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Les propositions visant à repousser les Palestiniens de Gaza vers l’Égypte alimentent la peur du remplacement par des colons

Deux rapports israéliens distincts soulignent les avantages politiques et économiques qu’il y aurait à évacuer la population de Gaza pour faire place aux colons israéliens
Des Palestiniens passent devant les bâtiments détruits par les bombardements israéliens sur al-Zahra, à la périphérie de la ville de Gaza (AP)
Des Palestiniens passent devant les bâtiments détruits par les bombardements israéliens sur al-Zahra, à la périphérie de la ville de Gaza (AP)

Deux propositions israéliennes visant à déplacer les Palestiniens hors de la bande de Gaza vers l’Égypte alimentent les craintes d’une deuxième Nakba, alors que l’armée israélienne pilonne l’enclave côtière avec des frappes aériennes.

Depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre contre des localités israéliennes proches de Gaza, laquelle a tué environ 1 400 personnes, principalement des civils, la rhétorique et le sentiment anti-palestiniens ont atteint un niveau record.

Israël a réagi en menant une campagne de bombardement incessante sur Gaza, avertissant tous ceux qui se trouvent dans le nord de l’enclave côtière de se déplacer au sud en direction de la frontière égyptienne.

gaza carte

Divers responsables israéliens et personnalités de premier plan ont évoqué l’idée de débarrasser Gaza des 2,3 millions de Palestiniens qui s’y trouvent, ce qui a incité le président égyptien Abdel Fatah al-Sissi et le roi Abdallah II de Jordanie à mettre en garde contre de tels projets.

Bien qu’une telle mesure n’ait pas été promue par le gouvernement du Premier ministre Benyamin Netanyahou comme une véritable politique, des personnes au sein ou proches de celui-ci ont néanmoins apparemment élaboré des plans détaillés à envisager.

Le quotidien israélien Calcalist a fait état d’une proposition élaborée par la ministre israélienne du Renseignement, Gila Gamliel, dans laquelle celle-ci recommande au cabinet le transfert des habitants de Gaza vers le Sinaï en Égypte après la guerre. 

Un transfert en trois étapes

Le document consulté par Calcalist arborerait le logo du ministère du Renseignement et aurait été transmis aux ministères pour consultation. Il a été divulgué à un mouvement de colons connu sous le nom de Settlement Headquarters - Gaza Strip, qui fait campagne pour le rétablissement des colonies dans ce territoire. Israël a expulsé ses colons de Gaza en 2005. 

Le quotidien israélien notait qu’en fin de compte, cela n’affecterait peut-être pas la politique du gouvernement, mais qu’il était possible qu’il ait été rédigé pour « apporter un soutien » au « mouvement des colons extrémistes ». 

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Le rapport de Gamliel indique que le meilleur résultat possible après la guerre d’Israël, « celui qui produira des résultats stratégiques positifs et à long terme », est le transfert des Palestiniens de Gaza vers la péninsule du Sinaï. 

Le transfert aurait lieu en trois étapes. L’établissement de villes de tentes dans le Sinaï, au sud-ouest de la bande de Gaza, la création d’un soi-disant couloir humanitaire par lequel les Palestiniens seraient autorisés à fuir, suivie de la construction de villes dans le nord du Sinaï. 

Enfin, Israël établirait alors un no man’s land sur plusieurs kilomètres à l’intérieur du territoire égyptien pour s’assurer que les Palestiniens ne puissent pas revenir. 

Le document appelle également à la coopération entre Israël, les pays arabes et européens pour accueillir également les Palestiniens déplacés. 

Un rapport distinct publié par l’institut Misgav pour la sécurité nationale et la stratégie sioniste, un think tank israélien, examine la viabilité économique du transfert de la population de Gaza vers le Sinaï. 

« On dispose actuellement d’une opportunité unique et rare d’évacuer l’ensemble de la bande de Gaza en coordination avec le gouvernement égyptien »

- Amir Weitmann, chercheur à l’institut Misgav

Intitulé « Plan pour la réinstallation et la réhabilitation définitive en Égypte de l’ensemble de la population de Gaza : aspects économiques », le rapport initialement diffusé sur X, anciennement Twitter, a depuis été retiré. 

« On dispose actuellement d’une opportunité unique et rare d’évacuer l’ensemble de la bande de Gaza en coordination avec le gouvernement égyptien », indique le rapport rédigé par Amir Weitmann, chercheur à l’institut Misgav. 

L’Institut Misgav est dirigé par l’ancien conseiller à la sécurité nationale israélien Meir Ben-Shabbat, qui est également considéré comme l’un des architectes des accords de normalisation qu’Israël a signés avec les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Maroc ces dernières années.

Ben-Shabbat est également soupçonné d’être proche de la communauté du renseignement israélien et a travaillé pendant une trentaine d’années au sein du Shin Bet, les services de sécurité intérieure d’Israël.

