Après vingt ans de règne, Abdallah II de Jordanie est sur un terrain glissant
Les Jordaniens ont célébré dimanche le 20e anniversaire de l’accession au trône du roi Abdallah II, un règne qui n’a pas été facile.
Les autorités ont organisé des événements intitulés « Nous sommes tous le roi Abdallah » en signe de solidarité avec le monarque, confronté à des pressions concernant la cause palestinienne.
« [Le roi] n’était pas prêt ou préparé pour les défis auxquels il était confronté et il était difficile de prendre la place de son père et de reprendre le rôle politique que celui-ci avait joué dans la région »
- Labib Kamhawi, analyste politique
En septembre dernier, le roi a estimé que cette pression pesait « à la fois sur la Jordanie et sur lui personnellement ».
Abdallah est devenu roi le 9 juin 1999, après la mort de son père, le roi Hussein ben Talal, l’un des dirigeants les plus expérimentés dans le domaine des affaires tant intérieures qu’étrangères.
Le jeune roi a été confronté à plusieurs défis régionaux, à commencer par l’occupation de l’Irak en 2003 et ses effets sur la Jordanie, suivis des révolutions du « Printemps arabe » et de la guerre en Syrie, qui a vu un nombre considérable de réfugiés arriver dans le royaume.
Sur le front intérieur, les défis économiques du pays ont engendré une foule de chômeurs, dont certains ont organisé un sit-in devant le palais royal en février.
Nouvelle vague du Printemps arabe
Les deux décennies de règne du roi ont été marquées par une série de crises politiques et une agitation croissante. Outre les problèmes internes, notamment économiques, la Jordanie a dû faire face à des tensions régionales qui ont ébranlé ses alliances traditionnelles.
Selon Sabri Rbeihat, ancien ministre du Développement politique et de la Culture, sous le règne d’Abdallah II, « la Jordanie a réussi à relever les défis économiques, sécuritaires et politiques auxquels la région arabe, y compris la Jordanie, s’est retrouvée confrontée ».
« La Jordanie est restée stable mais n’a pas accompli de grandes réalisations pour diverses raisons internes et externes », déclare-t-il à MEE.
« Parmi les plus importantes figurent les alliés traditionnels avec lesquels la Jordanie travaillait auparavant, et par lesquels elle a été remerciée de façon parcellaire pour son rôle.
« En d’autres termes, il n’y avait aucun allié stratégique avec lequel coopérer sérieusement ou mener à bien des programmes produisant des résultats stratégiques. Donc, pour la Jordanie, c’était une stratégie de présence et de continuité. »
Dernièrement, la Jordanie a été soumise à une pression intense de la part de toutes les parties alors que les États-Unis s’apprêtent à présenter leur plan de paix entre Israël et la Palestine, qualifié d’« accord du siècle ».
Amman aurait été laissé de côté pour la majeure partie des travaux préparatoires de Washington et a accepté à contrecœur de participer à un sommet à Bahreïn plus tard ce mois-ci dans lequel l’administration Trump espère pouvoir lancer le paquet économique conçu pour inciter les Palestiniens à coopérer.
Sabri Rbeihat estime que ce qui est arrivé à la question palestinienne est « troublant et a forcé le royaume à revoir ses alliances, que ce soit avec les États-Unis ou Israël, qui ont tous deux commencé à chercher d’autres alliés [et] à contourner la Jordanie ».
Affaiblissement des alliances traditionnelles
Selon l’analyste politique Labib Kamhawi, « le premier défi auquel le roi a dû faire face a été de rester [sur le trône] et de réussir ».
« Il n’était pas prêt ou préparé pour les défis auxquels il était confronté et il était difficile de prendre la place de son père et de reprendre le rôle politique que celui-ci avait joué dans la région », explique-t-il à MEE.
Selon Kamhawi, « le régime n’a pas réussi à développer la Jordanie sur le plan politique parce que sa vision de la réforme politique divergeait des souhaits du peuple. »
« Cela a conduit à des mouvements populaires réclamant des réformes politiques et des gouvernements élus, ainsi qu’à de plus en plus de plaintes de la part des jeunes qui étaient mécontents de l’absence de réformes économiques et politiques et de l’absence de possibilités d’emploi. »
Au niveau régional, Labib Kamhawi estime que « la Jordanie a traité de manière graduelle l’effondrement des alliances traditionnelles ».
« L’alliance hachémite avec l’Arabie saoudite a commencé à s’affaiblir lorsque la Jordanie a été invitée à prendre position sur la Syrie, la crise au Yémen et l’Iran », explique-t-il.
