Trop cher et trop compliqué : de nombreux Tunisiens de l’étranger ne veulent pas rentrer au pays cet été
Samedi, la Tunisie a rouvert ses frontières, fermées depuis mi-mars pour cause de coronavirus. À cette occasion et à l’approche des vacances estivales, le gouvernement a publié de nouvelles restrictions, après différentes mesures prises en fonction de la situation pandémique. Celles-ci classifient les pays selon leur niveau de risque dans une liste évolutive.
« Mais ce n’est toujours pas clair ! Ces nouvelles mesures sont encore floues », regrette Nejmeddine, qui vit à Paris et ne sait toujours pas s’il va rentrer ou non.
« Pourtant, en février, j’ai acheté les billets pour le 21 juillet, et là, je suis en suspens car rien n’est encore précis. La France est classée en orange, donc normalement, je n’ai besoin que du test. Mais je ne sais pas si je dois aussi me conformer à l’auto-isolement de quatorze jours. »
Chams, lui qui vit et travaille à Doha, a reporté son retour, prévu au printemps, au mois d’octobre. « Le Qatar est dans la liste rouge, je ne sais pas ce que cela implique car je n’ai rien compris au communiqué du ministère de la Santé », témoigne-t-il à Middle East Eye.
« Je sais qu’en plus du confinement obligatoire en Tunisie, un autre est obligatoire au Qatar, et à mes frais. Il me faut 4 700 dinars [1 500 euros] pour la formule la moins chère [les frais de quarantaine sont à la charge des arrivants]. C’est trop ! Je croise les doigts pour que la situation s’améliore d’ici octobre. »
Seuls les voyageurs en provenance des pays classés verts, à faible prévalence épidémique, ne sont soumis à aucune restriction.
En Allemagne, Nizar et sa famille ne rentrent pas non plus, bien que le pays soit listé vert. « Il n’y a aucune visibilité, trop de restrictions et de mesures qui changent. On n’arrive plus à suivre, donc on a décidé d’annuler notre retour », confie-t-il à MEE.
« C’est une occasion pour nous de changer de décor et découvrir l’Europe. On ira en Slovénie ou en Autriche. Quant à la famille, on peut l’avoir tous les jours via Skype », raconte l’informaticien, qui vit à Berlin avec sa femme et ses deux enfants depuis trois ans.
Si le retour en Tunisie rime avec vacances, la quarantaine représente pour certains un obstacle. Car les arrivants des pays de la liste orange [pays à risque de contamination modérée] devront non seulement présenter un test RT-PCR négatif, mais aussi se conformer à la quarantaine à domicile. Ils pourront toutefois raccourcir cette durée si au bout de six jours, une analyse, effectuée à la charge du patient, s’avère négative.
Les pays qui ne figurent dans aucune liste sont considérés à risque de contamination élevé. Seules les personnes ayant la nationalité tunisienne, résidant dans ces pays peuvent retourner en Tunisie en se conformant à la quarantaine obligatoire (sept jours dans un hôtel et sept jours à domicile).
« Sur quatre semaines de vacances, on passera la moitié du temps en quarantaine, en plus… d’une autre quarantaine de retour au Canada. Tout cela avec le spectre du virus. C’est une corvée, ce ne sont plus des vacances ! », déplore Rabiaa, qui avec son mari, a acheté les billets en mars sans grande conviction.
« J’ai annulé mon retour avant même l’allègement des restrictions. Le déplacement en lui-même me pèse », raconte à MEE cette maman de deux enfants en bas-âge habitant au Québec.