Le document affirme qu’il a conçu un plan « durable et faisable sur le plan économique » pour expulser la population de Gaza qui s’aligne également sur les « intérêts géopolitiques » d’Israël, de l’Égypte, de l’Arabie saoudite et des États-Unis

« Une solution innovante, bon marché et durable »

Le document suggère que les Palestiniens pourraient être logés dans les deux plus grandes villes satellites du Caire, la ville du 6-octobre et du 10-Ramadan. Les deux lieux doivent leur nom à la guerre de 1973 contre Israël, dont le 30e anniversaire a eu lieu la veille de l’attaque palestinienne.

Selon le rapport, il y a suffisamment d’appartements pour loger six millions de personnes, qui sont en grande partie vides parce que les Égyptiens lambda n’ont pas les moyens de s’e les offrir. 

De nombreux appartements de la nouvelle ville du 6-octobre en Égypte restent vides (documentation promotionnelle de la présidence égyptienne)
De nombreux appartements de la nouvelle ville du 6-octobre en Égypte restent vides (documentation promotionnelle de la présidence égyptienne)

Chaque logement coûtant environ 19 000 dollars, le rapport estime que le coût de l’hébergement des Palestiniens de Gaza dans la banlieue du Caire s’élèverait à 8 milliards de dollars. 

Cette valeur représente jusqu’à 1,5 % du PIB israélien, ce qui peut « facilement être financé » par l’État, ajoute le rapport. 

Le rapport affirme que l’état désastreux de l’économie égyptienne pourrait convaincre Le Caire de prendre cette offre en considération. Si nécessaire, Israël pourrait même envisager de lever jusqu’à 32 milliards de dollars pour convaincre l’Égypte d’acquiescer au projet, ajoute-t-il. 

« Gaza fournirait des logements de haute qualité à de nombreux citoyens israéliens »

- Article de l’institut Misgav

« Il s’agit d’une solution innovante, bon marché et durable », indique le rapport, qui poursuit : « Au fil du temps, il s’agit en fait d’un investissement très rentable pour Israël. »

« Gaza fournirait des logements de haute qualité à de nombreux citoyens israéliens », note le document.

Les « investissements » d’Israël en Égypte serviraient également l’Europe en stabilisant l’économie du pays et en aidant à endiguer la vague migratoire, fait-il valoir.

L’Arabie saoudite pourrait également bénéficier de cette proposition, estime le rapport. 

Premièrement, puisque les actions israéliennes à Gaza attisent régulièrement les tensions dans le monde arabe, l’expulsion des Palestiniens permettrait « la promotion de la paix avec Israël sans l’ingérence incessante de l’opinion publique locale ».

Main-d’œuvre bon marché

Deuxièmement, le rapport observe que la population de Gaza pourrait être embauchée par l’Arabie saoudite comme main-d’œuvre bon marché pour travailler sur des projets de construction dans tout le pays, y compris la construction du projet phare Neom

Le rapport conclut qu’on ignore quand la prochaine occasion de se débarrasser ethniquement des Palestiniens de Gaza se présentera et que, par conséquent, « c’est maintenant le moment pour agir ».

Des tentes pour les Palestiniens en quête d’un refuge sont montées dans l’enceinte d’un centre de l’UNRWA à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 19 octobre 2023
Des tentes pour les Palestiniens en quête d’un refuge sont montées dans l’enceinte d’un centre de l’UNRWA à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 19 octobre 2023

Un analyste israélien, qui a souhaité garder l’anonymat pour des raisons de sécurité, assure à Middle East Eye que de tels projets sont à prendre avec des pincettes. 

« Malgré l’instinct naturel de traiter de tels documents avec une extrême inquiétude en temps de crise, je ne le ferais pas », affirme l’analyste. 

« Ils représentent les fantasmes de groupes extrêmement marginaux, j’irais même jusqu’à dire de sectes, et le gouvernement israélien se concentre désormais exclusivement sur la stratégie militaire et se conforme plus que jamais aux exigences et aux contraintes américaines. »

Le cabinet de guerre israélien comprend des personnalités centristes comme Benny Gantz et Gadi Eizenkot « qui ne se font pas d’illusions sur la folie de tels plans vis-à-vis de l’Égypte », ajoute l’analyste. 

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L’appel d’Israël à la moitié de la population de la bande de Gaza à quitter ses maisons et à se diriger vers la partie sud de la bande côtière a également accru les craintes en Égypte d’un afflux massif de réfugiés dans le Sinaï.

Selon certaines informations, le gouvernement égyptien a dit à un diplomate européen : « Vous voulez que nous accueillions un million de personnes ? Eh bien, je vais les envoyer en Europe. Si vous vous souciez tellement des droits de l’homme – eh bien, accueillez-les. »

Selon l’analyste israélien, il faut s’inquiéter davantage de l’expulsion par les colons des Palestiniens en Cisjordanie occupée que « quelque chose comme ça, qui ne peut se faire sans le consentement égyptien et la légitimité internationale, ce qui n’arrivera pas ».

MEE a sollicité une réaction à ces propositions du département d’État américain, du ministère britannique des Affaires étrangères, du Commonwealth et du Développement ainsi que du bureau de Josep Borrell, le chef des affaires étrangères de l’UE.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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