« Cela a été perçu comme étant contraire aux intérêts de la Jordanie et, par conséquent, cette alliance a commencé à s’affaiblir. Entre-temps, la Jordanie n’a pas réussi à créer de nouvelles alliances en remplacement de ces alliances traditionnelles.
« La Jordanie n’a pas réussi à créer de nouvelles alliances en remplacement de ces alliances traditionnelles »
- Labib Kamhawi
« L’alliance américaine n’a peut-être pas faibli, mais elle exerce une pression insupportable sur la Jordanie en raison du parti pris visible des États-Unis à l’égard d’Israël dans le but de mettre fin aux aspirations nationales palestiniennes.
« Le roi a résisté aux pressions antérieures lorsque les États-Unis ont reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël et qu’ils ont tenté de mettre fin au droit au retour [des Palestiniens] en cessant de financer l’UNRWA.
« Mais la pression continue sur la Jordanie est devenue un défi dangereux pour une autorité gouvernementale incapable de l’accepter, mais ne pouvant en même temps pas s’y opposer. »
Pour sa part, la Jordanie a mis en garde à plusieurs reprises contre les dangers de « l’accord du siècle » de l’administration Trump et de ses ramifications.
En mars dernier, le roi a clairement énoncé sa position concernant Jérusalem, malgré les pressions. Il dit catégoriquement « non » à trois choses : au refus du retour des réfugiés, à une patrie palestinienne tronquée et à des concessions concernant Jérusalem.
Défis économiques
Sur le plan national, les défis auxquels le roi est confronté sont considérables.
Le chômage atteint 18,6 %, tandis que l’inflation a augmenté en raison d’une taxe de 3,7 % sur les produits de première nécessité, principalement les carburants.
À la fin de juillet 2018, la dette de la Jordanie s’élevait à 39 milliards de dollars, soit 96,4 % du produit national brut.
Les chiffres sont une source de préoccupation majeure pour le roi, qui a déclaré au New York Times en mars qu’il restait éveillé la nuit en pensant au problème du chômage chez les jeunes jordaniens.
Les problèmes économiques du pays se sont considérablement aggravés lorsque le gouvernement est entré dans ce que l’on appelle communément la « phase de correction économique » mise en œuvre par le Fonds monétaire international (FMI) en 1989, suite à une crise économique difficile.
Ce programme a été le point de référence pour les plans économiques de tous les gouvernements successifs qui ont appliqué ses mesures afin de recevoir des prêts à faible taux d’intérêt.
En conséquence, le gouvernement a augmenté les prix des produits de base et appliqué un certain nombre de taxes, tout en privatisant les institutions publiques, ce que de nombreux Jordaniens considèrent comme une politique d’extraction et de pauvreté.
Un avis partagé par Labib Kamhawi, selon qui le plan de privatisation des institutions publiques a contribué à la destruction de l’économie jordanienne.
« La Jordanie est forte et inébranlable »
Pour Abla Abu Elba, secrétaire générale du Parti démocratique des peuples, parti de gauche jordanien, « la Jordanie n’a pas évolué vers une économie productive comme beaucoup l’espéraient et en conséquence, elle est liée à des emprunts contractés auprès d’institutions internationales telles que le FMI ».
« La Jordanie n’a pas évolué vers une économie productive comme beaucoup l’espéraient »
- Abla Abu Elba, Parti démocratique des peuples
« Cela a eu un impact considérable sur les moyens de subsistance de la population et l’économie, dans un pays qui doit taxer sa population et augmenter les prix afin de payer les intérêts sur ces emprunts », déclare-t-elle.
Elle ajoute que la Jordanie a surmonté le plus grand défi posé au règne du roi lorsque des révoltes ont balayé le monde arabe en 2011 et provoqué la chute de nombreux régimes. « La Jordanie a dû répondre aux appels populaires des manifestants en instaurant une réforme limitée. »
Le gouvernement jordanien reconnaît qu’il a des défis à relever, mais souligne qu’il les a surmontés par le passé.
Le Premier ministre Omar Razzaz a tweeté dimanche : « Nos défis étaient et sont grands, mais notre détermination est forte ».
La porte-parole du gouvernement, Jumana Ghneimat, a pour sa part tweeté : « La Jordanie est forte et inébranlable, avec un leadership sage et un peuple formidable. Cette dualité a créé des miracles et nous avons réussi à surmonter les défis et les difficultés. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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