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Jordanie : des journalistes, avocats et militants ciblés par le logiciel espion Pegasus

Une enquête révèle qu’en Jordanie, au moins 35 personnes, dont de nombreuses impliquées dans des questions politiques sensibles, ont été victimes d’une utilisation « extrêmement répandue » d’un logiciel espion de fabrication israélienne
Capture d’écran de ce qu’Access Now qualifie d’attaque sophistiquée d’ingénierie sociale dans laquelle le pirate s’est fait passer pour un journaliste de l’organe de presse The Cradle pour avoir accès aux informations de la victime (Access Now)

Selon une nouvelle enquête judiciaire, au moins 35 personnes, parmi lesquelles des avocats spécialisés en droits de l’homme, des militants politiques et des journalistes, ont été ciblées par le logiciel espion Pegasus en Jordanie depuis 2019.

L’organisation de défense des droits numériques Access Now a déclaré que son enquête conjointe avec le Citizen Lab de l’Université de Toronto avait révélé l’utilisation « extrêmement répandue » de ce logiciel espion dans un contexte de répression croissante de l’espace civique dans le royaume hachémite.

« Nous pensons qu’il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg en ce qui concerne l’utilisation du logiciel espion Pegasus en Jordanie », a indiqué l’organisation dans son rapport publié jeudi 1er février. « Le nombre réel des victimes est probablement beaucoup plus élevé. »

Conçu par la société israélienne NSO Group, Pegasus transforme les téléphones en dispositifs de surveillance de niveau militaire et aurait été utilisé ces dernières années par des gouvernements étrangers contre des activistes, des journalistes et des personnalités politiques.

« Nous pensons qu’il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg en ce qui concerne l’utilisation du logiciel espion Pegasus en Jordanie »

- Access Now

D’après le rapport, de nombreuses victimes ont travaillé sur des questions politiques sensibles ou les ont dénoncées, dont la grève nationale des enseignants de 2019 et la dissolution subséquente du syndicat des enseignants, ainsi que les fuites de données des Pandora Papers et des Suisse Secrets.

D’autres victimes étaient des militants palestiniens basés en Jordanie qui dirigeaient des campagnes publiques dénonçant l’occupation israélienne et l’accord de normalisation conclu par la Jordanie avec Israël, ont révélé les enquêteurs.

Cinq avocats spécialisés dans les droits de l’homme et membres du Forum national pour la défense des libertés, qui soutient bénévolement des prisonniers, syndicats et partis politiques en Jordanie, figuraient parmi les personnes visées.

Selon les enquêteurs, Hala Ahed, l’une des avocates qui a fait l’objet d’une campagne de harcèlement plus large en raison de ses activités militantes, a été visée par Pegasus à deux reprises, en 2021 et à nouveau en 2023.

La majorité des personnes piratées sont des journalistes. Il s’agit notamment de Rana Sabbagh et Lara Dihmis, correspondantes de l’Organised Crime and Corruption Reporting Project, et de Daoud Kuttab, chroniqueur et directeur général du Community Media Network, qui ont tous été visés à plusieurs reprises, indique le rapport.

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Des représentants d’organisations à but non lucratif, dont deux membres du personnel de Human Rights Watch (HRW) basés en Jordanie, ont également été ciblés, l’un d’eux seulement deux semaines seulement après la publication par HRW d’un rapport accablant sur l’intensification de la répression gouvernementale en Jordanie.

Lama Fakih, directrice de HRW pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, qui a déjà été visée par Pegasus, a déclaré que le ciblage généralisé en Jordanie était « un rappel brutal de la nécessité urgente de sauvegarder les droits numériques et la vie privée ».

Le rapport publié jeudi ne précise pas qui est soupçonné d’avoir pris pour cible les Jordaniens.

En 2022, une enquête menée conjointement par Front Line Defenders et Citizen Lab sur le piratage de défenseurs des droits humains, de journalistes et d’avocats jordaniens au moyen de Pegasus avait permis d’identifier deux entités qui seraient  « vraisemblablement des agences du gouvernement jordanien ».

En réaction au rapport paru jeudi, NSO a déclaré au quotidien britannique The Guardian qu’il « se conformait à toutes les lois et réglementations et ne vendait ses produits qu’à des services de renseignement et à des organismes responsables du maintien de l’ordre approuvés ».

Middle East Eye a contacté l’ambassade de Jordanie au Royaume-Uni pour obtenir des commentaires, sans réponse au moment de la publication.

Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.

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