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Après la crise, l’Espagne s’emploie à se réconcilier avec le Maroc

La lune de miel Rabat-Madrid survient au moment où la France est clouée au pilori par les politiciens et les médias marocains qui l’accusent d’avoir « orchestré » une résolution du Parlement européen s’inquiétant de la liberté de la presse au Maroc
Le Premier ministre marocain Aziz Akhannouch (à droite) serre la main de son homologue espagnol Pedro Sánchez lors de la 12e session de la réunion de haut niveau Maroc-Espagne, au ministère des Affaires étrangères à Rabat, le 2 février 2023 (AFP)
Par AFP

Après une profonde crise diplomatique, l’Espagne et le Maroc ont consolidé leur réconciliation jeudi à Rabat, malgré des critiques à Madrid contre de trop nombreuses concessions du Premier ministre Pedro Sánchez.

Pedro Sánchez, accompagné d’une douzaine de ministres, a co-présidé une « réunion de haut niveau » (RHN) avec son homologue Aziz Akhannouch, la première depuis 2015.

« Nous consolidons aujourd’hui la nouvelle étape dans les relations entre le Maroc et l’Espagne que nous avons ouverte », a-t-il déclaré, en vantant « l’énorme potentiel non exploré de cette relation ».

Avant son arrivée à Rabat mercredi, le Premier ministre socialiste s’est entretenu au téléphone avec le roi Mohammed VI qui l’a invité à revenir « très prochainement » au Maroc pour une visite officielle « en vue de renforcer cette dynamique positive », selon le cabinet royal.

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Pedro Sánchez a mis fin en mars dernier à un an de brouille diplomatique avec le Maroc en acceptant d’appuyer les positions marocaines sur le Sahara occidental.

La crise avait éclaté en avril 2021 après l’hospitalisation en Espagne – sous une fausse identité selon Rabat – du chef des indépendantistes sahraouis du Front Polisario, Brahim Ghali, ennemi juré du Maroc.

La lune de miel Rabat-Madrid survient au moment où la France – autre partenaire historique de Rabat – est clouée au pilori par les politiciens et les médias marocains qui l’accusent d’avoir « orchestré » une résolution du Parlement européen s’inquiétant de la liberté de la presse au Maroc et d’allégations de corruption d’eurodéputés à Bruxelles.

Mais cette idylle n’est pas du goût de tout le monde en Espagne.

La formation de gauche radicale Podemos, membre de la coalition gouvernementale, n’a pas souhaité être du voyage à Rabat, arguant de son opposition au virage « unilatéral » de Pedro Sánchez sur le Sahara occidental. Un revirement applaudi à Rabat et dénoncé à Alger, qui soutient les indépendantistes.

Le fait que Sánchez n’ait pas été reçu par Mohammed VI est vu comme un camouflet en Espagne par l’opposition de droite et la presse.

Le Parti populaire, principale force d’opposition, a déploré jeudi, par la voix de son coordinateur général Elías Bendodo, que « l’Espagne ait donné une image de faiblesse ».

« L’absence de Mohamed VI gâche le sommet », a écrit le quotidien El País (centre-gauche) tandis que le journal El Mundo (conservateur) titrait : « Mohammed VI montre sa position de force à l’égard de l’Espagne en posant un lapin à Sánchez ».

Nouveau partenariat économique

Pedro Sánchez a dit souhaiter le développement de « nouveaux projets d’investissement accompagnant l’extraordinaire processus de développement et de modernisation du Maroc ».

« Le Maroc et l’Espagne souhaitent établir un nouveau partenariat économique au service du développement », a souligné de son côté Aziz Akhannouch.

Une vingtaine d’accords ont été signés jeudi en vue de faciliter les investissements espagnols au Maroc – l’Espagne y est le troisième investisseur étranger –, dans les domaines des énergies renouvelables, du dessalement de l’eau, du transport ferroviaire, du tourisme, de l’éducation et de la culture.

À cet effet a été approuvé un nouveau protocole financier qui doublera – à 800 millions d’euros – les aides du gouvernement espagnol pour des projets d’investissement au Maroc.

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Dans les tuyaux également, un accord visant à « normaliser totalement le passage des personnes et des marchandises » par les frontières maritimes et terrestres.

L’ouverture des passages terrestres concernent les enclaves espagnoles de Melilla et de Ceuta, dans le nord du Maroc.

Sans oublier les dossiers de l’immigration clandestine et la lutte antiterroriste.

Madrid a mis en avant la baisse de plus de 25 % de l’immigration illégale en 2022 grâce à sa coopération policière avec Rabat, avec 31 219 migrants entrés illégalement en Espagne en 2022.

Cette coopération, saluée par Rabat, a toutefois été ternie par la mort d’au moins 23 migrants soudanais qui avaient tenté, en juin dernier, de s’introduire dans l’enclave de Melilla via la ville frontière marocaine de Nador.

Le ministre de l’Intérieur, Fernando Grande-Marlaska, devait d’ailleurs plaider auprès de son homologue marocain, Abdelouafi Laftit, pour réactiver les voies d’expulsion des migrants en situation irrégulière et retrouver les niveaux antérieurs à la pandémie de covid-19, selon une source du ministère espagnol.

Rabat est enfin considéré comme un partenaire clé dans la lutte antiterroriste. Un sujet important pour Madrid après une attaque fin janvier imputée à un jeune Marocain en situation irrégulière contre deux églises à Algésiras (sud) dans laquelle un sacristain a été tué.

Par Philippe Agret, avec Mathieu Gorse à Madrid.

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