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CPI : interrogations autour de l’enquête sur les crimes de guerre après l’élection d’un nouveau procureur général

Les responsables israéliens saluent la nomination du britannique Karim Khan à la tête de la Cour pénale internationale, peu après l’annonce de la décision relative à sa compétence dans les territoires palestiniens
Karim Khan, avocat britannique spécialiste des droits de l’homme, a été élu procureur général de la Cour pénale internationale, le 12 février 2021 (AFP)

L’élection de Karim Khan, avocat britannique, en tant que procureur général de la Cour pénale internationale (CPI) a une fois de plus agité le spectre de la « politisation » de l’organisation. Elle suscite également des inquiétudes concernant la signification de cette nouvelle nomination pour l’enquête sur les crimes de guerre présumés des Israéliens et du Hamas.

Ce quinquagénaire, qui a précédemment dirigé l’enquête de l’ONU sur les crimes du groupe État islamique (EI) en Irak, a été élu par scrutin à bulletin secret vendredi dernier, puisque les membres de la CPI n’étaient pas parvenus à un consensus pour remplacer sa prédécesseure, Fatou Bensouda.

Ce vote, sans précédent dans l’histoire de l’organisation, s’est soldé par une victoire étroite de Khan face à l’Irlandais Fergal Gaynor.

« Le nouveau procureur général de la CPI doit faire fi des pressions politiques inéluctables visant l’abandon de toute éventuelle enquête officielle sur les allégations de crimes de guerre commis dans les territoires occupés depuis 1967 par une quelconque partie »

Chris Doyle, Council for Arab-British Understanding

La presse israélienne a laissé entendre que les responsables israéliens « soutenaient la candidature de Khan en coulisses » et considèrent son élection comme une victoire pour Israël, même si le pays n’est pas membre de la CPI.

Karim Khan va probablement subir des pressions politiques particulières de la part d’Israël après l’annonce par la CPI début février qu’elle était compétente pour enquêter sur les crimes de guerre présumés commis par les Israéliens et les Palestiniens dans les territoires occupés par Israël depuis 1967, à savoir Gaza et la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est.

L’enquête de la CPI a reçu le feu vert de Bensouda mais on ne sait pas encore quel est l’avis de Khan sur cette enquête.

« Le nouveau procureur général de la CPI doit faire fi des pressions politiques inéluctables visant l’abandon de toute éventuelle enquête officielle sur les allégations de crimes de guerre commis dans les territoires occupés depuis 1967 par une quelconque partie », indique à Middle East Eye Chris Doyle, directeur du Council for Arab-British Understanding.

« Le droit et les preuves doivent prévaloir sur ce sujet. Rien n’indique que Karim Khan agira autrement. »

Une enquête « antisémite » ?

L’ouverture d’une enquête pour crimes de guerre a suscité la colère des responsables israéliens, qui ont qualifié cette dernière d’« antisémite ».

Cette enquête examinera les infractions perpétrées pendant les 50 jours de guerre en juin 2014 qui ont vu la mort de 2 251 Palestiniens – en majorité des civils – et fait 74 victimes du côté israélien, des soldats pour la plupart.

Elle intervient après cinq ans d’examen préliminaire par la CPI.

Au lendemain de l’annonce début février, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou s’était plaint qu’un « tribunal établi pour empêcher des atrocités comme l’holocauste nazi contre le peuple juif vise maintenant l’unique État du peuple juif ».

Lorsque la CPI enquête sur Israël pour de faux crimes de guerre, c’est de l’antisémitisme à l’état pur », a-t-il soutenu.

Bensouda, qui a supervisé l’ouverture de l’enquête sur Gaza, a été particulièrement visée par Israël. L’administration Trump l’a même sanctionnée par solidarité avec Israël concernant l’enquête de la CPI.

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En décembre 2019, le journal israélien pro-Netanyahou Yediot Aharonot a publié un article intitulé « Le diable de Gambie et la procureure de La Haye », dans lequel il tentait d’impliquer Bensouda dans des crimes commis par l’ancien dirigeant gambien Yahya Jammeh.

Israel Hayom, un autre quotidien de droite, l’accuse d’être « volontairement tombée dans les filets » de « l’exploitation du système judiciaire international pour accomplir l’objectif diplomatique de détruire l’État d’Israël ».

Le ministre israélien Yuval Steinitz avait déclaré en mai 2020 que Bensouda avait une « posture typiquement anti-Israël » en ce qui concerne la CPI et était déterminée à « nuire à l’État d’Israël et à ternir son nom ». En février, l’ancien ambassadeur israélien à l’ONU Danny Danon l’avait quant à lui accusée « d’ignorer les pays qui commettent des atrocités contre les droits de l’homme ».

« Si quiconque devrait se retrouver dans le box des accusés, ce serait la procureure générale de la CPI Fatou Bensouda », avait-il tweeté.

Jusqu’à présent, la nomination de Karim Khan a été chaleureusement accueillie par un certain nombre de politiciens israéliens.

Le député Michal Cotler-Wunsh, législateur israélien gérant les sujets liés à la CPI, a déclaré que Khan avait le « potentiel pour permettre à la CPI d’accomplir son importante mission : faire respecter, soutenir et protéger les droits de ceux qui ont besoin de sa représentation comme tribunal de dernière instance ».

Israel Hayom rapporte que l’élection de Khan pourrait même « amener les responsables de Jérusalem [israéliens] à reconsidérer leur boycott de la CPI ».

D’autres sont toutefois moins optimistes. Des responsables se confiant anonymement à Israel Hayom estiment que Khan devra être « jugé sur ses actions ».

« Ce n’est pas parce que les autres étaient mauvais qu’il est forcément un bon choix », expliquent-ils.

« Un outil politique »

Karim Khan reprendra officiellement le flambeau de Bensouda en juin. C’est alors qu’il sera possible de voir s’il emboîtera le pas à sa prédécesseure et maintiendra l’enquête, ou pliera devant la pression politique.

Depuis sa création en 1998, la CPI est régulièrement la cible des critiques, qui l’accusent de se concentrer essentiellement sur les pays en développement en Afrique mais ne demanderait pas vraiment de compte aux États puissants.

Le succès ou l’échec d’une enquête officielle sur la guerre à Gaza pourrait asseoir ou anéantir la crédibilité de l’organisation.

« Une enquête officielle doit être annoncée et menée résolument et équitablement. Demander des comptes à toutes les parties pour leurs actions est primordial. C’est la manière la plus efficace de s’assurer que de tels crimes ne seront pas permis à l’avenir », estime Doyle.

« Un échec fera apparaître la CPI comme un simple outil politique des puissances majeures aux yeux de la plupart des gens, plutôt qu’un lieu de justice et de poursuites pour ceux qui n’y ont pas accès autrement. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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