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Erdoğan : « Les assassins de Khashoggi ont servi les intérêts d’un État fantôme au sein du gouvernement saoudien »

Dans une tribune publiée par le Washington Post, le président turc fait le point sur le dossier de l’assassinat du journaliste opposant et promet que son pays poursuivra les investigations
« De nombreuses questions se posent sur les procédures judiciaires en Arabie saoudite », estime le président turc (AFP)
Par MEE

« Les quinze membres du groupe qui ont assassiné Khashoggi au sein du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul et qui ont découpé son corps en morceaux ne servaient pas leur État et leur peuple, mais plutôt les intérêts d’un État fantôme au sein du gouvernement du royaume ».

Cette affirmation est signée par le président turc Recep Tayyip Erdoğan dans une tribune publiée ce lundi par le Washington Post, à 48 heures du premier anniversaire du meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, chroniqueur au sein de ce même grand quotidien américain et à Middle East Eye

« Mon administration a fait une distinction claire entre les voyous qui ont assassiné Khashoggi, le roi Salmane et ses fidèles sujets »

- Recep Tayyip Erdoğan, le président turc

« Si nous avions cru le contraire, nous aurions pris cet incident comme un différend bilatéral. Mais nous considérons ce meurtre non comme un sujet politique mais judiciaire. Nous estimons que la justice devra être rendue seulement par les cours nationales et internationales », écrit encore Erdoğan, estimant que « la Turquie a toujours considéré, et continue de le faire, le royaume comme son ami et son allié ». 

« Un véritable ami dit des vérités amères »

« Mon administration a donc fait une distinction claire et évidente entre les voyous qui ont assassiné Khashoggi, le roi Salmane et ses fidèles sujets », appuie le président turc.   

Mais, nuance Erdoğan, « notre longue amitié n’implique cependant pas nécessairement le silence. Bien au contraire, comme dit le proverbe turc : ‘’Un véritable ami dit des vérités amères’’ ».

En août 2019, Middle East Eyerévélé que le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, ciblait la Turquie par un « plan stratégique » contre Erdoğan suite à l’attitude de ce dernier sur le dossier de l’assassinat de Khashoggi, le 2 octobre 2018 au sein du consulat saoudien d’Istanbul.

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Erdoğan explique dans sa tribune dans le Washington Post que les autorités de son pays ont « adopté une politique de transparence ». « Au cours de l’année écoulée, les services de renseignement, ainsi que des diplomates et des procureurs, ont coopéré étroitement avec leurs homologues et pris des mesures pour informer les publics nationaux et internationaux ».

« Un précédent très dangereux »

« Nous avons également coopéré avec l’enquête internationale menée par Agnès Callamard, rapporteur spécial des Nations unies. Enfin, nous avons demandé à l’Arabie saoudite d’extrader les meurtriers de Khashoggi vers la Turquie », poursuit le chef de l’État turc, tout en rappelant que l’assassinat du journaliste opposant saoudien est aussi « un abus flagrant de l’immunité diplomatique ». 

« Le fait que les meurtriers aient voyagé avec des passeports diplomatiques et transformé un bâtiment diplomatique en une scène de crime – et aient apparemment été aidés dans la tentative de dissimulation par le plus haut diplomate saoudien à Istanbul – a créé un précédent très dangereux. Peut-être plus dangereux encore est l’impunité dont certains tueurs semblent bénéficier dans le royaume », explique le président turc.   

« Ce n’est un secret pour personne que de nombreuses questions se posent sur les procédures judiciaires en Arabie saoudite », attaque encore Erdoğan.

Des « tentatives pour justifier ce manque de transparence »

Pour le chef de l’État turc, « le manque quasi total de transparence entourant le procès, l’accès interdit du public aux audiences et l’allégation selon laquelle certains meurtriers de Khashoggi jouissent d’une liberté de fait ne répondent pas aux attentes de la communauté internationale et ne font que ternir l’image de l'Arabie saoudite, ce que la Turquie, son ami et allié, ne souhaite pas ».

Erdoğan regrette qu’il y ait actuellement en Arabie saoudite des « tentatives pour justifier ce manque de transparence en avançant les nécessités de la sécurité de l’État ».  

« Où sont les restes de Khashoggi ? Qui a signé l’arrêt de mort du journaliste saoudien ? Qui a envoyé les quinze tueurs à bord des deux avions à destination d'Istanbul ? »

- Recep Tayyip Erdoğan

« La ligne de démarcation entre faire tout ce qui est en son pouvoir pour traduire les terroristes en justice et commettre un meurtre prémédité est très étroite », écrit-il.

Selon des informations de presse, la CIA estime que l'assassinat a probablement été commandité par le prince héritier lui-même.

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De son côté, l’experte de l’ONU, Agnès Callamard, a conclu en juin qu’il existait des preuves suffisantes pour ouvrir une enquête sur la responsabilité du prince héritier dans l’affaire Khashoggi.

Face à la caméra de la chaîne américaine CBS, le 29 septembre, Mohammed ben Salmane a déclaré : « Quand le crime est commis contre un ressortissant saoudien par des responsables travaillant pour le gouvernement saoudien, en tant que dirigeant je dois assumer ma responsabilité. C’était une erreur ».

Pour sa part, le président turc assure que son pays « s’engage à poursuivre ses efforts pour faire la lumière sur le meurtre de Khashoggi ».

« Nous continuerons à poser les mêmes questions que celles que j’avais posées dans une tribune dans ce même journal l’année dernière : où sont les restes de Khashoggi ? Qui a signé l’arrêt de mort du journaliste saoudien ? Qui a envoyé les quinze tueurs, y compris un expert légiste, à bord des deux avions à destination d’Istanbul ? », poursuit Erdoğan.

Et de conclure : « Il est dans notre intérêt et dans le meilleur intérêt de l’humanité de veiller à ce qu’un tel crime ne soit plus jamais commis. Combattre l’impunité est le moyen le plus simple d'atteindre cet objectif. Nous le devons à la famille de Jamal ».

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