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« Jusqu’où ira la police du vêtement ? » : en France, l’interdiction de l’abaya à l’école déjà très critiquée

À quelques jours de la rentrée scolaire, les propos du ministre de l’Éducation offusquent la gauche française et inquiètent les défenseurs de la laïcité
Une jeune fille voilée manifeste devant l’hôtel de ville de Toulouse, le 17 janvier 2004, lors d’un rassemblement silencieux regroupant plus d’une centaine de personnes, pour la plupart des femmes, pour protester contre le projet de loi interdisant le port du voile islamique à l’école (AFP/Éric Cabanis)
Une jeune fille voilée manifeste devant l’hôtel de ville de Toulouse, le 17 janvier 2004, lors d’un rassemblement silencieux regroupant plus d’une centaine de personnes, pour la plupart des femmes, pour protester contre le projet de loi interdisant le port du voile islamique à l’école (AFP/Éric Cabanis)
Par MEE

« Islamophobie d’État », « démagogique », « police du vêtement »… Les propos du ministre français de l’Éducation, Gabriel Attal, dimanche 27 août sur la chaîne TF1 ont immédiatement suscité de vives réactions sur les réseaux sociaux, en particulier chez les politiques de gauche.

« On ne pourra plus porter d’abaya à l’école » en France, a-t-il annoncé, affirmant vouloir donner des « règles claires au niveau national » aux chefs d’établissements scolaires.  

Le ministre a prévu de s’entretenir « dès la semaine prochaine » avec les responsables d’établissements scolaires pour les aider à appliquer cette interdiction.

Gabriel Attal, qui avait dès la prise de ses fonctions cet été souhaité la fermeté sur les questions de laïcité, a souligné que l’abaya était « un geste religieux, visant à tester la résistance de la République sur le sanctuaire laïque que doit constituer l’École », promettant la fermeté à ce sujet.

« Vous rentrez dans une salle de classe, vous ne devez pas être capable d’identifier la religion des élèves en les regardant », a expliqué le ministre en promettant de former « aux enjeux de laïcité 300 000 personnels par an jusqu’en 2025 » et l’ensemble des 14 000 personnels de direction d’ici fin 2023.

« La fermeté de la réponse de l’école est mise à l’épreuve par ces nouveaux phénomènes, face aux coups de boutoir, face aux attaques, face aux tentatives de déstabilisation », a déclaré Gabriel Attal. « Nous devons faire bloc. Et nous allons faire bloc. »

Loi du 15 mars 2004

Cette interdiction de l’abaya, longue robe traditionnelle couvrant tout le corps, a été décidée à la suite d’incidents qualifiés d’« atteintes à la laïcité » et rapportés de plus en plus nombreux selon une note des services de l’État, en particulier depuis l’assassinat en 2020 aux abords de son collège du professeur Samuel Paty. Ils ont ainsi augmenté de 120 % entre l’année scolaire 2021/2022 et 2022/2023.

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Le port de signes et de tenues, qui constitue la majorité de ces atteintes, a quant à lui augmenté de plus de 150 % tout au long de la dernière année scolaire.

En France, en vertu de la loi du 15 mars 2004, « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit », une circulaire précisant ces signes, à savoir « le voile islamique […], la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive ».

L’Éducation nationale s’était déjà emparée de l’abaya en novembre, dans une circulaire qui considérait ce vêtement – à l’instar des bandanas et des jupes longues, également cités – comme des tenues pouvant être interdites si elles sont « portées de manière à manifester ostensiblement une appartenance religieuse ».

Le prédécesseur de Gabriel Attal, Pap Ndiaye, interpellé par les syndicats de chefs d’établissement sur la hausse du nombre des incidents liés à ces tenues, avait toutefois refusé de « publier des catalogues interminables pour préciser les longueurs de robes ».

En 2022, l’ex-ministre avait expliqué la hausse des signalements par les chefs d’établissement et autres personnels de l’Éducation nationale par l’emprise d’influenceurs islamistes sur les jeunes, via les réseaux sociaux, notamment TikTok.

Il avait alors promis de se montrer plus ferme tout en laissant les chefs d’établissement décider. Une méthode contestée à l’époque par le Syndicat national des personnels de direction de l’Éducation nationale (SNPDEN), qui lui avait répondu que les chefs d’établissement ne voulaient pas endosser « un rôle d’arbitre pour déterminer la nature de la tenue, religieuse ou non, ostensible ou non ».

Le syndicat a d’ailleurs salué la décision de Gabriel Attal, au même titre que des politiques de droite et d’extrême droite comme Florian Philippot, Robert Ménard ou Éric Ciotti.

Pour la gauche, l’interdiction de l’abaya illustre une fois de plus « l’obsession du gouvernement » pour les questions relatives à l’islam alors que le système scolaires est menacé par de plus sérieux problèmes : inégalités, pénurie d’enseignants, harcèlement, hausse continue du prix des fournitures scolaires…

Le Conseil français du culte musulman (CFCM) a publié ce lundi matin un communiqué pour « rappeler sa position » : « l’abaya n’est pas un vêtement religieux » puisqu’« aucun texte référentiel sur l’islam n’évoque une quelconque ‘’abaya’’. »

« Au nom de la laïcité et du principe de séparation des religions et de l’État, le CFCM conteste a fortiori qu’une autorité laïque puisse définir ce qui serait ou non religieux à la place des instances religieuses d’un culte, quel qu’il soit. » 

Dans un communiqué, La Vigie de la laïcité, organisme de veille sur les sujets liés à la laïcité, a souhaité mettre en garde contre le risque de mise en place d’une « police du vêtement contreproductive » à même de susciter « les provocations des élèves » et d’entraîner « davantage de replis en réaction ».

Elle a annoncé qu’elle serait « attentive à la circulaire précisant cette interdiction et la définition donnée à l’abaya ». Car « seuls des critères objectifs définissant une tenue ne pouvant factuellement pas être communément portée par des élèves en dehors de toute signification religieuse pourraient soutenir une telle interdiction sans s’opposer au principe de laïcité et à la loi du 15 mars 2004 ».

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