La France veut (re)criminaliser les appels au boycott de produits israéliens
« Peut-on encore espérer des autorités françaises une attitude rationnelle au sujet des appels au boycott des produits israéliens ? » Telle est la question que se pose l’Association française des universitaires pour le respect du droit international en Palestine (AURDIP) après la dépêche consacrée à « la répression des appels discriminatoires au boycott des produits israéliens » adressée aux procureurs par le ministère de la Justice français.
Cette missive officielle, envoyée le 20 octobre dernier, « s’efforce de préserver la pénalisation à la française des appels au boycott », selon l’AURDIP, alors que dans son arrêt Baldassi du 11 juin 2020, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) avait jugé que l’appel au boycott des produits israéliens ne pouvait pas en soi constituer une infraction pénale puisque couvert par la liberté d’expression.
La France n’ayant pas fait appel de cet arrêt, celui-ci est donc juridiquement définitif depuis le 11 septembre 2020.
« [La dépêche] ne parvient pas à masquer son but, qui est manifestement politique : réprimer à tout prix les appels au boycott des produits israéliens lancés dans le cadre de la campagne Boycott Désinvestissement Sanctions »
- Bertrand Heilbronn, président de l’Association France Palestine solidarité (AFPS)
« L’arrêt rendu le 11 juin par la Cour européenne des droits de l’homme est clair et sans ambiguïté : à l’unanimité des juges qui en étaient saisis, elle a estimé que le boycott des produits israéliens, comme celui de tout autre pays, fait partie intégrante de la liberté d’expression compte tenu de ses motivations politiques », explique à Middle East Eye Bertrand Heilbronn, président de l’Association France Palestine solidarité (AFPS).
« Par la circulaire (ou ‘‘dépêche’’) qu’il a fait envoyer aux procureurs, le gouvernement français cherche à brouiller ce message. Tout en reconnaissant l’arrêt de la CEDH, il s’obstine à rechercher, dans les seules actions d’appel au boycott des produits israéliens, des appels à la haine et à la discrimination », poursuit le président de l’AFPS.
Un deux poids, deux mesures en matière de liberté d’expression
Dans l’arrêt Baldassi, la CEDH insiste sur le fait qu’elle a « souligné à de nombreuses reprises que l’article 10 § 2 [de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales] ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou de questions d’intérêt général ».
Le juge européen rappelle également que les appels au boycott des produits israéliens concernent précisément « un sujet d’intérêt général, celui du respect du droit international public par l’État d’Israël et de la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés, et s’inscrivent dans un débat contemporain, ouvert en France comme dans toute la communauté internationale ».
Ahmed Abbes, secrétaire de l’AURDIP, pointe un deux poids, deux mesures dans l’interprétation du concept de liberté d’expression par le gouvernement français.
« Le président et le gouvernement français se présentent comme les champions de la liberté d’expression. Emmanuel Macron a dit [en référence à l’affaire des caricatures du prophète Mohammed] que la France n’allait pas ‘‘changer’’ son droit sur la liberté d’expression ‘‘parce qu’il choque ailleurs’’.
« Pourtant, la CEDH, dans un arrêt rendu à l’unanimité de ses juges, a désavoué de manière cinglante les autorités françaises qui ont, selon elle, violé la liberté d’expression de militants BDS [Boycott, Désinvestissement, Sanctions] ayant appelé au boycott de produits israéliens dans des supermarchés », commente-t-il pour MEE.
L’Association France Palestine Solidarité tient à rappeler pour sa part « qu’il existe, dans le domaine de la justice, une hiérarchie des normes : aucune circulaire aux procureurs ne peut effacer l’arrêt de la CEDH, qui s’impose désormais en droit français », appuie Bertrand Heilbronn.
Le président de l’AFPS insiste sur le fait que son association « poursuivra ses actions pour le respect des droits du peuple palestinien, dont le boycott des produits israéliens, tant qu’Israël ne respectera pas le droit international et les droits de l’homme ».
« Au final, la dépêche est plus que décevante en ce qui concerne son contenu juridique. Sans doute parce qu’elle ne parvient pas à masquer son but, qui est manifestement politique : réprimer à tout prix les appels au boycott des produits israéliens lancés dans le cadre de la campagne Boycott Désinvestissement Sanctions ».
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