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« Les soldats israéliens se sont comportés comme des monstres » : des Palestiniens racontent le raid de l’hôpital al-Chifa à Gaza

Les survivants de l’assaut mené par les forces israéliennes aux abords de l’hôpital al-Chifa à Gaza témoignent des exécutions, des tortures et des sévices infligés aux civils palestiniens au cours de l’opération qui dure depuis plus d’une semaine
Un soldat israélien à bord d’un véhicule blindé de transport de troupes quittant la bande de Gaza, le 26 février 2024 (AFP)
Par Mohammed al-Hajjar et Osama Kahlout et Abubaker Abed à GAZA, Palestine occupée

Des survivants de l’attaque israélienne contre l’hôpital al-Chifa et ses environs dans la ville de Gaza racontent leur expérience à Middle East Eye, une semaine après le début du raid.

Les forces israéliennes ont lancé leurs attaques et leur siège de l’hôpital al-Chifa le lundi 18 mars. Ce complexe médical est le plus important de la bande de Gaza. Quelque 30 000 Palestiniens y avaient trouvé refuge avant ce raid.

Le bâtiment des services chirurgicaux a été détruit jeudi 21 mars, et de nombreuses personnes déplacées ont été contraintes de quitter le complexe médical. Quant aux civils vivant à proximité de l’hôpital, ils rapportent avoir été pris au piège des tirs israéliens pendant plusieurs jours.

L’organisation de défense des droits de l’homme Euro-Med Human Rights Monitor a déclaré samedi 23 mars avoir documenté « une série de crimes commis systématiquement par les forces israéliennes » dans la zone de l’hôpital au cours de la semaine précédente.

D’après Euro-Med, des exécutions extrajudiciaires, des coupures du réseau de communication et des bombardements intenses visant les maisons voisines du complexe médical sont autant d’exactions qui ont été perpétrées.

Adel AbdRabbouh, 29 ans, est un témoin direct de l’attaque israélienne contre l’hôpital la semaine dernière, alors qu’il s’y rendait pour rendre visite à ses cousins.

Lundi 18 mars, vers 11 heures du matin, il a vu des quadricoptères, des chars, des avions militaires et des véhicules de l’armée israélienne encercler l’hôpital.  

Il raconte que des « milliers de balles » ont été tirées sur l’hôpital, ce qui l’a contraint à rester sur place par crainte d’être abattu en fuyant le bâtiment.

« Les gens tombaient [...] comme des feuilles sous les balles israéliennes ; les patients restaient seuls, gémissant de douleur à l’intérieur ; les femmes appelaient leurs enfants, et les enfants criaient de panique. Voilà à quoi ressemblait la scène », décrit-il à Middle East Eye.

Adel AbdRabbouh explique qu’environ 500 soldats israéliens ont fait irruption dans l’hôpital, ordonnant à tout le monde de ne pas bouger.

Ils ont alors commencé à arrêter les personnes qui pouvaient marcher et dont les blessures ne mettaient pas leur vie en danger, poursuit-il.

« Après nous avoir assuré qu’ils ne nous feraient aucun mal, ils ont tué au moins 300 civils. Nous n’étions que des jouets entre leurs mains »

- Adel AbdRabbouh

« Après nous avoir assuré qu’ils ne nous feraient aucun mal, ils ont tué au moins 300 civils. Nous n’étions que des jouets entre leurs mains », raconte-t-il.

Bien qu’il ait subi de graves fractures et des brûlures à la jambe gauche dans l’attaque, Adel AbdRabbouh a fait partie des personnes arrêtées lors du raid.

Plus de 500 personnes, dont des femmes et des enfants, ont également été arrêtées, indique-t-il à MEE.

« Les hommes ont été déshabillés, battus, ont eu les yeux bandés et ont été menottés. Nous avons été rassemblés dans la cour et avons ensuite été soumis à un interrogatoire », explique-t-il.

Adel AbdRabbouh dit avoir subi trois interrogatoires par les soldats israéliens, de quinze minutes à chaque fois.

Les soldats lui ont demandé s’il avait rencontré des combattants palestiniens. Après 45 minutes d’interrogatoire par personne, ils ont été laissés nus à l’extérieur de l’hôpital et n’ont rien reçu pour rompre leur jeûne du Ramadan au moment de l’iftar, à l’exception d’une petite bouteille d’eau.

Ils sont restés ainsi jusqu’au lendemain matin, lorsqu’ils ont reçu l’ordre de marcher jusqu’à la rue al-Rasheed, près du café d’Istanbul. Le mercredi 20 mars au matin, ils ont été libérés et ont reçu l’ordre de fuir vers le sud.

« Malgré notre épuisement, nos blessures et notre déshydratation, nous avons dû marcher pendant sept heures jusqu’à Deir al-Balah. J’y suis arrivé en frôlant la mort », témoigne-t-il.

« Une faim extrême »

Le frère d’Adel AbdRabbouh, Abdul Rahman, était parmi les détenus qui ont fui vers le sud. Il évoque leur calvaire qui a duré deux jours, expliquant qu’ils ont souffert d’une « faim extrême » jusqu’à leur arrivée dans le sud.

« Si quelqu’un osait demander de l’eau, il se faisait tirer dans les jambes. Nous avons souffert d’une faim extrême pendant deux jours. »

Il témoigne avoir vu un garçon de 8 ans se faire tirer dans la jambe par un soldat israélien alors qu’il demandait à voir sa famille.

Il rapporte que les soldats israéliens les ont soumis à « des sévices, des passages à tabac et des traitements déshumanisants ».

