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Un détenu des prisons secrètes de la CIA utilisé comme support de formation à la torture pour les interrogateurs

Selon un rapport récemment déclassifié, les interrogateurs faisaient la queue pour claquer la tête d’Ammar al-Baluchi contre un mur à tour de rôle afin d’obtenir leur « certification »
Ammar al-Baluchi a passé plus de trois ans dans les prisons secrètes de la CIA avant d’être transféré en 2006 à Guantánamo, où il attend son procès (AFP/photo d’archives)
Ammar al-Baluchi a passé plus de trois ans dans les prisons secrètes de la CIA avant d’être transféré en 2006 à Guantánamo, où il attend son procès (AFP/photo d’archives)
Par MEE à WASHINGTON, États-Unis

Un détenu d’une prison secrète de la CIA en Afghanistan a été utilisé comme support vivant pour les interrogateurs en formation, qui faisaient la queue pour s’exercer sur lui à tour de rôle, ce qui lui a causé des lésions cérébrales, selon des documents récemment déclassifiés.

Ces documents, qui figurent dans un rapport daté de 2008 de l’inspecteur général de la CIA, ont été rendus publics dans le cadre d’une bataille juridique visant à obtenir un examen médical indépendant d’Ammar al-Baluchi, l’un des cinq détenus de Guantánamo accusés d’avoir participé à la préparation des attentats du 11 septembre.

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Selon le rapport, la CIA savait que l’extradition d’Ammar al-Baluchi vers la « prison secrète » située au nord de Kaboul en 2003 avait été effectuée de manière « extra-légale », car il se trouvait alors sous juridiction pakistanaise et ne représentait plus une menace terroriste.

Le rapport précise que dans la prison secrète, les interrogateurs ont outrepassé les directives de la CIA en employant deux techniques non approuvées : un bâton placé derrière ses genoux alors qu’il était dans une position douloureuse consistant être penché en arrière tout en restant à genoux, ainsi que l’utilisation d’eau glacée.

L’une des techniques utilisées, approuvée par la CIA, était le « walling », qui consistait à placer les talons du détenu contre un mur en contreplaqué « qui présentait une certaine souplesse » et à mettre une serviette enroulée autour du cou de la personne. Pendant l’interrogatoire, Ammar al-Baluchi était nu.

Faire « rebondir » le détenu contre le mur

« Les interrogateurs saisissaient ensuite les extrémités de la serviette devant et sous le visage du détenu et poussaient [Ammar al-Baluchi] en arrière contre le mur, sans jamais lâcher la serviette », indique le rapport. L’un des interrogateurs a indiqué que le but était de faire « rebondir » le détenu contre le mur.

« En général, une séance ne durait pas plus de deux heures consécutives », et la raison pour laquelle elles duraient si longtemps était qu’Ammar al-Baluchi servait de support pédagogique.

Ammar al-Baluchi a passé plus de trois ans entre les mains de la CIA et a été déplacé entre six « prisons secrètes » au total avant d’être transféré à Guantánamo en 2006

Un ancien élève a raconté aux enquêteurs que « tous les interrogateurs en formation faisaient la queue pour ‘’claquer‘’ Ammar contre le mur afin que [l’instructeur] puisse certifier leur capacité à utiliser la technique ». Le fait que les interrogateurs faisaient la queue laisse entendre que « cette certification était essentielle », selon le rapport.

Alors que les interrogateurs étaient convaincus qu’Ammar al-Baluchi, un neveu de Khalid Cheikh Mohammed, cerveau présumé des attentats du 11 septembre, détenait des informations clés concernant « des attaques terroristes en préparation », le rapport de l’inspecteur général a également conclu que le traitement infligé à Ammar al-Baluchi n’avait pas permis d’obtenir des renseignements utiles. Il a estimé que le raisonnement employé par la CIA pour justifier la détention était « flou et circulaire ».

Ammar al-Baluchi, un ressortissant koweïtien de 44 ans également connu sous le nom d’Ali Abdul Aziz Ali, a passé plus de trois ans entre les mains de la CIA et a été déplacé entre six « prisons secrètes » au total avant d’être transféré à Guantánamo en 2006.

L’affaire qui le vise demeure au stade des audiences préliminaires depuis dix ans, les retards étant liés à un litige sur l’admissibilité juridique des témoignages obtenus sous la torture.

Traduction : « THREAD : Nous avons récemment déposé une motion pour réclamer un examen d’Ammar al-Baluchi par un panel médical. Ammar a été horriblement torturé dans les prisons secrètes de la CIA pendant trois ans et demi, notamment dans le cadre d’expérimentations humaines. Pour appuyer notre demande, nous avons déposé l’audit interne de la CIA daté de 2008 sur la torture infligée à Ammar. »

« Si la CIA n’avait pas caché aussi longtemps ses propres conclusions quant à l’illégalité des actes de torture infligés à Ammar, le gouvernement américain n’aurait pas été en mesure d’engager des poursuites contre Ammar, car nous savons maintenant que les actes de torture infligés au Koweïtien ont entraîné des lésions cérébrales durables sous la forme d’un traumatisme crânien et d’autres maladies débilitantes qui ne peuvent être traitées à Guantánamo », indique au Guardian Alka Pradhan, une avocate d’Ammar al-Baluchi.

Troubles anxieux et dépression

D’après l’avocate, un neuropsychologue a effectué une IRM de la tête d’Ammar al-Baluchi en octobre 2018 et découvert « des anomalies indiquant des dommages cérébraux modérés à sévères » dans les parties de son cerveau qui influent sur la formation de la mémoire, la récupération et la régulation du comportement.

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Selon l’évaluation effectuée sur Ammar al-Baluchi par un autre neuropsychologue début 2020, le fonctionnement psychologique du détenu de Guantánamo a été « sérieusement affaibli » à la suite des actes de torture subis, ce qui est à l’origine de nombreux problèmes, notamment des lésions cérébrales traumatiques, des troubles anxieux, une dépression et un trouble de stress post-traumatique.

La publication de ces documents mardi 15 mars intervient une semaine après la libération d’un autre détenu de Guantánamo, Mohammed al-Qahtani, qui a été transféré en Arabie saoudite, son pays d’origine, où il recevra un traitement contre la schizophrénie.

Capturé en 2001 et envoyé à Guantánamo en 2002, Mohammed al-Qahtani était également soupçonné par les États-Unis d’avoir joué un rôle clé dans la planification des attentats du 11 septembre. Toutefois, en 2008, les accusations portées contre lui ont été rejetées « sans préjudice » en raison des actes de torture qu’il a endurés durant sa captivité.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation

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