Les Égyptiennes obtiennent le gel d’un projet de loi ramenant le pays « 200 ans en arrière »
Soumises à une législation patriarcale vieille d’un siècle, les Égyptiennes bataillent pour s’affranchir de la tutelle des hommes de leur famille et ont récemment obtenu le gel d’un projet de loi qui menaçait de restreindre encore davantage leurs droits.
En Égypte, le statut personnel des femmes de 1920, influencé par la loi islamique, régit les dispositions liées au mariage, au divorce, à l’héritage ou encore à la garde des enfants.
Nutritionniste âgée d’une trentaine d’années, May Nasser a récemment raconté sur Facebook le casse-tête administratif qu’elle a longtemps vécu en tant qu’enfant de parents divorcés.
« À chaque fois que j’avais besoin de documents pour changer d’école, pour voyager ou pour tout autre démarche administrative, j’ai dû attendre que mon père, vivant à l’étranger, m’envoie son autorisation », témoigne-t-elle.
En ce début d’année, le gouvernement a certes porté auprès du Parlement un projet de loi sur le système de tutelle pesant sur les quelque 50 millions d’Égyptiennes. Mais, au lieu de le supprimer, il visait à restreindre encore leurs droits en permettant aux pères ou aux frères d’annuler le mariage des femmes de leur famille.
Il prévoyait aussi de prohiber leurs voyages à l’étranger sans l’autorisation d’un tuteur masculin ou encore niait aux mères le droit de déclarer leur enfant à la naissance.
Selon Nihad Abou Komsane, présidente du Centre égyptien des droits des femmes, ce projet de loi a été conçu pour priver « les femmes de toute capacité et personnalité juridiques, [ramenant] l’Égypte 200 ans en arrière ».
Pour faire front, des Égyptiennes ont alors lancé une campagne, notamment sur les réseaux sociaux, en multipliant les témoignages et critiques du régime sexiste imposé aux femmes.
« En 1956, les femmes égyptiennes ont obtenu des droits politiques tels que le droit de vote, d’éligibilité et d’accéder aux plus hautes fonctions de l’État », mais le statut personnel est resté en vigueur, explique à l’AFP la militante féministe Hoda al-Sadda.
Une progression en politique
En découle un régime de « citoyenneté partielle » : « une ministre participant à des sommets internationaux […] ne peut retirer des documents concernant ses enfants à l’école sans la présence du père », dénonce-t-elle.
Et les femmes n’ont d’autorité ni sur leurs enfants ni sur elles-mêmes : ces responsabilités sont déléguées « aux hommes de leur famille », regrette la militante. Une mère ne peut ainsi gérer les comptes bancaires de ses enfants, même si l’argent qui y a été déposé est le sien, car seul le père détient la tutelle financière.
Pourtant, la place des femmes a progressé en politique ces dernières années : elles occupent huit portefeuilles ministériels dans le gouvernement actuel (24 % des ministères) et 168 sièges sur les 569 du Parlement (27 %).
Révisée en 2019, la Constitution prévoit un quota minimum de 25 % de femmes députées à la Chambre basse.
Selon Ahmed al-Tayeb, grand imam d’al-Azhar, les femmes peuvent « occuper de hautes fonctions », « voyager sans responsable légal » ou encore « se réserver une part de l’héritage de leurs époux »
Et, début juin, le Conseil suprême de la magistrature a autorisé pour la première fois les femmes à travailler au Parquet et au Conseil d’État, même si pour la professeure de droit à l’université d’al-Azhar, Omnia Taher, cette décision ne permettra pas de mettre « fin à la discrimination » judiciaire de genre.
Dans leur long combat, les Égyptiennes, appuyées par des ONG, ont finalement remporté une première victoire en obtenant le gel de l’examen du projet de loi au Parlement.
Plus important encore, le grand imam d’al-Azhar, la principale institution de l’islam sunnite au Caire, a pris le texte gouvernemental à contre-pied.
Sur Twitter, Ahmed al-Tayeb a estimé que les femmes pouvaient « occuper de hautes fonctions », « voyager sans responsable légal » ou encore « se réserver une part de l’héritage de leurs époux ».
Leurs tuteurs ne peuvent « leur interdire de se marier sans motif valable », a-t-il jugé.
Par pragmatisme, certaines militantes souhaitent s’appuyer sur la position de l’imam pour servir leur cause.
L’institution al-Azhar, « qu’on le veuille ou non », a un poids considérable sur la société égyptienne, a rappelé la chercheuse féministe Nevine Abid lors d’une récente visioconférence. En conséquence, la loi prend en compte les propos du grand imam, a-t-elle assuré.
Mais pour la journaliste Ranim al-Afifi, créatrice d’un site féministe d’informations, il faut une réglementation « civile » du statut personnel et rejeter toute influence religieuse.
« Sinon, on restera coincés dans une crise perpétuelle d’interprétation religieuse », s’inquiète-t-elle. Et gare à ne pas laisser le gel du projet de loi « absorber temporairement la colère des femmes », prévient-elle.
Par Mona Salem.
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