« Inutile » : les Palestiniens décrient le largage aérien de l’aide humanitaire pour mettre fin à la famine à Gaza
Alors qu’Israël continue de renforcer le blocus de Gaza et d’imposer des restrictions à l’entrée des camions d’aide par les points de passage terrestres, un certain nombre de pays ont eu recours à l’acheminement de l’aide par voie aérienne.
Ce vendredi, un largage aérien défectueux dans la ville de Gaza a tué cinq personnes, selon des sources palestiniennes. Dans des vidéos prises par des journalistes locaux, on peut voir une douzaine de colis largués d’un avion tomber à grande vitesse près de la zone des tours al-Fayrouz.
Le largage aérien de l’aide est une méthode utilisée lorsque toutes les autres alternatives ne sont pas possibles, et lorsqu’une population a un besoin urgent d’aide vitale alors qu’elle est coupée du reste du monde.
Jusqu’à présent, la Jordanie, l’Égypte, les Émirats arabes unis et la France ont coordonné avec Israël le largage d’aide dans différentes zones de la bande côtière sous blocus, déchirée par cinq mois de guerre.
Les États-Unis ont procédé dimanche 3 mars à leur premier largage d’aide humanitaire à Gaza, avec plus de 30 000 repas parachutés par trois avions militaires. L’opération aurait été menée conjointement avec l’armée de l’air jordanienne.
Le bureau des médias du gouvernement palestinien à Gaza a déclaré lundi 4 mars que 2,4 millions d’habitants souffraient de conditions proches de la famine, en particulier dans le nord et le centre de l’enclave.
Depuis mercredi 28 février, au moins dix-sept enfants sont morts de faim, de soif ou de malnutrition, selon les autorités locales. Au moins 700 000 personnes souffrent actuellement de « faim sévère » et sont en danger de mort, ajoute le communiqué.
« Seuls les plus forts survivront »
Les Palestiniens affirment que les quantités d’aide larguées par avion sont trop faibles par rapport aux besoins de la population affamée à Gaza.
« C’est inutile », déclare Ahmad Mansour, un Palestinien du sud de la bande de Gaza, à Middle East Eye. « Une grande partie de l’aide a fini dans la mer ou dans des zones contrôlées par l’armée israélienne. Des milliers de personnes accourent vers quelques colis d’aide. Ils se jouent de nous. »
« Je ne comprends pas pourquoi le monde ne peut pas faire pression sur Israël pour qu’il autorise l’entrée des camions d’aide humanitaire. Pourquoi les travailleurs humanitaires ne peuvent-ils pas être protégés pour distribuer l’aide de manière équitable ? La nouvelle devise est-elle : "nous ne mangerons et ne recevrons des médicaments que si nous sommes assez chanceux pour attraper quelque chose qui tombe du ciel" ? », ajoute Mansour, 42 ans.
« Une grande partie de l’aide a fini dans la mer ou dans des zones contrôlées par l’armée israélienne. Des milliers de personnes accourent vers quelques colis d’aide. Ils se jouent de nous. »
- Ahmad Mansour, un Palestinien de Gaza
Fin février, des vidéos diffusées en ligne ont montré des milliers de Palestiniens se rassemblant sur une plage de Gaza pour regarder les colis d’aide humanitaire tomber dans la mer. Certains ont nagé ou utilisé de petites embarcations pour tenter de les récupérer.
Samah al-Kahlout, 37 ans, mère de trois enfants installée dans le sud de Gaza, estime qu’elle n’a aucune chance de recevoir de l’aide si celle-ci continue d’être larguée par avion. « Lorsque j’ai appris que la Jordanie allait larguer de l’aide, je me suis précipitée. Mes enfants n’ont pas eu de vrai repas depuis longtemps », confie-t-elle à MEE.
La mère de famille a dû se rendre seule sur place pour obtenir de l’aide, car son mari est blessé.
« Je ne parvenais pas à courir assez vite pour récupérer certains des colis d’aide. Je ne sais pas nager non plus. J’ai fini par rester là à regarder les gens se battre pour ramener de la nourriture à leur famille. À ce stade, seuls les plus forts survivront », raconte-t-elle.
En réponse au largage de l’aide américaine, les Palestiniens ont critiqué l’ironie qui consiste pour Washington à fournir de l’aide tout en soutenant l’assaut israélien.
« Voir le largage aérien d’aide en provenance des États-Unis est une véritable plaisanterie », déclare Yossef Abed, 57 ans.
