Inondations en Libye : après la pluie, les habitants de Derna ont vu leur ville disparaître
Lorsqu’Ibrahim al-Dirnawi est allé se coucher dimanche soir, la pluie et le vent s’abattaient sur sa maison à Derna.
« Les pluies diluviennes se sont poursuivies pendant des heures jusqu’à ce que nous allions nous coucher, mais nous n’aurions jamais imaginé nous réveiller en découvrant que la ville avait complètement disparu », confie l’homme de 35 ans à Middle East Eye.
Lundi, deux barrages situés à l’extérieur de la ville ont cédé face aux pluies torrentielles et à la montée rapide des eaux. Derna s’est soudainement retrouvée engloutie : on estime que 25 % de la ville portuaire a été emportée dans la Méditerranée.
Selon les autorités, plus de 5 000 victimes sont à dénombrer et 10 000 personnes sont portées disparues. Les corps continuent de s’échouer sur le rivage.
Alors que l’aide internationale arrive au compte-gouttes, les autorités libyennes, divisées entre deux gouvernements concurrents à l’est et à l’ouest, sont totalement débordées.
Il a fallu de nombreuses heures pour que l’ampleur de la catastrophe soit connue.
Face au désastre, Ibrahim al-Dirnawi a pris la fuite – « pour faire entendre nos voix dans le monde afin d’être aidés et secourus. Il y a des milliers de corps dans les rues, sous les décombres et dans la mer. »
Ni électricité, ni vivres, ni eau
Ali al-Rabai, activiste de la société civile, a eu la chance de ne pas se trouver à Derna lorsque la tempête Daniel s’est abattue sur la ville.
Il reste toutefois en contact avec ses amis et ses proches dans la ville, qui cherchent désespérément un moyen de s’échapper.
« Nous ne pouvons pas atteindre Derna pour le moment, et il n’y a pas d’électricité, de réseau de communication, de vivres ou d’eau », explique-t-il à MEE.
« La mer est montée à un niveau sans précédent. »
Les barrages de Derna datent des années 1980. L’an dernier, des experts ont mis en garde contre un risque d’effondrement s’ils venaient à être submergés par des inondations.
Connue pour ses mastodontes de la culture libyenne et son esprit rebelle, cette ville a été l’une des premières à se soulever contre Mouammar Kadhafi en 2011.
Depuis lors, elle a été négligée par les autorités libyennes successives et même assiégée et assaillie par les forces de Khalifa Haftar, le commandant qui domine l’est de la Libye.
Les eaux de la tempête Daniel ont causé plus de ravages que les bombes ne l’auraient pu. Selon Ahmed Amdoudar, membre du conseil municipal de Derna, après l’effondrement des barrages, les eaux ont emporté quatre ponts principaux qui reliaient différentes parties de la ville.
Un autre pont important menant à la côte a également été détruit, précise-t-il. Plusieurs immeubles résidentiels, dont certains comptaient jusqu’à douze étages, ont été rayés de la carte.
Derna est désormais complètement isolée. Toutes les routes permettant d’y entrer et d’en sortir sont impraticables, ce qui complique considérablement l’acheminement de l’aide – et les évacuations.
Des infrastructures délabrées
Derna se trouve au pied d’une région vallonnée appelée Montagne Verte (Djebel Akhdar). Cette topographie en fait un endroit pittoresque, mais aussi mortellement dangereux, selon Mohamed Doma, ministre par intérim des Ressources en eau du gouvernement de l’est du pays.
Interrogé par MEE, le ministre explique que les eaux de pluie se sont accumulées dans la Montagne Verte et se sont déversées dans la vallée connue sous le nom de Wadi Derna, créant ainsi une forte pression sur les barrages.
Lorsque la tempête est passée par la ville de Benghazi à l’ouest, qui se trouve dans des plaines dégagées, le risque était loin d’être aussi élevé.
Mohamed Doma confirme que les barrages de Derna étaient vétustes et nécessitaient des travaux d’entretien.
« Ils n’ont pas été construits selon les normes et spécifications modernes, ce qui ne leur permettait pas de résister à des phénomènes naturels aussi inhabituels pour la région », souligne-t-il.
Compte tenu de la présence de deux gouvernements concurrents, de l’instabilité politique et de la guerre, l’entretien et la rénovation des infrastructures libyennes délabrées ont été quasiment inexistants, ajoute le ministre.
Derna n’a pas été la seule victime de cette catastrophe.
Soixante-dix kilomètres à l’ouest, sur le littoral, la ville de Susah a également été durement touchée par la tempête Daniel.
Selon son maire, Khaled Abrik, les habitants de la ville et de ses environs ont vu leurs infrastructures s’effondrer sous leurs yeux, y compris plusieurs routes et ponts.
Les réseaux de communication et électriques ont été complètement coupés dans la région.
Khaled Abrik indique à MEE que la route menant à l’entrée de Susah, longue d’environ 18 km, s’est complètement effondrée, tout comme quatre ponts.
Alors que la région de la Montagne Verte est selon lui délaissée depuis des décennies, des quartiers entiers ont aujourd’hui été rasés.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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