« Après trois heures en bus pour l’aéroport de Montréal, il faut compter environ dix-huit heures de voyage, y compris un transit en France. C’est très contraignant dans ce contexte de pandémie. »
Pour Nejmeddine, il est inconcevable de passer une seule semaine de confinement sur trois semaines de congés. « Dans ce cas, je passerai mes vacances dans le sud de la France. C’est aussi la Méditerranée, là-bas. »
Ce qui ne l’empêche pas de mettre en doute la fiabilité de la liste. « Elle est incompréhensible et politisée. L’Italie et la Chine, qui comptent plus de cas que la France, sont en vert, alors que la France est en orange. Je me demande sur quelle base le classement a été élaboré ? »
Appels à fermer les frontières
La classification des pays par l’Observatoire national des maladies nouvelles et émergentes (ONMNE) a suscité plusieurs critiques, certains la jugeant non conforme au classement de l’OMS.
Selon le docteur Habib Ghedira, membre du comité scientifique de lutte contre le coronavirus, cette liste se base sur des indicateurs scientifiques.
« L’Allemagne enregistre actuellement des cas de contamination dans des zones isolées, tandis que l’Italie avait stoppé la propagation communautaire du virus en dépit de l’enregistrement d’un certain nombre de décès. En revanche, la France continue d’enregistrer une propagation communautaire », a-t-il expliqué à l’agence de presse officielle TAP.
Avant de rouvrir les frontières, la Tunisie a choisi de rapatrier ses ressortissants tout au long de la période de confinement.
À leur arrivée, ils étaient soumis au confinement obligatoire dans un hôtel ou un foyer universitaire. Cette décision avait été prise après plusieurs plaintes contre ceux qui ne respectaient pas la quarantaine à domicile.
Des tarifs détaxés ont même été fixés, plus tard, selon la catégorie de l’hôtel, pour permettre un choix et faire oublier la qualité discutable des services dans certains centres de confinement.
Le 18 juin, le gouvernement a décidé de lever le confinement obligatoire sanitaire. L’autoconfinement n’étant pas tout le temps respecté en Tunisie, cette décision n’a pas toujours été bien accueillie, certaines voix appelant à « fermer les frontières ».
Dans une vidéo partagée plus de 6 000 fois, un médecin tunisien vivant en France appelle les autorités à fermer les frontières. « Personne ne garantit qu’on peut éviter une deuxième vague, tant qu’il n’y pas de médicament ni de vaccin », explique-t-il.
« Le plus important est que nous préservions la santé de nos familles et compatriotes », ajoute-t-il, en prônant le recours à la technologie pour contacter la famille ou gérer les affaires à distance aussi. « Ce n’est pas si grave si vous manquez vos vacances cette année. »
Rabiaa soutient cette initiative et estime qu’il est encore tôt pour ouvrir les frontières. « Personne n’a assez de recul sur la situation. La Tunisie a réussi à passer le cap. Il ne faut pas tout gâcher, vu qu’on n’est pas à la hauteur. Plusieurs personnes se sont conduites de manière irresponsable et n’ont pas respecté les consignes. »
Le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Marouane Abassi, a annoncé que la contribution des Tunisiens de l’étranger dans l’approvisionnement des caisses de l’État en devises était plus importante que celle des touristes, avec 5,2 milliards de dinars pour l’année 2019.
— willis from tunis (@willisfromtunis) June 27, 2020
Pendant ce chahut, une campagne de boycott a été lancée par des Tunisiens vivant à l’étranger, « Manech Mrawhin » (On ne rentre pas) dénonçant, essentiellement, la hausse des tarifs consulaires.
Cette augmentation est entrée en vigueur le 12 mai, faisant grimper en flèche certains prix. Par exemple, le renouvellement du passeport est passé de 30 à 88 euros et la carte consulaire de 8 à 17 euros.
« C’est la goutte qui a fait déborder le vase. On nous a d’abord dit que le confinement obligatoire nous coûterait 1 000 dinars [312 euros] par personne. Voilà maintenant qu’ils augmentent les tarifs consulaires ! Auxquels il faut ajouter le prix exorbitant des billets d’avion », énumère, en colère, Rim Schröder, créatrice du groupe Facebook Manech Mrawhin, regroupant aujourd’hui près de 35 000 adhérents.