« Ils ont largué de l’aide dans le nord et ont contribué à fournir à Israël des bombes pour nous bombarder dans le sud après qu’[Israël] a affamé le nord. Essaient-ils de nous nourrir aujourd’hui pour trouver plus de gens à tuer demain ? »
« De la farine mélangée à du sang »
De plus en plus de Palestiniens ne se sentent pas en sécurité lorsqu’ils se rassemblent pour collecter l’aide larguée par avion, car ils risquent de se faire tirer dessus et se faire tuer par l’armée israélienne.
Le 29 février dernier, plus de cent Palestiniens ont été tués et des centaines d’autres blessés lorsque les forces israéliennes ont ouvert le feu sur un convoi d’aide dans la rue al-Rasheed de la ville de Gaza. L’incident a depuis été surnommé le « massacre de la farine », car les habitants de la ville de Gaza s’étaient rassemblés pour obtenir de la farine et d’autres denrées alimentaires, alors que les forces israéliennes ont complètement coupé l’accès à l’aide dans cette zone.
À la suite de la fusillade, MEE s’est entretenu avec un jeune homme qui avait reçu une balle à la jambe.
« J’ai obtenu un sac de farine, mais il est maintenant mélangé à mon sang », déclarait-il, alors qu’il était porté par des sauveteurs bénévoles.
« Israël essaie-t-il de nous donner une leçon en nous disant de ne même pas nous approcher de l’aide humanitaire ? Si nous ne mourons pas dans des frappes aériennes, nous mourrons de faim. Si nous osons essayer d’obtenir de la nourriture, ils nous tirent dessus. »
« Je ne retourne pas auprès de ma famille avec de la nourriture. Je rentre avec un handicap. »
Quelques jours plus tard, une frappe aérienne israélienne sur un camion d’aide à Deir al-Balah, au centre de Gaza, a fait au moins neuf morts et plusieurs blessés, a rapporté l’agence de presse palestinienne Wafa.
Inefficace et coûteux
D’après les spécialistes de l’aide humanitaire, l’acheminement terrestre supervisé reste la méthode la plus efficace pour fournir de l’aide à plus de deux millions de Palestiniens qui ont un besoin urgent de médicaments, de nourriture et d’eau.
Le largage aérien de l’aide est connu pour être une méthode coûteuse et inefficace d’acheminement de l’aide.
Philippe Lazzarini, Commissaire général de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), a déclaré que le largage de l’aide par voie aérienne était « une solution de dernier recours, extraordinairement onéreuse ». Il a ajouté que l’ouverture des points de passage terrestres devrait être la solution.
Pour Akram al-Satari, analyste politique à Gaza, il ne faut pas encourager la normalisation des largages aériens.
« [Les États-Unis] ont largué de l’aide dans le nord et ont contribué à fournir à Israël des bombes pour nous bombarder dans le sud après qu’[Israël] a affamé le nord. Essaient-ils de nous nourrir aujourd’hui pour trouver plus de gens à tuer demain ? »
- Yossef Abed, Palestinien de Gaza
« Israël tente de faire croire à la communauté internationale que Gaza est un endroit chaotique où des personnes affamées se battent pour se nourrir et ne méritent donc même pas d’être aidées », déclare-t-il. « Ils créent le besoin d’une administration civile à Gaza pour renforcer la loi et l’ordre, comme une alternative à un gouvernement palestinien officiel. »
Pour sa part, Amjad al-Shawa, directeur du réseau des ONG palestiniennes, affirme que le largage d’aide par avion peut être utilisé dans des situations spécifiques pour soulager les populations déchirées par la guerre dans la bande de Gaza. En l’absence de cessez-le-feu, l’aide pourrait être larguée dans des zones où des opérations militaires sont en cours ou dans des zones inaccessibles aux camions humanitaires en raison de la destruction des infrastructures.
« Le largage de l’aide en mer était justifié dans la mesure où il était plus sûr que de la larguer au hasard sur le sol où des milliers de personnes déplacées ont été relocalisées », explique-t-il à MEE. L’aide risquerait même de tomber sur des tentes, tuant davantage de personnes déplacées, ajoute-t-il.
Il insiste toutefois sur le fait qu’il ne doit pas s’agir d’une alternative à la levée du blocus.
« Le pont aérien ne peut être une alternative à l’ouverture des frontières et à l’acheminement de l’aide par voie terrestre. Il ne doit être utilisé que pour augmenter le volume de l’aide et accéder à davantage de zones, mais il ne doit pas devenir la marche à suivre », précise-t-il.
Amjad al-Shawa estime que la communauté internationale devrait faire davantage pression sur Israël pour qu’il ouvre toutes les frontières avant que davantage de Palestiniens ne meurent de faim.
Traduit de l’anglais (original publié le 6 mars) par Imène Guiza et actualisé.
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