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Laïcité à l’école en France : vingt ans après la loi de 2004, toujours des remous

Des études récentes montrent que les jeunes musulmans français portent un regard critique sur le principe de laïcité
Des élèves réagissent aux résultats des examens du baccalauréat au lycée Pasteur de Strasbourg, dans l’est de la France, le 4 juillet 2023 (Frédéric Florin/AFP)
Par AFP

Le 15 mars 2004, l’interdiction du port de signes religieux à l’école était inscrite dans la loi française : ce texte est venu clarifier la situation mais vingt ans plus tard, l’application du principe de laïcité à l’école continue à faire des remous.

Le sujet arrive sur le devant de la scène en 1989, avec l’affaire de Creil (région parisienne) : trois adolescentes sont exclues d’un collège pour port du voile, et l’opinion se déchire sur la question de la laïcité.

Après des années de tâtonnements, le président Jacques Chirac confie le dossier à une commission de sages à l’été 2003. Celle-ci préconise de légiférer : ce sera la loi interdisant « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse » (voiles, kippas, grosses croix, etc.).

Vingt ans plus tard, « d’un point de vue strictement quantitatif, la loi a atteint son objectif », estime Ismail Ferhat, spécialiste de la laïcité et enseignant à l’université de Nanterre (région parisienne). « Les atteintes à la laïcité liées au port de vêtements restent relativement limitées. »

Un constat partagé par des chefs d’établissements. Pour Kamel Aït Bouali, proviseur de la cité scolaire Paul Bert à Paris et responsable syndical, « il y a eu un avant et un après la loi de mars 2004 ».

« Les personnels de direction devaient presque quotidiennement régler des questions de port du voile », se souvient ce proviseur, en Seine-Saint-Denis (banlieue parisienne) à l’époque. « La loi de 2004 a clarifié la situation », et même s’il y a « quelques élèves qui retirent le voile à la limite de l’établissement comme une sorte de petite provocation, ça n’a rien de comparable ».

« Indispensable »

« À l’époque, la loi était absolument indispensable pour nous permettre de retrouver une certaine sérénité », acquiesce Florence Delannoy, proviseure du lycée Montebello à Lille (nord).

« Ça a été acquis », ajoute cette cheffe d’établissement. Et l’interdiction du port de l’abaya (longue robe traditionnelle couvrant le corps pour les femmes), décidée avant la rentrée 2023 par Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation, a été elle aussi « un vrai soulagement » face à des tentatives de contournement « qui commençaient à prendre une certaine ampleur ».

« Je me sens stigmatisée. Je ne comprends pas la laïcité. Ça existe seulement pour les ‘’voilées’’ »

- Hikma, lycéenne

La multiplication des abayas dans des établissements à partir du printemps 2022 a été « une tentative importante de bousculer la loi de 2004 », estime Iannis Roder, enseignant et directeur de l’observatoire de l’Éducation à la Fondation Jean-Jaurès. La décision de Gabriel Attal « y a mis fin ».

Mais, si elle est appliquée, la loi reste parfois mal comprise, et la laïcité à l’école régulièrement mise à l’épreuve.

Pour Gabriel Attal, désormais Premier ministre, la laïcité à l’école « est menacée », et ce « probablement aujourd’hui plus que jamais », avec notamment « une augmentation du nombre de signalements pour contestation d’enseignement ».

« Injuste »

Des difficultés mises en avant aussi par des études récentes, qui montrent que les jeunes musulmans français portent un regard critique sur le principe de laïcité.

Pour le chercheur Ismail Ferhat, « les enquêtes et sondages convergent pour dire » que les jeunes sont « parmi les plus hostiles, ou les moins favorables, à la loi de 2004 », avec un « refus beaucoup plus fort » chez « les jeunes des quartiers populaires, de lycées professionnels et de culture musulmane ».

Ce sont aussi ceux qui souvent ont connu « l’expérience la plus négative de l’école » : un phénomène « qui joue par ricochet sur la question de la laïcité » car « une partie de la communauté musulmane considère qu’elle est stigmatisée, visée en permanence », ajoute-t-il.

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« La loi, on l’accepte de force », témoigne Shahd, 17 ans, élève en première en Seine-Saint-Denis, qui trouve « injuste » d’enlever son voile quand elle voit « que certains ont des croix ». « Je me sens stigmatisée », renchérit Hikma à côté d’elle. « Je ne comprends pas la laïcité. Ça existe seulement pour les ‘’voilées’’ ».

« Ils mélangent tout : culture, religion, tout... », déclare Assia, 18 ans, lycéenne à Orléans (centre).

Dès l’origine, la loi « a été perçue par certains Français de confession musulmane comme une loi contre leur religion. Et pour ces personnes, on en est toujours là aujourd’hui », relève Samia Langar, référente laïcité à l’Université Lyon 2 (centre-est).

Par Sophie Laubie.

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