La fin de la loi israélienne sur la citoyenneté ne réconforte guère les Palestiniens privés de retrouvailles familiales
Lundi, le gouvernement israélien n’est pas parvenu à prolonger une loi controversée sur la citoyenneté, mais ceci arrive deux décennies trop tard pour de nombreuses familles palestiniennes qui ont été empêchées de vivre réunies en permanence.
Certains sont originaires de la Cisjordanie occupée et de la bande de Gaza sous blocus, d’autres sont des Palestiniens ou des Arabes qui sont nés et ont grandi en Égypte, en Jordanie et dans d’autres pays – la loi sur la citoyenneté et l’entrée en Israël, que le nouveau gouvernement israélien n’a pas réussi à faire adopter par la Knesset lundi, les empêchait tous d’obtenir un permis de séjour ou la citoyenneté israélienne par le biais d’un mariage avec un autre citoyen israélien.
Les détracteurs du texte de loi affirment que l’objectif était de maintenir au plus bas le nombre de Palestiniens détenant des documents israéliens
Fayza Ziadeh fait partie des victimes de cette loi. Elle a vécu les 25 dernières années dans l’anxiété et la peur dès lors qu’elle sortait de chez elle à Jérusalem-Est occupée.
Née en Égypte d’un père palestinien et d’une mère égyptienne, Fayza Ziadeh a épousé son mari vivant à Jérusalem-Est en novembre 1996.
Elle n’a aucun document d’identité, si ce n’est un papier du tribunal israélien prouvant son adresse dans la vieille ville de Jérusalem.
« Je reste la plupart du temps à la maison », indique-t-elle à Middle East Eye par téléphone.
« J’ai l’impression de purger une peine à perpétuité depuis 25 ans. Je ne peux pas emmener mes enfants à l’aire de jeux, comme les autres mères, car j’ai peur de me faire arrêter et expulser si la police [israélienne] m’appréhende et me demande une pièce d’identité. »
Une loi raciste et antidémocratique
Israël maintient une forte présence des forces de sécurité dans la vieille ville de Jérusalem et ses alentours et poste des unités de police militaire aux anciennes portes de la ville.
La loi sur la citoyenneté et l’entrée en Israël était une mesure législative d’urgence adoptée en 2003 et dénoncée par les Palestiniens ainsi que certains Israéliens comme étant raciste et antidémocratique.
La loi sur l’entrée en Israël de 1952 prévoyait à l’origine trois étapes pour le processus de demande de regroupement familial : le demandeur obtenait un permis temporaire de 27 mois, puis un document d’identité temporaire de 27 mois supplémentaires, avant de bénéficier d’un droit de séjour permanent.
La loi sur la citoyenneté de 2003 a mis fin à ce processus en stipulant que les Palestiniens ne pouvaient obtenir qu’un permis temporaire, mais pas un document temporaire ou un droit de séjour permanent.
Elle a également fixé des restrictions en matière d’âge : ainsi, les femmes palestiniennes de moins de 25 ans et les hommes de moins de 35 ans ne pouvaient pas demander de permis temporaire.
Les autorités israéliennes affirment que cette loi était nécessaire pour empêcher les Palestiniens ayant épousé des citoyens israéliens de se servir de leur statut légal pour aider à préparer des attaques contre Israël au plus fort de la seconde Intifada, une période marquée par de violents assauts militaires israéliens contre les Palestiniens en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et à Gaza, ainsi que par des attaques palestiniennes, notamment des attentats-suicides, de 2000 à 2005.
Fayza Ziadeh avait pourtant demandé un droit de séjour permanent en Israël avant la seconde Intifada.
Le ministère israélien de l’Intérieur a tout d’abord rejeté sa demande parce que son mari avait été arrêté par les forces israéliennes à l’âge de 16 ans, au cours des manifestations de la première Intifada en 1987.
« C’est un motif stupide. Il était mineur à l’époque », déplore-t-elle.
« Nous avons réessayé et cette fois, la demande a été refusée parce qu’ils ont dit que j’avais une carte d’identité délivrée par l’Autorité palestinienne à Gaza. À chaque fois, ils donnent un motif idiot. »
« C’est ainsi que je vis »
Fatmeh Maraqa, qui se fait également appeler Oum Noor, est une Palestinienne originaire de la ville de Tulkarem, en Cisjordanie, et vit actuellement à Fureidis, une ville côtière située près de Haïfa, dans le nord d’Israël.
Oum Noor s’est vu refuser tout droit de séjour ainsi que la citoyenneté israélienne, bien qu’elle soit mariée à un citoyen palestinien d’Israël depuis 1999 et qu’elle se soit installée à Fureidis. Ni elle ni ses quatre enfants ne possèdent de papiers israéliens.
