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Tandis qu’Israël dénonce l’enquête de la CPI, le Hamas prépare sa défense

La procureure de la Cour pénale internationale a prévenu que les factions palestiniennes feraient l’objet d’une enquête pour crimes de guerre. Le Hamas, qui a salué « sans réserve » la décision de la cour, assure ne rien craindre de cette enquête
Le système antimissile israélien Dôme de fer tire un missile pour intercepter des roquettes lancées depuis Gaza en direction d’Israël près de la ville méridionale de Sdérot (Reuters)
Par Adam Khalil à GAZA, territoires palestiniens occupés

Contrairement à Israël, les Palestiniens se réjouissent de la décision de la Cour pénale internationale (CPI) de se déclarer compétente dans les territoires occupés.

La procureure de la CPI va maintenant enquêter sur les crimes de guerre et abus présumés d’Israël dans la bande de Gaza sous blocus, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, territoires palestiniens occupés.

Le 5 février, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a jugé « antisémites » la décision et l’enquête de la CPI qui visent son pays.

Cependant, Israël n’est pas le seul concerné par l’enquête de la CPI. Le Hamas, le mouvement palestinien à la tête de Gaza, fera également l’objet de l’enquête de la CPI, qui se penchera en particulier sur la guerre d’Israël contre l’enclave côtière en 2014 et sa répression meurtrière des manifestations de la Grande Marche du retour en 2018.

Israël a certainement bien plus de raisons de s’inquiéter. En l’espace de sept semaines en 2014, ses soldats ont tué plus de 2 100 Palestiniens, des civils en grande majorité. Côté israélien, le bilan s’élève à 66 soldats et 7 civils.

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En outre, au moins 190 Palestiniens – encore une fois en grande partie des civils – ont été tués par les forces israéliennes lors de leur répression des manifestations hebdomadaires le long de la frontière de Gaza en 2018, et des milliers ont été blessés. Le bilan a connu son apogée le 14 mai : ce jour-là, alors que les États-Unis inauguraient leur ambassade à Jérusalem, 68 Palestiniens ont été abattus.

En ce qui concerne le Hamas et les autres factions palestiniennes telles que le Jihad islamique, la procureure de la CPI Fatou Bensouda a soumis un rapport à la cour l’année dernière ; celui-ci pointait des infractions relatives à l’utilisation de roquettes visant des rassemblements civils israéliens, l’utilisation de civils palestiniens comme boucliers humains et le meurtre de personnes accusées d’espionner pour Israël.

Le Hamas, qui a salué « sans réserve » la décision de la CPI, assure ne rien craindre de cette enquête. « La résistance palestinienne à l’occupation est légitime et en accord avec le droit international », assure-t-il.

« L’approche palestinienne à l’égard de la Cour pénale internationale intervient dans le cadre de la lutte légitime des Palestiniens par tous les moyens, afin de défendre leurs droits et de s’opposer à l’occupation sur tous les terrains », indique à Middle East Eye Raafat Morra, directeur du service de presse du Hamas.

Selon lui, le Hamas est confiant et s’estime protégé des poursuites car Israël est l’agresseur et la puissance occupante.

« Les Palestiniens n’ont pas commis de crime contraire à la loi, au contraire, ils ont défendu leurs terres, ils se sont défendus, et le droit de résister à l’occupation est garanti par le droit international. »

Pour Muhammad al-Nahal, à la tête du ministère de la justice de Gaza, c’est une honte que les factions palestiniennes fassent l’objet d’une enquête. Il déplore que tous soient considérés égaux devant la loi, indépendamment des circonstances.

« La victime est placée sur le même plan que le bourreau, visant les Palestiniens qui se défendent par des moyens simples, affrontant Israël et son arsenal militaire sophistiqué », souligne-t-il à MEE.

Nahal est toutefois persuadé que « les Palestiniens ne redoutent pas les plaidoiries et les enquêtes », notant que le Hamas a pris des mesures pour engager le conflit avec Israël dans le respect du droit international, faisant référence à une déclaration de 2014 appelant les Israéliens à éviter les grands rassemblements dans les stades tandis que des roquettes étaient tirées depuis Gaza.

Conséquences

Toutefois, Ihsan Adel, expert en droit international, pense que la décision de la CPI a des « conséquences du côté palestinien », citant les tirs de roquettes et les allégations d’utilisation de civils comme boucliers humains.

L’expert, qui vit à Londres, indique qu’en principe, cela pourrait mener à la délivrance de mandats d’arrestation pour les factions palestiniennes, plus particulièrement le Hamas.

Cependant, il estime que ces risques restent « limités » pour plusieurs raisons, dont la plus importante est le fait que la cour prenne en compte le « principe de gravité » dans ses enquêtes, faisant référence au bilan bien plus lourd imputable à Israël et sa puissance écrasante.

« La résistance est légitime et les forces en présence sont incomparables : l’occupation [Israël] dispose d’un arsenal militaire avancé et de fortifications qui protègent ses citoyens, alors que la résistance a des armes primitives et des infrastructures modestes »

- Salah Abdel Ari, Hashd

« Les Palestiniens doivent désormais être bien préparés en matière de documentation, rassembler les données et preuves à propos des crimes israéliens, et réfuter toute accusation qui pourrait être dirigée contre les factions palestiniennes », énumère-t-il.

Salah Abdel Ari, président de l’Organisation internationale de soutien aux droits du peuple palestinien (Hashd), pense que les factions palestiniennes n’ont aucune raison de s’inquiéter.

« La résistance est légitime et les forces en présence sont incomparables : l’occupation [Israël] dispose d’un arsenal militaire avancé et de fortifications qui protègent ses citoyens, alors que la résistance a des armes primitives et des infrastructures modestes », selon lui.

« L’occupation est la source du problème, et pour mettre un terme à l’occupation, il n’y aura pas de justification à toute action qui requiert une enquête pénale. »

Il considère l’enquête de la CPI comme le début d’un long processus qui rencontrera assurément de nombreux obstacles.

« Le chemin vers la véritable justice est encore long parce que la Cour pénale internationale sera face à des pressions politiques pour la décourager de faire son travail, lequel requiert de grands efforts soutenus de notre part en tant que Palestiniens », indique Abdel Ati.

« Obstacles et harcèlement »

Les alliés des Israéliens, tels que les États-Unis et l’Australie, ont déjà dénoncé la décision de la CPI concernant sa compétence, amenant l’Autorité palestinienne (basée en Cisjordanie) à déclarer dimanche : « L’Australie et d’autres pays tentent de politiser le travail de la Cour pénale internationale et de faire pression sur elle. »

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La procureure de la CPI Fatou Bensouda est déjà été visée par des sanctions américaines, bien que celles-ci remontent à l’ère Trump et pourraient être révoquées sous l’administration Biden.

« La cour et le bureau du procureur font face à un défi majeur, et en ce qui concerne le problème palestinien, elle se défend, défend sa légitimité et son existence », assure Abdel Ati.

Le professeur de sciences politiques Ibrahim Abraham prévoit que l’enquête de la CPI sera longue.

« Les tribunaux internationaux ont des procédures longues et compliquées », prévient-il, ajoutant que les « obstacles et le harcèlement » vont entraver le processus.

Selon le professeur Ibrahim Abrash, les factions palestiniennes vont devoir commencer à « préparer les dossiers et les documents et désigner des avocats au fait des litiges devant les tribunaux internationaux ».

Mais dans l’essentiel, ajoute-t-il, les responsables palestiniens et les militants de la société civile, de toutes obédiences, ont énormément travaillé pour en arriver là.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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