Aller au contenu principal

France : les menus de substitution dans le viseur de la droite et de l’extrême droite

Sous couvert de laïcité ou d’austérité budgétaire, des maires ouvertement islamophobes s’attaquent aux repas différenciés, sans porc et végétariens, dans les cantines scolaires. Leurs décisions plongent de nombreuses familles dans le désarroi
Plusieurs municipalités en France se sont attaquées ces dernières années aux menus de substitution dans leurs restaurants scolaires, plongeant de nombreuses familles dans le désarroi (AFP/Nicolas Tucat)
Un arrêté du Conseil d’État de 2020 a validé la conformité des repas de substitution dans les cantines scolaires aux exigences de neutralité et de laïcité des services publics (AFP/Nicolas Tucat)

Tempête dans les assiettes à Morières-lès-Avignon, une petite ville du Vaucluse, dans le sud de la France, où Grégoire Souque, maire Rassemblement national (extrême droite), a décidé de son propre chef de bannir les menus de substitution dans les cantines scolaires.

La mesure, qui vise les repas sans porc et végétariens, signifiée aux parents en novembre dernier dans les cahiers de correspondance de leurs enfants et via le portail électronique de la municipalité, puis entrée en vigueur le 3 janvier 2023, soulève un tollé.

L’opposition socialiste et écologique au conseil municipal dénonce une décision unilatérale et discriminatoire. « Cette suppression des repas de substitution s’inscrit pour nous […] dans une vision dogmatique qui restreint l’accueil de tous les enfants de la République dans leur diversité », ont dénoncé les élus dans un communiqué.

Privés de viande

Annick Dubois, conseillère municipale et départementale, est plus directe. L’élue socialiste accuse Grégoire Souque d’islamophobie. « Il y a une certaine population dont le maire ne veut plus dans sa commune », dit-elle à Middle East Eye, estimant que l’arrêt des repas alternatifs vise en particulier la population de confession musulmane.

« Pour moi, c’est une discrimination contre les musulmans », insiste-t-elle.

Pour se justifier, le maire de Morières-lès-Avignon a d’abord prétexté dans son courrier aux parents l’augmentation du nombre d’élèves fréquentant la cantine. Selon lui, la multiplication des menus de substitution surcharge de travail les agents municipaux affectés aux achats et au stockage des denrées alimentaires ainsi que les personnels de restauration.

« Il y a une certaine population dont le maire ne veut plus dans sa commune. Pour moi, c’est une discrimination contre les musulmans »

- Annick Dubois, conseillère municipale et départementale

Dans les médias, l’édile a utilisé une tout autre ligne de défense, pointant du doigt l’inflation. « C’est une question d’économies. Nous avons été confrontés à une hausse considérable des matières premières, il a fallu faire des choix. Ou on augmentait la tarification, ou on faisait des économies », s’est-il défendu.

Grégoire Souque a également tenté de minimiser l’impact de sa décision qui, selon lui, « ne concerne que quelques personnes », des familles auxquelles il propose deux alternatives : renoncer à la cantine ou accepter que leurs enfants mangent un repas sans viande lorsque celui-ci est accompagné de porc.

« Le porc, il y en a eu tout le temps et il y en aura tout le temps : il y en a chaque semaine et [les menus] sont connus trois semaines à l’avance », affirme le maire. « Soit on vient chercher l’enfant et il mange à la maison, soit on ne lui sert pas de la viande », tranche-t-il.

L’opposition municipale, qui a décidé de saisir la préfète, dénonce une violation de l’intérêt supérieur de l’enfant. Un argument qui pourrait être invoqué, selon Éric Landot, avocat en droit administratif à Paris, pour invalider la mesure du maire en cas de contentieux.

Mesure contestable devant la justice

« Il s’agira de prouver que sa décision sur la suppression des menus de substitution contrevient à la convention internationale de New-York sur les droits de l’enfant », dit-il à MEE.

Sur la forme, la mesure est déjà amplement contestable. « Le maire n’a pas respecté la procédure. Il a pris une décision par communiqué de presse, sans arrêté et délibération du conseil municipal », précise Me Landot.

L’avocat estime par ailleurs que les raisons budgétaires avancées par Grégoire Souque pour supprimer les repas de substitution devront être prouvées si l’affaire prend une tournure judiciaire.   

« Une commune qui a de grandes difficultés financières ou qui est quasiment en faillite pourrait bien sûr supprimer les menus de substitution pour faire des économies. Mais est-ce vraiment le cas de Morières-lès-Avignon ? », s’interroge-t-il, déplorant une décision politique fondée sur « le clientélisme et le racisme » plutôt que gestionnaire.

France : le « séparatisme musulman », un prétexte pour la remise en cause du droit à l’instruction en famille
Lire

Légalement, rien n’oblige les municipalités de France à restaurer les élèves des écoles et encore moins à leur proposer des repas de substitution. Selon une loi de 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales, le choix de la mise en place de cantines scolaires appartient à chaque collectivité territoriale qui, en l’absence de législation spécifique, peut aussi opter pour un menu unique.

C’est ce qu’a fait en 2016 Pascal Charmot, maire Les Républicains (droite) de Tassin-la-Demi-Lune, dans l’ouest lyonnais. Il a supprimé les repas différenciés, sans l’aval du conseil municipal et malgré les contestations de l’opposition.

« Au début, je pensais qu’il s’agissait d’une légende urbaine. Mais il m’a confirmé sa décision au cours d’une entrevue en affirmant que tous les enfants français devaient manger pareil et que j’étais libre de mettre mon fils chez une nourrice si cela ne me convenait pas », raconte à Middle East Eye Anissa M., arrivée avec sa famille dans la commune en 2018.

