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Pandora Papers : le roi de Jordanie a secrètement acquis un patrimoine immobilier de luxe d’une centaine de millions de dollars

Via des paradis fiscaux, le roi Abdallah II a acquis la plupart de ses propriétés – d’appartements de luxe à Londres à un manoir tentaculaire à Los Angeles – après le Printemps arabe de 2011
Le roi Abdallah II, qui règne sur la Jordanie depuis plus de vingt ans, s’est constitué un empire immobilier de luxe international qui comprend quatorze propriétés (AFP/photo d’archives)
Le roi Abdallah II, qui règne sur la Jordanie depuis plus de vingt ans, s’est constitué un empire immobilier de luxe international qui comprend quatorze propriétés (AFP/photo d’archives)
Par MEE

Des documents financiers qui viennent d’être dévoilés montrent que le roi de Jordanie a secrètement dépensé plus d’une centaine de millions de dollars en immobilier au Royaume-Uni et aux États-Unis, suscitant des critiques alors que le pays est en proie à un chômage galopant et des mesures d’austérité. 

Les Pandora Papers, partagés ce week-end par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), révèlent que le roi Abdallah II s’est constitué entre 2003 et 2017 un empire immobilier de luxe qui comprend quatorze propriétés de Malibu (Californie) à Washington en passant par le centre de Londres et Ascot au Royaume-Uni. 

Ces propriétés ont été acquises en secret, via des sociétés offshores enregistrées aux îles Vierges britanniques, pour dissimuler l’identité du roi, dévoilent les Pandora Papers. La plupart des propriétés ont été acquises après le Printemps arabe de 2011. 

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Réagissant à ces révélations, les avocats du roi Abdallah II allèguent que malgré le recours aux paradis fiscaux, le souverain a utilisé sa fortune personnelle pour acheter ces propriétés, et non pas des fonds publics. 

« [Sa Majesté] n’a en aucun cas détourné les deniers publics ou utilisé d’une quelconque manière les aides destinées au public », affirment les avocats dans un communiqué adressé à l’ICIJ. 

« S. M. se soucie au plus haut point de la Jordanie et de son peuple et agit toujours avec intégrité et dans le meilleur intérêt du pays et de ses citoyens », poursuit le communiqué. 

Toutefois, les autorités ont bloqué le site du consortium en Jordanie dimanche, quelques heures après la révélation des Pandora Papers, signale le Guardian.

Lundi, la Jordanie a aussi dénoncé ces informations « déformées », estimant qu’elles constituaient une « menace pour la sécurité du monarque et de sa famille ».

Depuis longtemps, la Jordanie cherche à réduire au silence ceux qui pourraient s’interroger sur la fortune du roi Abdallah II, qui règne sur le pays depuis plus de vingt ans. 

Fuite de capitaux

En début d’année, une querelle sans précédent a éclaté entre la famille régnante et l’ancien prince héritier Hamza ben Hussein, une personnalité appréciée, car ce dernier critiquait le « système dirigeant » qui pense « que ses intérêts personnels, que ses intérêts financiers, que sa corruption sont plus importants que la vie et la dignité de l’avenir des dix millions de personnes qui vivent [en Jordanie] ». 

En 2019, Amjad Hazza al-Majali, ex-conseiller du père du roi, a écrit une lettre largement diffusée sur les réseaux sociaux exigeant que la famille royale rende l’argent et les terres « volés » au Trésor public.

Cette lettre a été diffusée dans un contexte de manifestations contre la corruption et la pauvreté, le chômage atteignant 18,6 % dans le pays en 2019.

Les manifestants réclamaient notamment la suspension des taxes sur les carburants, de la taxe de vente sur les produits de première nécessité, la libération de tous les prisonniers politiques et des mesures contre la corruption.

Selon les avocats du roi, le monarque n’a pas à payer d’impôts en vertu du droit jordanien et, par conséquent, n’a rien fait de mal en utilisant ces paradis fiscaux étrangers

La répression de la contestation a conduit en prison des critiques et des manifestants mais n’a pas réussi à étouffer totalement le mouvement de protestation et, en juin 2020, les autorités jordaniennes ont accepté de s’attaquer à la richesse cachée dans le pays, laquelle contribue à une fuite de capitaux estimée à 800 millions de dollars chaque année. 

Le Premier ministre de l’époque Omar al-Razzaz s’était juré de traquer le moindre dinar caché dans les paradis fiscaux, affirmant qu’aucune fortune offshore ne pourrait y échapper.

Le roi Abdallah II et ses quatorze manoirs secrets semblent toutefois épargnés par cette répression. Selon les avocats du monarque, ce dernier n’a pas à payer d’impôts en vertu du droit jordanien et, par conséquent, n’a rien fait de mal en utilisant ces paradis fiscaux étrangers. 

Par ailleurs, ses avocats ont fait savoir à l’ICIJ que les informations relatives aux propriétés du roi n’étaient pas exactes ni à jour.

Selon les Pandora Papers, ces propriétés comptent une maison à Ascot, l’une des villes les plus chères d’Angleterre, des appartements de plusieurs millions de dollars dans le centre de Londres et trois appartements de luxe dans un complexe de Washington qui a une vue panoramique sur le Potomac, détaille l’ICIJ. 

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À cela s’ajoutent trois maisons contiguës en bord de mer en rénovation dans un quartier fermé pour personnes fortunées près de Los Angeles, et l’une d’entre elles est un manoir de sept chambres sur une falaise surplombant l’océan Pacifique acheté en 2014 pour 33,5 millions de dollars. 

Dans le même temps, le chômage atteint désormais 25 % alors que l’économie jordanienne est toujours à la peine face à des déficits chroniques. 

Pays parmi les plus pauvres du Moyen-Orient, la Jordanie n’a quasiment aucune ressource pétrolière et a peu de ressources en eau. C’est pourquoi le royaume dépend de l’aide internationale, en particulier américaine : les États-Unis ont fourni 1,5 milliards de dollars d’aide rien que l’année dernière. Le gouvernement britannique est un autre bailleur de fonds important, qui a doublé son financement sur cinq ans, atteignant 888 millions de dollars en 2019.

« Contrairement à d’autres monarchies moyen-orientales comme l’Arabie saoudite, la Jordanie n’a pas l’argent qui permettrait au roi de faire étalage de sa richesse », explique Annelle Sheline, spécialiste en autorité religieuse et politique au Moyen-Orient dans une interview avec l’ICIJ. 

« Si le monarque jordanien affichait davantage publiquement sa fortune, non seulement il se mettrait à dos son peuple, mais il irriterait les donateurs occidentaux qui lui versent de l’argent », ajoute Sheline, chercheuse au Quincy Institute de Washington. 

La spécialiste a indiqué à la BBC que ces révélations pourraient avoir un impact majeur en Jordanie.

« Il est vraiment très compliqué pour le Jordanien lambda d’avoir une simple maison, une famille et un bon travail », souligne Annelle Sheline. « Et se voir jeter au visage que [le roi] a fait passer de l’argent à l’étranger tout ce temps ? Ça, ce serait très mal vu. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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