« Chaque fois que nous faisons une demande, le ministère de l’Intérieur la rejette », explique-t-elle à MEE. « Au motif que j’ai donné naissance à mes enfants dans un hôpital palestinien de Tulkarem, et non dans un hôpital israélien. »
« Cela affecte la vie de mes enfants, qui ne peuvent pas voyager normalement en dehors du village »
– Oum Noor, habitante de Fureidis
Son fils a été arrêté à plusieurs reprises et expulsé à chaque fois vers Tulkarem, où il passait quelques nuits dans la maison de son grand-père avant de revenir à Fureidis.
« Les policiers [israéliens] présents actuellement le reconnaissent désormais et connaissent son histoire, donc ils le laissent tranquille. Mais lorsque de nouveaux policiers seront déployés dans la région, il sera à nouveau arrêté parce qu’il n’a pas de pièce d’identité », explique Oum Noor.
La liste des documents qu’elle a dû joindre à sa demande de permis de séjour auprès du ministère de l’Intérieur était complète. Elle a délivré des analyses de sang prouvant que ses enfants sont aussi ceux de son mari, un certificat de mariage palestinien ainsi qu’un certificat de la police palestinienne prouvant que son casier judiciaire est vierge.
« Depuis 2000, nous faisons la chasse aux demandes », affirme-t-elle.
« Nos derniers frais d’avocat se sont élevés à 25 000 shekels, sans résultat. Cela affecte la vie de mes enfants, qui ne peuvent pas voyager normalement en dehors du village. »
Oum Noor a elle aussi été arrêtée plusieurs fois et renvoyée à Tulkarem.
« Je reste quelques jours là-bas et je vois ma famille, puis je passe en Israël loin du poste de contrôle – c’est ainsi que je vis », explique-t-elle.
« Rien ne pourrait rattraper cela »
Selon des organisations de défense des droits de l’homme, la loi sur la citoyenneté et l’entrée en Israël interdit à près de 45 000 familles palestiniennes vivant en Israël et à Jérusalem-Est de vivre réunies, ce qui les prive d’assurance maladie et de la possibilité de voyager librement.
Les détracteurs du texte de loi affirment que l’objectif était de maintenir au plus bas le nombre de Palestiniens détenant des documents israéliens.
Le père de Fayza Ziadeh est un Palestinien originaire de la bande de Gaza, mais elle ne s’est rendue sur l’enclave que pendant une semaine après le retour de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à la suite de la signature des accords d’Oslo avec Israël en 1993.
« Je voulais seulement emmener mes enfants en voyage, rendre visite à ma mère une dernière fois, aller aux mariages de mes enfants sans avoir peur d’être arrêtée »
– Fayza Ziadeh, habitante de Jérusalem-Est
« Ma mère est morte au Caire il y a trois ans et je n’ai pas pu aller la voir une dernière fois. Rien ne pourrait rattraper cela. Je ne l’avais pas vue depuis 1996. Mes sœurs voyageaient avec leurs enfants chaque année pour les vacances d’été en Égypte, sans moi », déplore Fayza Ziadeh.
Si l’Égypte se trouve à une certaine distance de Jérusalem, elle ne peut pas non plus rendre visite à sa sœur à Ramallah, à 45 minutes de route.
Fayza Ziadeh, qui a sept enfants et deux petits-enfants, n’a pas d’assurance maladie. Elle a accouché dans des hôpitaux israéliens en utilisant l’assurance maladie de son mari. Aujourd’hui, elle évite d’aller chez le médecin pour ne pas devoir payer les honoraires.
« J’utilise désormais internet pour me soigner […] Et quand j’ai besoin d’acheter des médicaments, je demande à l’un de mes fils de les acheter avec son assurance maladie », indique-t-elle.
Elle essaie d’obtenir la nationalité égyptienne dans l’espoir d’avoir un passeport et de pouvoir voyager et retourner à Jérusalem.
« L’ambassade d’Égypte m’a dit que j’étais en droit de l’obtenir, mais que je devais me rendre au Caire, alors que les Israéliens ont refusé de me donner des documents pour pouvoir rentrer, donc je suis coincée dans cette situation. »
La non-prolongation de la loi sur la citoyenneté ne rattrape pas les 25 dernières années de sa vie, déplore-t-elle.
« Je voulais seulement emmener mes enfants en voyage, prendre le petit-déjeuner et discuter avec ma sœur, pouvoir rendre visite à ma mère une dernière fois, aller aux mariages de mes enfants sans avoir peur d’être arrêtée. »
Selon la journaliste Lily Galili, la suspension de la loi n’apportera de fait aucun réel changement. « L’avenir des familles est toujours entre les mains du tout-puissant service de renseignement intérieur, le Shin Bet, et du ministère de l’Intérieur, désormais dirigé par Ayelet Shaked du parti ultra-nationaliste Yamina. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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