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« Les soldats israéliens se sont comportés comme des monstres », dit-il.

« Je me considère chanceux d’avoir retrouvé mon frère et de m’être échappé avec lui vers le sud. Le fait de ne pas savoir si nous allions être exécutés ou épargnés a été le plus pénible de notre calvaire. Il me faudra de nombreuses années pour me remettre de cette expérience traumatisante », ajoute-t-il en retenant ses larmes.

Un autre survivant, Mohammed, qui n’a indiqué que son prénom, se trouvait à son domicile près de l’hôpital al-Chifa lorsque le raid a eu lieu aux premières heures du 18 mars.

Il raconte que lui et ses enfants dormaient lorsque l’attaque a éclaté.

« Nous avons tenté de quitter la maison, mais nous avons trouvé un char d’assaut juste devant notre porte et un bulldozer militaire était en train de raser la maison de notre voisin », déclare-t-il à MEE.

Ils étaient tous assis dans une pièce, sous le bruit assourdissant des tirs d’artillerie et des frappes aériennes. Le mur de l’une des pièces s’est ensuite effondré à cause des bombardements, ce qui les a obligés à se réfugier dans une autre pièce.

« Mes enfants étaient terrifiés et je ne savais pas quoi faire. J’ai rampé jusqu’à la cuisine pour leur apporter de la nourriture. J’ai réussi à trouver quelques miches de pain que nous avons partagées à neuf à la maison. J’essayais de rassurer mes enfants pour qu’ils se rendorment chaque fois qu’ils se réveillaient à cause des bombardements. »

Le matin, des soldats israéliens ont forcé la porte et pris d’assaut la maison.

« Ils nous ont déshabillés, mon frère et moi, nous laissant en sous-vêtements, et ont emmené ma femme et mes enfants à l’étage en dessous, après lui avoir enlevé son téléphone. Mes enfants suppliaient les soldats de me laisser partir avec eux, mais ils ont refusé. Ils ont poussé ma fille au sol et lui ont dit de rejoindre sa mère. »

« Nous avons compris qu’ils les avaient exécutés et nous sommes restés assis là, à attendre notre tour »

- Mohammed

Après le départ de sa femme et de ses enfants, Mohammed et son frère ont eu les yeux bandés, les poignets attachés par un lien de fermeture zip, et ont été laissés dans la rue par un temps froid. « Lorsque j’ai demandé un sac pour me couvrir, ils m’ont frappé. Ils ont continué à nous battre et à nous agresser verbalement. »

Les soldats ont ensuite emmené les deux frères avec d’autres hommes à l’hôpital al-Chifa. Mohammed dit n’avoir rien pu voir pendant tout ce temps, mais avoir pu entendre les soldats battre d’autres hommes.

« Ils ont emmené certains des hommes dans une autre pièce, puis nous avons entendu des coups de feu. Les soldats sont revenus de cette pièce sans les hommes qu’ils y avaient emmenés. »

« Nous avons compris qu’ils les avaient exécutés et nous sommes restés assis là, à attendre notre tour. »

« Nous sommes restés ainsi pendant deux jours. Sans eau, sans nourriture, ni couverture. Deux jours plus tard, ils ont scanné nos visages et nous ont finalement dit que nous pouvions partir. Nous avons marché entre les chars et les tirs pour nous mettre à l’abri. »

Bris de verre

Mohammed Mershed et son frère ont été arrêtés dans leur maison près de l’hôpital al-Chifa après le bombardement du complexe médical.

« Nous appelions à l’aide. Les soldats nous ont fait sortir de notre maison et nous ont menottés dans le dos. Ils nous ont forcés à nous allonger sur des bris de verre », a-t-il témoigné à MEE lundi à l’hôpital des martyrs d’al-Aqsa à Deir al-Balah.

« Nous y sommes restés durant trois jours dans le froid. Le premier jour, ma mère, mes sœurs et mes enfants sont restés avec nous. Puis ils les ont emmenés. »

Mohammed Mershed (à droite) s’adressant à MEE depuis le sud de Gaza, le 25 mars 2024 (MEE)
Mohammed Mershed (à droite) s’adressant à MEE depuis le sud de Gaza, le 25 mars 2024 (MEE)

« Ils ne nous ont pas demandé nos papiers d’identité et n’ont procédé à aucun interrogatoire lorsqu’ils nous ont arrêtés. Ils ne faisaient que se divertir. »

« J’ai assisté à des exécutions sur le terrain. C’était horrible, c’est trop douloureux pour s’en souvenir. »

L’armée israélienne a annoncé qu’elle avait tué et arrêté des dizaines de Palestiniens au cours du raid. Elle a affirmé que les personnes tuées étaient des combattants et que les personnes arrêtées étaient des membres présumés du Hamas. L’armée n’a toutefois fourni aucune preuve à l’appui de ces affirmations.

Selon le ministère palestinien de la Santé, l’hôpital al-Chifa et ses environs ont été la cible d’au moins quatre raids depuis le début de la guerre, le 7 octobre.

Israël a accusé à plusieurs reprises le Hamas de mener ses activités depuis les hôpitaux, ce que le groupe palestinien a toujours nié.

« La poursuite de l’agression israélienne contre l’hôpital al-Chifa est une tentative de dissimuler son incapacité à atteindre ses objectifs militaires », a déclaré le Hamas dans un communiqué la semaine dernière.

Le ministère de la Santé estime que l’assaut israélien sur Gaza a fait plus de 32 000 morts. Plus de 70 000 Palestiniens ont été blessés depuis le début des hostilités le 7 octobre.

Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.

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