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Les citoyens palestiniens d’Israël craignent des représailles à la suite des attaques meurtrières

Le gouvernement israélien ainsi que des groupes armés d’extrême droite ont annoncé plusieurs mesures qui suscitent des inquiétudes pour la minorité palestinienne du pays à la suite des attaques à Hadera et dans le Néguev
Des membres des forces de sécurité israéliennes se trouvent sur le site d’une attaque lors de laquelle deux policiers israéliens ont perdu la vie dans la ville de Hadera, le 27 mars 2022 (AFP)

Presque immédiatement après l’attaque meurtrière survenue dimanche à Hadera, les forces israéliennes sont descendues dans la ville voisine d’Umm al-Fahm, tandis qu’une milice civile armée israélienne a commencé à se mobiliser.

À la recherche d’indices sur la fusillade au cours de laquelle deux policiers ont perdu la vie et dix autres ont été blessés, la police et les forces spéciales ont effectué des descentes dans la ville à majorité palestinienne du centre d’Israël. Des barrages routiers ont été érigés et des habitants ont été arrêtés. 

Leur présence s’est poursuivie lundi et mardi, tout comme les arrestations, au nombre de quinze.

« Israël, tant à gauche qu’à droite de l’échiquier politique, utilise toujours des événements comme celui-ci pour attiser la haine envers les Palestiniens de 1948 »

– Taha Ighbariya, habitant d’Umm al-Fahm 

Les deux assaillants, des citoyens palestiniens d’Israël originaires d’Umm al-Fahm, ont été tués par des agents en civil lors d’une fusillade après leur attaque.

À Umm al-Fahm comme dans tout Israël, les citoyens palestiniens, également appelés Palestiniens de 1948, ont rapidement condamné l’attaque dans un contexte de craintes accrues de représailles israéliennes à leur encontre, tant de la part de l’État que de milices juives armées. 

« Cette attaque ne représente pas les habitants de la ville, ni notre société, ni nos valeurs qui appellent à une vie décente, à la tolérance, celles d’une société qui recherche la sécurité et la paix », a déclaré la municipalité d’Umm al-Fahm dans un bref communiqué publié dimanche.

Mais aujourd’hui, une certaine tension règne à Umm al-Fahm d’après Taha Ighbariya, un journaliste vivant dans la ville.

L’arrivée rapide des unités de police et la hausse de l’incitation à la haine dans les médias israéliens suscitent la crainte et l’anxiété des Palestiniens.

« Israël, tant à gauche qu’à droite de l’échiquier politique, utilise toujours des événements comme celui-ci pour attiser la haine envers les Palestiniens de 1948 », indique le journaliste. 

« Hier soir, nous avons vu le député [à la Knesset] Itamar Ben-Gvir crier “Mort aux Arabes !” [lors des manifestations qui ont suivi la fusillade].

« Il a même osé hurler au visage du ministre de la Sécurité publique [Omer Barlev] et inciter à la haine à son encontre et contre les Arabes. Personne ne peut l’arrêter. »

Arrestations et renforts

Depuis la fusillade de dimanche, plusieurs mesures ont été annoncées par le gouvernement ainsi que par des groupes armés d’extrême droite, ce qui suscite l’inquiétude des citoyens palestiniens d’Israël, lesquels représentent près d’un cinquième de la population. 

Lundi, la police a indiqué qu’elle avait fait appel à six unités de police de réserve et qu’il était possible que d’autres soient appelées à passer en service actif. 

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Cette annonce est intervenue quelques heures après que l’armée israélienne a annoncé l’envoi de renforts le long des frontières de 1967 qui séparent Israël de la Cisjordanie occupée. 

Le Premier ministre israélien Naftali Bennett a déclaré que les détentions administratives pour les « agents terroristes » devaient être utilisées « dans des cas appropriés lorsqu’il existe une base juridique adéquate », sans donner plus de précisions.

Les détentions administratives sont une politique controversée qu’Israël emploie presque exclusivement contre les Palestiniens des territoires occupés. Elle permet la détention de prisonniers sans procès ni inculpation pour une durée indéterminée. 

Les autorités ont déjà arrêté cinq habitants d’Umm al-Fahm, dont le frère d’un des assaillants. 

Lundi, le tribunal correctionnel de Haïfa a prolongé leur détention à dix jours après que le ministère public a demandé leur maintien en détention pendant quinze jours dans l’attente d’une enquête.

Des milices armées 

L’incitation à la violence venant de l’extrême droite et des colons à l’encontre des citoyens palestiniens semble s’être intensifiée en Israël et dans les territoires occupés après la fusillade de dimanche. 

Dimanche, en Cisjordanie occupée, les Palestiniens de Naplouse et de Ramallah ont été attaqués par des colons qui ont incendié des véhicules et endommagé des propriétés. 

Dans la région méridionale du Néguev (appelée Naqab par les Arabes), où un autre citoyen palestinien d’Israël a tué quatre personnes lors d’une attaque à l’arme blanche et à la voiture piégée mardi dernier, une milice armée a annoncé qu’elle avait mis en place des escouades dans toute la zone pour la défendre contre toute nouvelle attaque. 

