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« J’ai le droit de demander où est son corps » : la fiancée de Khashoggi se bat pour que justice soit faite

Hatice Cengiz craint qu’un rapprochement entre la Turquie et l’Arabie saoudite se fasse au détriment de la justice dans le dossier Khashoggi
« Je n’ai pas cessé de me faire entendre parce que les relations d’État à État s’étaient détériorées et je ne vais pas me taire parce qu’elles se normalisent. Je me bats pour le droit, la justice » - Hatice Cengiz
« Je n’ai pas cessé de me faire entendre parce que les relations d’État à État s’étaient détériorées et je ne vais pas me taire parce qu’elles se normalisent. Je me bats pour le droit, la justice » - Hatice Cengiz
Par AFP à ISTANBUL, Turquie

Depuis trois ans, Hatice Cengiz, la fiancée du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, tué et démembré à Istanbul en octobre 2018, s’accroche à l’espoir de justice et appelle son pays, la Turquie, à ne pas renoncer au profit d’un rapprochement avec Riyad.

« La Turquie doit continuer d’insister pour que justice soit faite, même si les relations s’améliorent » avec l’Arabie saoudite, estime-t-elle dans un entretien à l’AFP, réalisé cette semaine après une énième audience au tribunal d’Istanbul en l’absence d’accusés.

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La fin macabre de l’éditorialiste saoudien tombé en disgrâce, en octobre 2018 dans les locaux du consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul, avait encore détérioré les relations déjà tendues entre les deux puissances régionales sunnites. 

Mais depuis quelques mois, en proie à de graves difficultés économiques, Ankara cherche le rapprochement et le président Recep Tayyip Erdoğan a annoncé début janvier une visite prochaine à Riyad, dont la date reste toutefois à fixer.

« Ce n’est dans l’intérêt de personne de rompre complètement », se résoud Hatice Cengiz, rendue aux contraintes de la realpolitik.

« Mais pour qu’une telle chose ne se reproduise plus, pour que cette affaire atteigne le meilleur règlement possible au plan moral et juridique, [la Turquie] ne doit pas renoncer », insiste-t-elle.

« Ce ne sont pas les émotions qui gouvernent »

Revenue vivre à Istanbul au début de la pandémie, après un séjour à Washington, la jeune femme attendait ce jour fatidique Khashoggi devant le consulat saoudien où il venait chercher les papiers nécessaires à leur mariage. Il n’est jamais réapparu et ses restes n’ont jamais été retrouvés.

Un rapport des services de renseignement américains a accusé le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, dit MBS, d’avoir « validé » l’assassinat perpétré par un commando dépêché spécialement en Turquie.

M. Erdoğan avait alors dénoncé un ordre « émanant des plus hautes sphères du gouvernement saoudien » - sans toutefois nommer MBS.

« Ce ne sont pas les émotions qui gouvernent [mais] l’intérêt mutuel », soupire Mme Cengiz à propos du rapprochement en cours entre les deux capitales. Mais « sur un plan émotionnel, ça m’attriste ».

« Non pas que mon pays fasse la paix avec l’Arabie saoudite et que ce dossier soit en train de se refermer. Mais que, peu importe à quel point nous nous sommes battus, désormais tout redevienne comme avant, comme si de rien n’était. Évidemment, je suis déçue ».

Un tribunal d’Istanbul a ouvert un procès par contumace contre  26 ressortissants saoudiens, dont deux proches du prince héritier. Mais en deux ans, il ne s’est rien passé.

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Mme Cengiz en rend responsable l’absence de coopération des Saoudiens, qui « ont préféré se tenir complètement à l’écart ».

L’Arabie saoudite a affirmé que sa propre procédure judiciaire, conduite à huis clos, était close et qu’il n’était pas nécessaire de procéder à de nouvelles arrestations. 

En 2020, un tribunal saoudien a prononcé des peines de sept à vingt ans de prison contre huit personnes accusées du meurtre. 

Mais une question continue de hanter Hatice Cengiz : « En tant que proche [de la victime], j’ai le droit de demander et je le réclame depuis le premier jour : où est son corps ? » 

« En tant que musulmane, avoir un lieu, poser une pierre tombale, même symbolique, ça me semble ce qui doit être fait. »

« C’est une situation déchirante »

Elle espère malgré tout que le dégel des relations avec Riyad n’empêchera pas de faire la lumière sur ce meurtre.

« La Turquie doit continuer de réclamer les informations » en ce sens, insiste-t-elle, refusant d’abandonner.

« Je n’ai pas cessé de me faire entendre parce que les relations d’État à État s’étaient détériorées et je ne vais pas me taire parce qu’elles se normalisent. Je me bats pour le droit, la justice ».

Bien que pessimiste elle veut garder espoir.

« C’est une situation déchirante. C’est la première fois dans l’histoire récente que l’humanité est témoin d’une telle chose », relève-t-elle. « C’est rageant qu’aucune conclusion ne se dessine après un meurtre aussi grave, mais je garde espoir. Je crois toujours que justice sera rendue ».

Par Fulya Ozerkan.

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