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Pour de nombreux Iraniens, les religieux auraient dû critiquer la répression des manifestations pour Mahsa Amini

À l’exception de quelques voix critiques dans le clergé chiite, les ayatollahs font bloc derrière le pouvoir. Ce qui érode un peu plus la confiance déjà entamée des Iraniens envers leurs autorités religieuses
Une Iranienne brandit le portrait du guide suprême Ali Khamenei lors d’une manifestation pro-hijab, le 23 septembre 2022 à Téhéran (AFP)
Une Iranienne brandit le portrait du guide suprême Ali Khamenei lors d’une manifestation pro-hijab, le 23 septembre 2022 à Téhéran (AFP)

Alors que la ville sainte de Qom, en Iran, a connu ces derniers jours ses propres manifestations, provoquées par la mort en détention de Mahsa Amini, 22 ans, une grande partie du clergé chiite dont la République islamique tire l’essentiel de sa légitimité, est restée silencieuse. D’autres ecclésiastiques ont fait corps derrière l’establishment.

Selon de nombreux Iraniens, de tels positionnements – le silence ou l’opposition face à la sympathie généralisée pour les femmes fatiguées de se voir dicter leur tenue et d’être harcelées par la police – pourraient coûter aux ayatollahs la confiance de la population.

Jusqu’à présent, le grand ayatollah Asadollah Bayat-Zanjani, théologien, philosophe, écrivain et référence islamiques, est le seul haut responsable religieux à avoir publiquement critiqué la police des mœurs, qu’il a qualifié d’« illégale » et de « contraire à la religion ».

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Sans mentionner directement la loi obligatoire sur le hijab, dont les manifestants demandent la suppression, Bayat-Zanjani a déclaré que personne ne devrait être contraint de suivre les valeurs islamiques.

Bayat-Zanjani est connu pour soutenir les politiques réformistes qui s’opposent au gouvernement principaliste (conservateur) actuel et souhaitent la révision des restrictions les plus strictes de la République islamique.

En réponse, les conservateurs l’ont attaqué et ont demandé à ce qu’il soit poursuivi. Sans nommer Bayat-Zanjani, Mojtaba Zonnour, un député de Qom, a déclaré que certains religieux avaient « provoqué la sédition » et « induit en erreur » la jeunesse.

Pendant ce temps, des religieux pro-establishment basés à Qom ont organisé la semaine dernière une manifestation contre les manifestations.

Un rôle dans les moments clés de l’histoire iranienne

Hossein Noori Hamedani, autre grand ayatollah, a condamné les manifestations, en affirmant que les protestantes n’étaient pas représentatifs de la population iranienne et que le « vrai peuple » a toujours été un « défenseur de la République islamique et de la révolution ».

Un religieux de la ville sainte assure toutefois à Middle East Eye que le mécontentement à l’égard de l’establishment va crescendo.

« Je pense que la majorité du séminaire de Qom [un des deux plus grands centres d’éducation chiite au monde], ou du moins un grand pourcentage de religieux, sont de plus en plus opposés à la République islamique, car elle a à la fois affaibli l’islam et les religieux aux yeux des gens », relève-t-il.

Une Iranienne reçoit des conseils religieux d’un ecclésiastique dans la ville sainte de Qom (Reuters)
Une Iranienne reçoit des conseils religieux d’un ecclésiastique dans la ville sainte de Qom (Reuters)

Comme toutes les personnes interrogées par MEE pour cet article, l’ecclésiastique s’est exprimé sous couvert d’anonymat pour des raisons de sécurité.

« Je comprends qu’il soit difficile pour certains critiques du séminaire de s’exprimer contre le hijab obligatoire, car le hijab est considéré comme quelque chose d’important dans la religion, mais ils auraient au moins pu condamner la répression », précise-t-il.

Le clergé a souvent joué un rôle important aux moments clés de l’histoire iranienne. Qu’il s’agisse de la révolution constitutionnelle iranienne de 1905 ou de la révolution islamique de 1979, les grands ayatollahs sont souvent apparus comme des pionniers du changement et des bouleversements.

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Le statut des religieux en Iran leur a historiquement permis de prendre des positions critiques. Pendant la période de Mohammad Reza Pahlavi (1941-1979), soutenu par les États-Unis, un grand nombre d’ecclésiastiques et d’autorités du séminaire de Qom pensaient toutefois qu’ils ne devaient pas être impliqués dans la politique.

Après la révolution islamique, les religieux ont pris le pouvoir en excluant les nationalistes, les partisans de gauche et les nationalistes religieux, ce qui ne leur a fait perdre leur position critique, et, en quatre décennies, une partie du soutien populaire.

L’année 2009 a marqué un tournant dans l’histoire post-révolutionnaire de l’Iran, lorsque des millions de personnes ont défilé en silence contre les résultats de l’élection présidentielle.

Les candidats réformistes Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karroubi avaient allégué que le vote était truqué et insisté sur le fait que le candidat principaliste, Mahmoud Ahmadinejad, n’était pas le véritable vainqueur. Une répression des manifestations s’en était suivie, entraînant le meurtre et l’arrestation de nombreux partisans des réformistes.

« Mais malgré la position de Bayat-Zanjani et les nombreuses critiques silencieuses au séminaire, le clergé reste considéré dans son ensemble par les Iraniens comme un fervent partisan de la République islamique »

- Un commentateur politique à MEE

À l’époque, le séminaire de Qom et les grands ayatollahs étaient largement divisés. Beaucoup avaient peur de s’exprimer mais certains grands ayatollahs, comme Yousef Saanei, décédé depuis, ne sont pas restés silencieux, dénonçant l’establishment, Ahmadinejad et la répression brutale. Et alors qu’une partie du clergé voulait retirer ses responsabilités religieuses à Yousef Saanei, sa popularité a augmenté.

C’est à cette époque que les autorités ont tenté de mettre le séminaire de Qom sous contrôle total.

Cela ne veut pas dire que les voix critiques de Qom se sont tues.

Lorsque des manifestations ont éclaté en 2019 pour protester contre la situation économique, des religieux conservateurs ont fustigé le gouvernement soutenu par les réformistes de Hassan Rohani pour avoir augmenté les prix du carburant. Mais la violente répression des manifestants, qui a fait environ 300 morts, n’a pas été critiquée.

Selon un commentateur politique, moins le séminaire de Qom fait preuve d’indépendance, plus la confiance du public dans l’institution faiblit.

« Mais malgré la position de Bayat-Zanjani et les nombreuses critiques silencieuses au séminaire, le clergé reste considéré dans son ensemble par les Iraniens comme un fervent partisan de la République islamique. »

Traduit partiellement de l’anglais (original).

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