Face à l’entêtement de l’édile, qui invoque pêle-mêle des contraintes logistiques et la nécessité de se conformer à la laïcité et à la neutralité des services publics, Anissa et d’autres parents se sont mobilisés.

Ils ont créé en 2021 un collectif, « Vivre ensemble à Tassin », et lancé une pétition sur internet qui a recueilli plus de 1 500 signatures.

« On ne peut pas mettre dans l’assiette d’un enfant de 3 ans du porc ou de la viande alors qu’il n’en mange pas et que c’est contraire à certaines convictions, qu’elles soient religieuses ou philosophiques. Je parle du végétarisme, par exemple », défend Anissa auprès de MEE, estimant que « l’idée d’un menu unique au nom de la laïcité est une posture idéologique dangereuse et malsaine pour le vivre-ensemble ».

Le maire, qui a d’abord fait l’objet d’un recours gracieux, devra sans doute s’expliquer devant un tribunal. Mélanie Hamon, avocate du collectif, vient de déposer un recours devant le tribunal administratif de Lyon, en se fondant sur plusieurs arguments comme l’illégalité de la procédure (pas de validation du conseil municipal), la violation du droit au service public et de l’intérêt de l’enfant, ainsi que l’absence de contradiction entre les repas de substitution et la laïcité.

Laïcité et intérêt supérieur de l’enfant

Comme à Morières-lès-Avignon, le maire de Tassin-la-Demi-Lune a en effet pris une décision unilatérale qui a un impact direct sur l’accès de certains élèves au service de restauration.

Par ailleurs, le principe de laïcité que l’élu municipal a mis en avant pour imposer le menu unique pourrait ne pas être recevable par le tribunal sur la base d’un arrêté du Conseil d’État de 2020 qui a validé la conformité des repas de substitution dans les cantines scolaires aux exigences de neutralité et de laïcité des services publics.

« Le Conseil d’État dit qu’il n’y a pas d’obligation de mettre en place des menus de substitution mais, dans la mesure où ils existaient déjà, on ne peut pas les supprimer du jour au lendemain sans justificatifs sérieux comme un surcoût ou un problème de désorganisation du service », assure maître Hamon à MEE.

« L’idée d’un menu unique au nom de la laïcité est une posture idéologique dangereuse et malsaine pour le vivre-ensemble »

- Anissa M., parent d’élève

C’est à la suite d’un recours de la commune de Chalon-sur-Saône (est de la France) que la plus haute juridiction administrative française a rendu sa décision. La maire Les Républicains qui avait supprimé les menus de substitution en 2015 (un service en vigueur depuis 31 ans), avait été contrainte à deux reprises, par le tribunal administratif de Dijon (en 2017) et la cour administrative d’appel de Lyon (en 2018), de renoncer à sa décision.

À l’origine de l’affaire, une plainte de parents d’élèves appuyés par la Ligue de défense judiciaire des musulmans, dirigée par l’avocat Karim Achoui. Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre de la Justice, s’était mêlée à la controverse en condamnant la décision du maire, qu’elle avait qualifiée de « politicienne », « démagogique » et contraire à « l’intérêt des enfants ».

Dans son arrêté, le Conseil d’État avait également mentionné l’intérêt des élèves, soulignant que « lorsque les collectivités [qui ont] fait le choix d’assurer le service public de restauration scolaire définissent ou redéfinissent les règles d’organisation de ce service public, il leur appartient de prendre en compte l’intérêt général qui s’attache à ce que tous les enfants puissent bénéficier de ce service public ».

Idem pour le Défenseur des droits (autorité constitutionnelle indépendante) qui insiste sur l’égalité d’accès de tous les enfants au service de restauration scolaire sans discrimination et dans le respect de leurs convictions.

Des familles désemparées

Malgré ces injonctions, des élus continuent d’agir à leur guise, comme à Béziers (sud de la France), où le maire d’extrême droite Robert Ménard a supprimé les repas de substitution en 2021, prétextant à son tour le respect de la laïcité.

D’autres municipalités, notamment Arveyres, Toulouse, Perpignan, Beaucaire, Chilly-Mazarin et Ouistreham, se sont également attaquées ces dernières années aux menus de substitution dans leurs restaurants scolaires, plongeant de nombreuses familles dans le désarroi.

France : une campagne pour la promotion de la laïcité à l’école accusée de racisme et d’islamophobie
Lire

À Tassin-la-Demi-Lune, les familles concernées sont complétement démunies. Selon Anissa, certains parents sont contraints de retirer leurs enfants de la cantine lorsque le porc est au menu alors que d’autres demandent à leur progéniture de vérifier que les plats servis ne comportent pas de viande porcine.

« Une maman m’a révélé que sa fille avait développé une aversion totale pour les viandes à force de devoir toujours examiner le contenu de son assiette à la cantine », confie Anissa.

Du côté de Morières-lès-Avignon, les parents doivent aussi scruter les menus désormais avant de décider d’envoyer leurs enfants à la cantine.

Un retournement de situation qui horripile Annick Dubois. Très remontée contre la décision du maire d’instaurer un menu unique, elle compte épuiser tous les recours possibles. « S’il le faut, nous irons au tribunal administratif », promet l’élue.

Dans cette affaire, non seulement le maire a fait preuve d’autoritarisme, mais ses justifications budgétaires ne semblent pas tenables, selon Annick Dubois. Les menus de substitution au porc (servis une fois toutes les deux semaines dans les trois écoles de la ville) sont très minoritaires. Ils représentent 2 505 repas sur 92 160 chaque année. À la place du porc, une autre viande est servie, ni plus ni moins coûteuse.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].