de riz », « pas plus de deux bouteilles de lait » ou « une bouteille d’huile ». 

Dans les journaux, le Conseil national de l’alimentation vante « les pattes de poulets, bénéfiques pour l’organisme et le portefeuille ».

Car la viande – surgelée et importée, deux fois moins chère que la viande fraîche – n’est « plus une option : elle est passée de 85 à 150 livres le kilo », commente Rida, 55 ans, qui elle aussi refuse de donner son nom.

Une monnaie dévaluée

Cette matriarche peine à nourrir sa famille de treize personnes : « je suis fonctionnaire et je fais des ménages dans un hôpital, mais même avec deux salaires il y a plein de choses que je ne peux plus acheter », explique-t-elle à l’AFP.

Si les prix flambent, c’est aussi parce que les importateurs peinent à débloquer des dollars : actuellement, sept milliards de dollars de produits sont bloqués dans les ports, selon les autorités. 

Et la désinformation prospère : les marques chinoises Realme et Oppo et même McDonald’s sont régulièrement données sur le départ sur les réseaux sociaux. 

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Car, échaudées par l’hémorragie du début de la guerre en Ukraine, quand des investisseurs ont sorti des milliards de dollars, plusieurs banques limitent désormais les retraits en dollars à l’étranger et ont triplé les frais d’utilisation de la carte bancaire alors que chez les changeurs, les billets verts sont introuvables.

Même le très pro-régime Amr Adib s’est énervé dans son talk-show : « laissez au moins les Égyptiens en vacances retirer de l’argent pour leur taxi de retour ! ».

Mais Le Caire est pris à la gorge : il n’a plus que 33,5 milliards de dollars de réserve contre 41 en février – dont 28 sous forme de dépôts des alliés du Golfe – et sa dette extérieure a plus que triplé en dix ans, à 150 milliards d’euros. 

En mars, puis en octobre, Le Caire a dévalué sa monnaie. Mercredi, la livre a encore perdu plus de 8 %. En moins de dix mois, elle aura chuté de près de 70 %.

Et pour les experts, tous les voyants sont passés au rouge quand deux banques publiques ont annoncé mercredi délivrer des certificats de dépôt avec 25 % d’intérêt sur un an.

Malgré tout, l’Égypte reste l’un des cinq pays les plus à risque de ne pas rembourser sa dette extérieure selon Moody’s.

Et les trois milliards de dollars du nouveau prêt du FMI pèsent peu : le seul service de la dette pour 2022-2023 s’élève à 42 milliards.

Au bénéfice de l’armée

Le ministre des Transports, Kamel al-Wazir, a proposé une solution : faire payer le train en dollars aux touristes.

« Il me faut des dollars pour payer les trains importés. Ça arrange les touristes et moi aussi », expliquait récemment Kamel al-Wazir.

« L’argent, je sais comment le gérer, ne vous en mêlez pas »

- Abdel Fattah al-Sissi

Mais pour dégager plus d’argent, l’État veut privatiser tous azimuts. À tel point que l’opinion publique s’inquiète que l’Égypte perde sa souveraineté sur son joyau : le canal de Suez.

Il n’est « pas à vendre » a martelé le régime, mais le président Abdel Fattah al-Sissi, lui, aimerait piocher dans ses revenus – pour créer un fond qu’il gèrera lui-même.

« L’argent, je sais comment le gérer, ne vous en mêlez pas », lançait-il récemment.

Pour Stephan Roll, du German Institute for International and Security Affairs, l’Égypte s’endette pour « consolider [son] régime autoritaire ».

« L’armée, sur laquelle M. Sissi se repose, est le premier bénéficiaire : l’endettement extérieur protège ses revenus et ses biens et finance des méga-projets qui lui rapportent gros » puisque la plupart des grands travaux sont confiés au génie militaire, ajoute-t-il.

Loin des villes nouvelles et des trains électriques rutilants, Rehab voulait seulement acheter un manteau à sa fille pour l’hiver.

« Mais à 1 000 livres, j’ai dû renoncer », dit-elle, les yeux embués.

Par Sarah Benhaida et Mona Salem.

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