« J’habite à Hanovre, en Allemagne. Pour me déplacer au consulat à Hambourg en train, il me faut 200 euros en plus. Et je ne vous parle pas encore du traitement indécent des agents sur place ! »
Prolongation de validité pour le passeport
Même si l’Allemagne figure dans la liste verte, Rim ne compte pas rentrer de sitôt. Elle continue sa campagne de boycott tant que les autorités ne reviennent pas sur ces nouveaux tarifs.
« Pourtant, mon fils de 13 ans m’attend afin de déposer ses papiers à l’ambassade pour un regroupement familial en Allemagne », regrette-t-elle.
Face à cette polémique, le ministre des Finances a annoncé la semaine dernière la prolongation de la validité du passeport tunisien, qui passera désormais de cinq à dix ans.
« Ils essaient de se rattraper », estime Nejmeddine. « Mais pour une famille de quatre personnes avec un revenu moyen, cela revient toujours trop cher. »
Rim déplore aussi la hausse des prix des billets d’avion. « Le billet que j’achète d’habitude pour venir en août, qui coûte 300 euros, est aujourd’hui à 700 euros. C’est trop pour une semaine ! Le touriste, lui, paie 300 euros pour une semaine all inclusive dans un hôtel, sans dépenser un sou de plus ! »
Rabiaa a dépensé 5 000 dollars (environ 3 200 euros) pour les billets d’avion. « J’ai payé une fortune, à laquelle je dois ajouter 5 000 dollars en tout pour les dépenses d’un mois. C’est un investissement non rentable si je dois passer la moitié du temps en isolement. Je préfère revenir l’année prochaine. Ce n’est pas la fin du monde si on rate une fois les vacances. »
« Le billet que j’achète d’habitude pour venir en août, qui coûte 300 euros, est aujourd’hui à 700 euros »
- Rim Schröder, créatrice du groupe Facebook Manech Mrawhin
Pour pouvoir rentrer, Mehdi, 26 ans, a déboursé 300 euros pour un aller simple contre 180 euros pour un billet aller-retour acheté en février. « Mon vol a été reporté deux fois avant d’être annulé par la compagnie. J’ai dû alors payer plus cher pour un aller simple. Je croirai que je suis rentré quand je mettrai les pieds sur le sol tunisien ! »
Si certains ont annulé leur retour, Mehdi attend avec impatience la réouverture des frontières. Cet ingénieur en informatique fait du télétravail depuis le début de la pandémie.
« Je travaille sur un projet qui va durer jusqu’en septembre. Puisque je travaille de chez moi, je préfère être entouré de ma famille et mes amis », témoigne-t-il à MEE.
Le jeune homme s’est envolé pour Tunis un jour après la réouverture des frontières. Pourtant, il avait prévu de rentrer en mai pour se marier. Sa fiancée devait le rejoindre en France plus tard.
« L’état sanitaire dans le monde est instable et je stresse car on ne sait pas comment la situation va évaluer du jour au lendemain. Mais il faut bien que la vie continue. J’ai des papiers et des engagements à respecter aussi. »
Avec seulement 1 172 cas, dont 1 029 guérisons, et 50 décès jusqu’à présent, la Tunisie s’est bien préparée pour la reprise touristique. Elle le promeut avec la campagne « Ready & Safe ».
Face à la multiplication des plaintes, le ministre des Finances Nizar Yaïche a annoncé lundi qu’un crédit sans intérêt de la Banque extérieure de Tunisie (TFB) allait être proposé aux Tunisiens de l’étranger. Ce crédit, qui peut atteindre 6 000 euros, devra être remboursé sur douze mois.
Vendredi, le Conseil mondial du voyage et du tourisme a accordé au pays le statut « Safe Travel Stamp », reconnaissant la destination comme « sûre » contre le COVID-19.
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