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Bons baisers du bled, ou l’âge d’or du voyage initiatique aux pays des origines

Un documentaire revient sur le retour au pays des Maghrébins immigrés en France le temps des vacances d’été. Une œuvre intime à partir des témoignages et de la trame de l’histoire de l’immigration en France
Les archives filmées (privées) du voyage, de l’arrivée et des vacances au « bled » accentuent l’intimité des témoignages (ZED Production)
Les archives filmées (privées) du voyage, de l’arrivée et des vacances au « bled » accentuent l’intimité des témoignages (ZED Production)
Par MEE

Dans les années 1970-1980, près de cinq millions de passagers maghrébins installés en France ont pris le ferry pour passer leurs deux mois de vacances dans leur pays d’origine, le Maroc, l’Algérie ou la Tunisie.

Au-delà de la statistique – et de l’aspect escapade estivale –, un documentaire, Bons baisers du bled, réalisé par Linda Bendali et diffusé sur France 5 le 13 juin à 22 h 40, revient sur ces retours temporaires au pays à travers les récits intimes de la première et deuxième générations d’immigrés maghrébins en France.

Les archives filmées (privées) du voyage, de l’arrivée et des vacances au « bled » accentuent l’intimité des témoignages où se croisent humour et émotion, nostalgie et douleur de l’exil.

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Les témoignages, accompagnés de l’analyse et de la contextualisation de l’historienne Naïma Yahi, spécialiste de l’histoire culturelle des Maghrébins en France, relatent les étapes de cette épopée de l’été, qui commence toujours par l’image de ces « cathédrales », ces voitures qui « descendent » vers les ports du Sud, à Marseille ou en Espagne, écrasées par le poids des bagages sur leur galerie. Le défi étant de « faire entrer l’équivalant d’un appartement dans une voiture », s’amuse un des témoins de la seconde génération.

On raconte alors les cadeaux qu’il faut ramener, dénichés tout au long de l’année sur les marchés et chez Tati à la recherche des meilleures affaires pour faire plaisir à la famille, là-bas, sans trop se ruiner.

Et puis le voyage en voiture, long, harassant, en plein été, sans escales dans les hôtels trop chers – les stations-services et les aires de repos les remplacent – et enfin, l’arrivée au port, les longues attentes pour accéder à la soute du ferry.

Renouer les liens

Une fois sur le bateau, c’est le « temps de l’introspection », dit la voix off du documentaire.

Les enfants et les jeunes descendants de la première génération de l’immigration comprennent qu’ils forment une « communauté » avec la même histoire, issue de la même classe sociale.

Ils partent avec leurs parents pour se reconnecter au pays, eux qui sont nés en France, les pères et les mères craignant que l’ancrage dans la société française ne leur fasse oublier leurs racines. « Si tu ne sais pas d’où tu viens, tu n’existes pas », dit une des témoins, originaire de Kabylie.      

Deux logiques sous-tendent ces voyages d’été : du côté des parents, retrouver le pays qu’on a quitté ; du côté des enfants, découvrir le pays mythique des origines. Souvent, c’est le choc de la découverte pour ces gamins vivant dans des villes françaises qui se retrouvent dans la ruralité la plus démunie.

« Alors ici aussi nous ne sommes pas chez nous ? », se demandent les cousins venus de là-bas

Il y a aussi le décalage culturel, cet accent qu’on porte comme un stigmate, ces regards inquisiteurs… « Alors ici aussi nous ne sommes pas chez nous ? », se demandent les cousins venus de là-bas, ce là-bas qui a si mal accueilli leur parents, masse corvéable à souhait des Trente Glorieuses.

Mais le lien est quand-même renoué. Les parents tombent le masque de la pudeur et ouvrent les vannes des larmes douloureuses de l’exil et de la séparation une fois dans les bras des leurs restés au pays ; les enfants s’adaptent malgré leur exotisme à ce pays qu’ils découvrent au-delà des fantasmes des aînés.

Le lien se renforce, le temps d’un été. C’est le moment de la transmission et de la maturation lente d’une double identité assumée qui « prend ce qui est meilleur des deux appartenances », comme le dit l’une des intervenantes.

Pour ceux qui sont originaires d’Algérie, « l’âge d’or » des vacances au bled s’interrompt à l’orée de la décennie noire des années 1990, quand le pays sombre dans le tourbillon des violences, mais une autre génération reprend le voyage, la troisième, les petits-fils ; un voyage moins initiatique que touristique, sans les sacs Tati et les cadeaux pour chaque proche.

La société maghrébine est devenue une société de consommation et la mondialisation est passée par là, alors « on fait le deuil d’une société qui ne nous attend plus », pour reprendre l’historienne Naïma Yahi, mais qui est juste là, de l’autre côté de la mer, de l’écran du smartphone et du miroir des identités.     

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