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Une travailleuse humanitaire espagnole engagée auprès des Palestiniens détenue par Israël

Juana Rishmawi, 62 ans, est détenue en Israël depuis trois semaines. Son arrestation met en lumière la pression croissante exercée par le pays sur les ONG œuvrant dans les territoires palestiniens occupés
Depuis sa cellule, la travailleuse humanitaire attend sa prochaine comparution, prévue pour le 6 mai prochain (capture d’écran/Twitter)

Le 13 avril, peu avant 6 heures du matin (3 h 00 GMT), une vingtaine de soldats israéliens lourdement armés ont fait irruption au domicile d’une travailleuse humanitaire espagnole dans la localité de Beit Sahour, près de Bethléem, en Cisjordanie occupée.

Juana Rishmawi – plus connue sous le surnom de Juani –, 62 ans, travaille depuis plusieurs années en tant que coordinatrice de projets à Health Work Committees (HWC). Cette ONG, qui dispose de cliniques mobiles et de plusieurs centres de soins, met en place des campagnes de sensibilisation sur les problèmes touchant à la santé auprès des Palestiniens de Cisjordanie, de Jérusalem et de la bande de Gaza.

Interminable détention

Le mystère autour des raisons de l’arrestation de Juana Rishmawi va durer dix longues journées, avant que des militaires israéliens ne laissent filtrer les premières tentatives de justification : l’intéressée serait, d’après eux, soupçonnée « d’avoir commis des crimes de prestation de services et de blanchiment d’argent pour une organisation illégale affiliée au Front populaire de libération de la Palestine ». Le FPLP est une faction palestinienne qui, comme les autres – à l’exception du Fatah –, est étiquetée comme « terroriste » par Israël.

Lidon Soriano, porte-parole de l’organisation basque Komite Internazionalistak – très active dans les territoires occupés – et amie de la détenue, enrage : « On parle d’une travailleuse humanitaire de 62 ans qui ne représente aucun danger pour personne. C’est une femme admirable, courageuse, qui vit en Palestine depuis 35 ans et qui se sent à moitié Palestinienne », rapporte-t-elle à Middle East Eye.

« Alors même qu’Israël s’érige en champion international de la vaccination, les forces d’occupation détruisent les infrastructures sanitaires d’une population que leur État est censé, selon la quatrième convention de Genève, protéger »

- Lidon Soriano, porte-parole de Komite Internazionalistak

La famille de l’humanitaire ne décolère pas non plus, et condamne un isolement quasi total de la prévenue et des changements fréquents de son lieu de détention. Ils rappellent en outre dans un communiqué « qu’aucune norme internationale n’autorise la détention, sans inculpation, d’un civil par des autorités militaires en temps de paix ».

Là se situe bien le cœur du problème : officiellement, aucune charge n’est pour l’heure retenue contre Juana Rishmawi, cette dernière étant maintenue en détention dans le seul but d’être interrogée.

Sahar Francis, avocate et directrice de l’association de soutien aux prisonniers palestiniens (Addameer), explique à MEE : « Cette détention se fait selon les lois militaires en vigueur dans les territoires occupés, où les personnes soupçonnées de délits peuvent être maintenues 75 jours en détention afin d’être interrogées, sans qu’officiellement aucune charge ne soit retenue contre eux. »

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Ce traitement, très largement utilisé contre les Palestiniens, l’est plus rarement contre des étrangers. « Juani, bien que citoyenne espagnole, est mariée à un Palestinien. Par conséquent, elle a une carte de résidence palestinienne, et c’est pour cette raison qu’Israël la traite comme n’importe quel Palestinien ou Palestinienne », poursuit Sahar Francis.

« Juani, qui souffre d’une pluripathologie, se trouve en ce moment dans une prison d’hommes, dans laquelle elle est maintenue en cellule 24 heures sur 24 », poursuit Lidon Soriano.

« Les seuls moments qu’elle passe en dehors de sa cellule sont les interrogatoires mis en place par le Shabak [service de sécurité intérieure plus connu sous le nom de Shin Bet], qui peuvent durer jusqu’à six heures. »

« Ils veulent criminaliser la solidarité »

Alors que dans un rapport publié le 27 avril, Human Right Watch a accusé Israël de mener des politiques d’« apartheid » et de « persécution », notamment envers les Palestiniens résidant en Cisjordanie, assiste-t-on à une offensive contre les ONG œuvrant en Palestine ?

Tout porte à le croire, tant les coups portés à des structures palestiniennes et même israéliennes critiques face à l’occupation – Breaking the Silence, B’Tselem, etc. – ont été nombreux ces dernières années.

Mais cette attaque contre le Health Work Committees semble préméditée et minutieusement préparée : le 8 mars, l’armée israélienne réalisait une descente au bureau central de l’ONG à al-Bireh – près de Ramallah, –, arrêtant le chef du département de comptabilité, toujours emprisonné depuis.

« À travers elle [Juani], ce sont toutes les personnes engagées dans des organisations humanitaires ou en faveur des droits humains, qu’elles soient locales ou internationales, qui sont menacées »

- Sahar Francis, directrice de Addameer

Ils emportaient en outre du matériel informatique et de la documentation liée au travail humanitaire que l’ONG mène en collaboration avec des structures internationales.

« Ils veulent criminaliser la solidarité. Cette situation est d’autant plus cynique qu’ils attaquent une organisation de santé, en pleine période de pandémie. Alors même qu’Israël s’érige en champion international de la vaccination, les forces d’occupation détruisent les infrastructures sanitaires d’une population que leur État est censé, selon la quatrième convention de Genève, protéger », poursuit la porte-parole de Komite Internazionalistak.

Sahar Francis abonde : « À travers elle [Juani], ce sont toutes les personnes engagées dans des organisations humanitaires ou en faveur des droits humains, qu’elles soient locales ou internationales, qui sont menacées. »

En s’attaquant à elle, l’objectif de l’État d’Israël semble clair : il s’agit de couper les ramifications internationales de l’organisation HWC et de dissuader les donateurs.

Quelle issue ?

En Espagne, l’affaire a pris de l’ampleur : plus de 5 500 personnes et 115 organisations ont signé le manifeste pour la libération de Juana Rishmawi. En outre, de nombreux rassemblements ont eu lieu dans l’ensemble du pays.

Traduction : « Pour la libération immédiate de Juana Ruiz Sanchez et de ses collèges de Health Work Committees #HWC, emprisonnés par Israël sans inculpation et placés sous une juridiction militaire alors que ce sont des civils. »

Ses nombreux soutiens espèrent des actions fortes et concrètes de la diplomatie espagnole et de l’Union européenne. « Mais nous savons qu’Israël a toujours le dernier mot. Ils l’ont prouvé en violant le droit international à d’innombrables reprises », tempère Lidon Soriano.

Ce dimanche 2 mai, Juana Rishmawi était présentée pour la cinquième fois devant un juge militaire. Une audience qui s’est soldée par une nouvelle prolongation de sa détention, le bureau du procureur militaire israélien n’ayant, à nouveau, présenté aucune accusation formelle.

Depuis sa cellule, la travailleuse humanitaire attend sa prochaine comparution, prévue pour le 6 mai prochain. Selon les déclarations de l’avocate de la famille à l’agence de presse espagnole EFE, des charges devraient alors être présentées contre elle à cette occasion. Si ce n’était toujours pas le cas, sa détention se verrait une nouvelle fois prolongée.

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