Le patrimoine caché de Gaza : cinq sites historiques palestiniens sous la menace des bombes israéliennes
Aujourd’hui, le mot « Gaza » évoque des images de souffrance humaine alors que le territoire palestinien est soumis à une campagne de bombardement et une offensive terrestre israéliennes extrêmement meurtrières depuis l’attaque surprise du Hamas le 7 octobre dernier.
L’étroite bande de terre qui longe la côte méditerranéenne est de surcroît sous le coup d’un blocus imposé par Israël avec l’aide de l’Égypte depuis seize ans.
La bande de Gaza a été la cible de nombreuses campagnes de bombardements et d’opérations militaires israéliennes au cours des dernières décennies. Pour l’UNRWA, l’agence des Nations unies responsable des réfugiés palestiniens, la situation humanitaire sur place relevait de l’urgence bien avant la catastrophe humaine créée par la dernière offensive israélienne.
Plus de 2 millions de personnes vivent dans la bande côtière, la ville de Gaza elle-même comptant 590 000 habitants. Ces personnes sont sous la menace permanente des offensives de l’armée israélienne et des conséquences du siège, lequel entraîne notamment une raréfaction des ressources en eau, un manque d’installations médicales de qualité et un approvisionnement énergétique peu fiable.
Dès lors, il est facile d’oublier la riche histoire de la ville et de la région, qui remonte à au moins 5 000 ans en arrière.
Située au carrefour du Levant et de l’Égypte, Gaza fut un important centre commercial ainsi qu’un site militaire stratégique.
Dans les temps anciens, les Égyptiens et les Cananéens se disputaient le territoire, de même que, plus récemment, les empires britannique et ottoman.
Elle fut gouvernée au cours des millénaires par les Égyptiens, les Macédoniens sous Alexandre le Grand, les Byzantins, les Mamelouks égyptiens et les Turcs ottomans, entre autres.
Ces civilisations ont laissé leur empreinte sur Gaza et contribué à enrichir un héritage patrimonial encore visible aujourd’hui.
Cependant, selon l’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’homme, Israël « détruit intentionnellement » des sites culturels et historiques à Gaza. L’ONG appelle à une enquête internationale sur le ciblage par Israël du patrimoine culturel palestinien lors de sa dernière offensive.
Traduction : « Dans le cadre de sa guerre génocidaire à Gaza, Israël détruit le patrimoine culturel palestinien. »
Dans cet article, Middle East Eye examine cinq sites historiques de la ville de Gaza, qui risquent de disparaître entièrement sous les bombes israéliennes.
1. Tell Umm Amer
Le monastère chrétien de Tell Umm Amer est situé dans la partie sud de la ville de Gaza et serait le lieu de naissance de saint Hilarion, un moine syro-palestinien du IVe siècle qui fut l’un des pionniers du monachisme (le retrait du monde en vue de se concentrer sur la vie spirituelle).
Pendant des siècles, le monastère servit d’étape aux voyageurs transitant entre l’Égypte, la Palestine, la Syrie et la Mésopotamie.
Le site comprend deux églises, un lieu de sépulture, une salle de baptême et un cimetière public, ainsi qu’une vaste crypte.
S’étendant sur environ 10 hectares, c’est l’un des plus grands monastères de la région et, bien qu’en ruines, il est toujours utilisé à des fins cultuelles par la population.
L’agence de l’ONU pour la culture, l’UNESCO, le considère comme un lieu « hautement prioritaire » en matière de protection et de préservation.
Selon l’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’homme, le monastère de Saint-Hilarion a été touché par une frappe israélienne lors du récent conflit.
2. Église Saint-Porphyre
Considérée comme l’un des lieux de culte actifs les plus anciens de la ville de Gaza, l’église Saint-Porphyre doit son nom à un évêque de Gaza qui vécut au Ve siècle et dont le tombeau est situé dans l’angle nord-est du site.
Le 19 octobre dernier, une annexe des services sociaux située dans le complexe de l’église a été touchée par une frappe israélienne, tuant au moins dix-huit personnes. Musulmans et chrétiens s’étaient réfugiés entre ses murs dans l’espoir que son importance historique et religieuse lui épargnerait le carnage qui touchait d’autres régions de Gaza.
L’église fut construite en 425 de notre ère, puis transformée en mosquée au VIIe siècle. Au XIIe siècle, les forces croisées rétablirent son usage en tant qu’église.
Certaines des caractéristiques les plus remarquables de l’édifice sont son toit en demi-dôme et ses trois entrées soutenues par des colonnes de marbre.
Chaque année, des centaines de membres de la communauté chrétienne de Gaza fréquentent l’église pour les offices de Noël.
Ce n’est pas la première fois que l’église sert de sanctuaire en période de conflit. Pendant la guerre de 2014, quelque 2 000 personnes, principalement des femmes et des enfants, avaient dormi dans sa cour et ses couloirs.