« Depuis l’attaque terroriste, nous avons commencé à mettre en état d’alerte des escouades armées [de volontaires]. Elles sont déployées jusqu’à présent à Omer, Meitar, Lehavim, Dimona, Carmit et Beersheba », a déclaré le groupe dans des messages publiés sur sa page Facebook

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« Une équipe antiterroriste sera également présente dans le secteur pour faire face à tout scénario », précise le groupe. 

L’« unité Barel Rangers » est une milice lancée la semaine dernière avec pour objectif de « sauver le Néguev de l’absence problématique de sécurité personnelle » dans un contexte de tensions accrues. 

Un groupe similaire a été annoncé plus tôt ce mois-ci dans la ville de Lod, dans le centre du pays, épicentre de la plupart des violences qui ont secoué les villes israéliennes en mai dernier. 

Dimanche matin, le diffuseur public israélien Kan TV a rapporté qu’un autre groupe de colons armés de Cisjordanie prévoyait de faire une incursion à Sheikh Jarrah pendant le mois du Ramadan et d’accroître sa présence dans le quartier occupé de Jérusalem-Est

La formation de milices armées, la répression gouvernementale et les attaques de colons en Cisjordanie ne feront qu’accroître la pression sur les Palestiniens et intensifier la riposte, selon Taha Ighbariya. 

« À la lumière de cette mentalité radicale d’Israël, qui considère ses citoyens palestiniens comme des individus dangereux, le système continuera de nous acculer avec encore plus de restrictions et d’arrestations. »

« Lorsque les gens sont acculés, ils sont naturellement recherchés par les groupes violents », prévient-il. 

Des motivations liées à l’État islamique ?

Les deux cousins à l’origine de la fusillade de Hadera, Ibrahim Ighbariya et Ayman Ighbariya, sont tous deux soupçonnés d’avoir été en lien avec le groupe État islamique (EI).

Ibrahim a été arrêté en 2016 pour avoir tenté de rejoindre le groupe en Syrie via la Turquie, tandis qu’Ayman a été détenu pendant trois semaines sans être inculpé en 2017 car il était soupçonné d’avoir enfreint la législation en matière d’armes. 

Mohammed Abu al-Kiyan, l’assaillant à l’origine de l’attaque à l’arme blanche de la semaine dernière, aurait également entretenu des liens avec l’EI. 

Les liens apparents avec l’État islamique et la proximité des attaques soulèvent des questions quant à la possibilité d’une nouvelle menace en Israël.

Une collègue pleure une victime de la fusillade au cours de ses funérailles, le 27 mars 2022 (AFP)
Une collègue pleure une victime de la fusillade au cours de ses funérailles, le 27 mars 2022 (AFP)

Ameer Makhoul, un auteur établi à Haïfa qui a passé dix ans dans une prison israélienne en raison de son activisme, remet toutefois en question d’éventuels liens entre ces attaques et des motivations liées à l’État islamique. 

Ayant passé du temps en prison avec des détenus incarcérés pour des liens présumés avec l’EI – qui ne sont pas plus de 87 –, Ameer Makhoul affirme que ces individus ne croient pas en la cause de la libération palestinienne et ne se soucient donc pas d’attaquer Israël. 

Leur priorité serait de tuer les musulmans considérés comme des infidèles afin d’établir un État fondé sur des opinions religieuses extrêmes.

« Les prisonniers en lien avec l’EI étaient traités avec indulgence par l’establishment […] y compris par l’appareil de sécurité, le ministère public et le système judiciaire [israéliens] »

– Ameer Makhoul, auteur

Ainsi, ajoute-t-il, la différence entre leur idéologie et celle d’autres prisonniers appartenant à des groupes tels que le Fatah, le Hamas et le Djihad islamique était si marquée que les comités de prisonniers palestiniens s’opposaient vivement à leur intégration au sein de leurs branches.

Cependant, les autorités pénitentiaires israéliennes ont fait pression pour qu’ils soient intégrés au reste des prisonniers palestiniens et leur ont réservé un traitement favorable, indique Ameer Makhoul.

L’ancien détenu avait parfois l’impression que les garçons coupables d’avoir jeté des pierres sur des soldats en Cisjordanie étaient punis plus sévèrement que les détenus en lien avec l’EI. 

« Les prisonniers en lien avec l’EI étaient traités avec indulgence par l’establishment […] y compris par l’appareil de sécurité, le ministère public et le système judiciaire [israéliens] », affirme-t-il.

L’idéologie de l’EI est rejetée par la société palestinienne dans son ensemble, affirme Ameer Makhoul, qui précise que cela ne doit pas détourner l’attention de la réalité à laquelle sont confrontés les Palestiniens en Israël et en dehors à la suite des attaques et à l’approche du mois sacré du Ramadan, qui coïncidera avec les fêtes juives, ce qui pourrait provoquer des tensions à Jérusalem et ailleurs. 

Dans la mesure où l’incitation à haine et la répression semblent s’intensifier, les Palestiniens doivent être prêts à apporter « une réponse populaire ferme », poursuit Ameer Makhoul.

« Nous ne devons pas oublier que les victimes en Israël sont les membres de la société palestinienne, victimes d’incitation à la violence, de politiques meurtrières et d’un nettoyage ethnique. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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