Le rôle sioniste dans les attaques des années 1950 contre les juifs irakiens « confirmé » par un agent et un rapport de police
Un rapport de police et un entretien avec un ancien agent sioniste. Voilà ce sur quoi se fonde Avi Shlaim pour affirmer avoir découvert des « preuves indéniables » de l’implication israélienne dans les attentats à la bombe qui ont chassé les juifs d’Irak au début des années 1950, explique l’historien israélo-britannique à Middle East Eye.
Son autobiographie, Three Worlds: Memoirs of an Arab-Jew, publiée au début du mois, retrace son enfance en tant que juif irakien et son exil ultérieur en Israël.
Il comprend également des recherches sur un certain nombre d’attentats à la bombe en Irak qui ont provoqué un exode massif de juifs du pays entre 1950 et 1951, dont la plupart – à l’image de sa famille et lui – se sont retrouvés en Israël.
Dimanche, Avi Shlaim a déclaré à Middle East Eye qu’il avait découvert « des preuves irréfutables de l’implication clandestine sioniste dans les attentats à la bombe ».
Comme preuve, l’historien cite un long entretien qu’il a eu avec Yaakov Karkoukli, un ancien membre de la résistance sioniste à Bagdad dans les années 1950.
Ce dernier – âgé de 89 ans lorsqu’il a parlé à l’historien pour le livre – était un associé de Yusef Basri, un agent du renseignement sioniste en Irak qui a été condamné par les autorités irakiennes pour avoir perpétré des attentats à la bombe visant des juifs irakiens.
« Terroriser mais pas tuer »
À l’époque, les attentats à la bombe ont touché un café, un concessionnaire automobile et une synagogue, entre autres attaques contre des communautés et des entreprises juives.
Yaakov Karkoukli a déclaré que Yusef Basri avait mené trois de ces attaques sur des sites juifs sur les ordres de Meir Max Bineth, un officier du renseignement israélien qui a fourni à Basri des grenades et du TNT.
En plus des armes, il lui aurait aussi fourni des cartes, des renseignements et des instructions, qui comprenaient l’ordre « de terroriser mais de ne pas tuer ».
Yusef Basri, ainsi qu’un autre agent sioniste clandestin, Shalom Salih Salah, ont été condamnés et exécutés par les autorités irakiennes pour ces attentats à la bombe.
Un troisième agent clandestin, Yusef Khabaza, a également été condamné à mort par contumace, mais a fui l’Irak.
Karkoukli insiste sur le fait que l’attaque contre la synagogue Masuda Shemtov à Bagdad en janvier 1951 – le seul attentat à la bombe à l’époque à avoir entraîné la mort de juifs – n’a pas été directement menée par des agents sionistes, mais par un Arabe musulman.
Bineth, qui aurait donné des ordres à Basri, s’est suicidé plus tard après avoir été arrêté par les autorités égyptiennes pour son implication présumée dans l’affaire Lavon, une opération israélienne sous faux drapeau ratée visant à poser des bombes en Égypte et à en imputer la responsabilité aux Frères musulmans et aux gauchistes.
Les responsables israéliens ont longtemps rejeté toute implication sioniste clandestine ou officielle israélienne dans les attaques contre les juifs irakiens, et les ont à la place imputées aux nationalistes irakiens.
« Il ne s’agit pas d’un témoignage de seconde main, mais d’un témoignage de première main d’un participant », insiste Shlaim auprès de MEE, faisant référence à son entretien avec Karkoukli.
« Certes, c’est de l’histoire orale et donc pas concluante, bien qu’il soit inconcevable que Karkoukli ait inventé toute cette histoire. »
Mais l’historien ajoute que Karkoukli a fourni des preuves plus concluantes que son propre témoignage, sous la forme d’un rapport de police.
Rapport de police
Avi Shlaim a reçu une copie du rapport de police de Bagdad sur le procès de Yusef Basri et de ses associés, que Yaakov Karkoukli avait obtenu d’un policier irakien à la retraite.
Le rapport, dont une traduction est incluse dans le livre et a été envoyée à MEE, comprend des détails sur les aveux de Shalom Salih Salah et Yusef Basri, où ils admettent avoir lancé des bombes sur des cibles juives irakiennes. Shalom Salih Salah implique également Yusef Khabaza dans ses aveux.
« Personne, à l’exception des enquêteurs, n’aurait pu avoir tous les détails contenus dans ce rapport »
- Avi Shlaim, historien
« Personne, à l’exception des enquêteurs, n’aurait pu avoir tous les détails contenus dans ce rapport », affirme Avi Shlaim. « Ce rapport n’est clairement pas une invention, mais j’ai fait une étape de plus pour l’authentifier. »
L’historien explique avoir confirmé la véracité du rapport de police par l’intermédiaire du journaliste irakien Shamil Abdul Qadir, qui était en possession d’un dossier de police de 258 pages de Bagdad sur l’interrogatoire d’agents sionistes présumés.
Abdul Qadir a vérifié le rapport de police et déclaré qu’il était basé sur le dossier dont il était en possession. MEE a vu une photo de la page de couverture du dossier.
« Le rapport de police que je reproduis dans mon livre est donc une preuve irréfutable de l’implication clandestine sioniste dans les bombes », conclut Avi Shlaim. « C’est la preuve tangible, si vous voulez. »
Attaque de la synagogue
L’attaque contre la synagogue Masuda Shemtov, qui a tué quatre juifs, a été menée par un musulman d’origine syrienne appelé Salih al-Haidari, selon Yaakov Karkoukli.
Ce dernier assure être « la seule personne au monde » à savoir qui a perpétré cette attaque.
Il raconte que Salih al-Haidari a été entraîné dans cette attaque par un policier irakien corrompu qui avait reçu un pot-de-vin des milieux clandestins sionistes. Shlaim a déclaré qu’il n’y avait aucune autre preuve pour corroborer cette affirmation.
Quelque 110 000 juifs ont fui l’Irak à la suite des attentats à la bombe, la plupart d’entre eux s’installant dans l’État naissant d’Israël.
Plus de 800 000 juifs ont quitté ou ont été expulsés de pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord entre 1948 et le début des années 1980.
En 2005, 61 % des Israéliens de confession juive étaient totalement ou partiellement d’ascendance mizrahie – le terme sociologique inventé pour désigner les juifs de la région après la création d’Israël.
Les attaques ont eu lieu moins de deux ans après le nettoyage ethnique qui a eu lieu au cours de ce que les Palestiniens appellent la Nakba (catastrophe), qui a conduit à la création de l’État d’Israël en 1948.
Les forces sionistes ont tué 13 000 Palestiniens, détruit et dépeuplé environ 530 villes et villages, commis au moins une trentaine de massacres et expulsé 750 000 personnes pendant la Nakba.
Plus de 6 000 juifs israéliens, dont 4 000 soldats et 2 000 civils, ont été tués, ainsi qu’environ 2 000 soldats des pays arabes.
Avi Shlaim déclare dans le livre que les juifs irakiens n’ont pas été confrontés à l’antisémitisme avant les années 1940, lorsqu’ils ont été soupçonnés d’être complices de l’invasion britannique de l’Irak en 1941 et de la Nakba.
Il ajoute que le projet sioniste a transformé les juifs de tous les pays arabes de concitoyens respectés à cinquième colonne alliée au nouvel État juif.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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