L’église, située dans le quartier d’al-Zaytoun à Gaza, avait déjà été partiellement endommagée par les précédentes offensives israéliennes.
3. Qalaat Barquq
Situé à Khan Younès, dans le sud de Gaza, le fort Qalaat Barquq fut construit sous le règne du sultan mamelouk Barquq en 1387.
Ancien esclave d’origine circassienne, Barquq avait profité de l’instabilité qui régnait au sein de l’élite mamelouke pour destituer le précédent sultan, As-Salih Hajji.
Le fort qu’il fit édifier était utilisé comme lieu de repos par les marchands transitant entre Damas et Le Caire. La forte militarisation du bâtiment était probablement due à la menace représentée par le conquérant turco-mongol Tamerlan, qui avait établi un immense empire à travers l’Asie centrale et du Sud, ainsi qu’au Moyen-Orient.
Aujourd’hui, si la façade avant du fort a survécu, la majeure partie de la structure est tombée en ruine ou a été convertie en espaces de vie et en magasins.
4. Qasr al-Basha
Construit pendant la période mamelouke, au milieu du XIIIe siècle, le palais Qasr al-Basha est situé dans la vieille ville de Gaza.
Selon la tradition locale, le palais est ce qu’il reste d’une résidence autrefois occupée par Baybars, un sultan mamelouk égyptien qui affronta les croisés et les Mongols à de nombreuses reprises, faisant halte à Gaza au passage.
Au cours de l’une de ses visites, Baybars aurait épousé une Gazaouie et érigé un grand manoir pour elle et leurs enfants, lequel forme le cœur du palais actuel.
Le style architectural du palais reflète certains éléments de l’époque ottomane, au cours de laquelle il servit de fortification aux seigneurs clients locaux. Les gouverneurs de Gaza, nommés par les Ottomans, résidaient dans le bâtiment.
Pendant le mandat britannique sur la Palestine, le palais servit de commissariat, puis devint une école.
À l’époque actuelle, le palais a été transformé en musée grâce au soutien financier de l’Établissement allemand de crédit pour la reconstruction KfW.
Il abrite une collection d’objets archéologiques couvrant différentes périodes de l’histoire de Gaza, notamment égyptienne, phénicienne, perse, hellénistique et romaine.
Selon l’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’homme, lors de son offensive de 2023, l’armée israélienne a détruit la majeure partie de la vieille ville de Gaza, qui contient 146 maisons anciennes en plus de mosquées, églises, marchés et écoles d’importance historique.
5. Mosquée al-Omari
Située au cœur de la ville de Gaza, la mosquée al-Omari, également appelée Grande Mosquée de Gaza, est la plus vaste et la plus renommée de la région, reconnaissable par ses arches caractéristiques et sa large cour ouverte.
Elle fut construite sur le site d’un ancien temple, transformé en église byzantine au Ve siècle.
Au VIIesiècle, lors de la conquête musulmane, l’édifice fut converti en mosquée et nommé en l’honneur du calife de l’époque, Omar ibn al-Khattab.
Durant les croisades, la mosquée fut transformée en église et rebaptisée en hommage à saint Jean-Baptiste. Elle fut finalement restaurée en tant que mosquée par les Mamelouks.
D’une superficie d’environ 4 100 m², comprenant une cour de 1 190 m², la mosquée revêt une grande importance pour la population de Gaza et de la Palestine dans son ensemble, symbolisant la résilience face à l’adversité.
Car au fil des années, elle a survécu à d’importants tremblements de terre ainsi qu’à plusieurs guerres.
Son minaret fut détruit par un séisme au XIe siècle, reconstruit, puis dévasté par un autre tremblement de terre au XIIIe siècle. Il subit en outre d’importants dommages pendant la Première Guerre mondiale, avant d’être restauré en 1925. Conçu dans le style architectural mamelouk, il témoigne du patrimoine historique de la mosquée.
L’édifice contenait autrefois une importante bibliothèque remplie de milliers de livres et manuscrits, mais une grande partie de sa collection fut perdue pendant les croisades et la Première Guerre mondiale. Il n’en reste qu’une partie aujourd’hui.
Ces dernières années, la mosquée a également été endommagée par les campagnes militaires israéliennes contre Gaza. Elle a notamment été touchée le 16 novembre dernier par une frappe israélienne qui a détruit son minaret, selon l’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’homme.
L’ONG rappelle que la destruction et le ciblage de sites historiques et archéologiques peuvent constituer un crime de guerre au sens du Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale et constituent une violation flagrante de la Convention de La Haye relative à la protection du patrimoine culturel pendant les conflits armés.
Traduit de l’anglais (original publié en juin 2023) et actualisé.
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