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Maroc : les relations sexuelles hors mariage, un sujet tabou qui promet de pimenter les législatives

De plus en plus de voix appellent à l’abrogation de l’article 490 du code pénal marocain, jugé « suranné et injuste »
Un couple regarde les vagues se briser à Rabat (AFP)

Le Maroc osera-t-il dépénaliser les relations sexuelles hors mariage ? Après l’adoption en Conseil de gouvernement du projet de loi légalisant l’usage thérapeutique du cannabis, tous les yeux sont rivés sur un autre tabou : l’article 490 du code pénal, qui punit les relations sexuelles entre adultes consentants hors mariage.

Relancé par les Hors-la-loi, un collectif fondé en 2019 par la romancière Leila Slimani et la réalisatrice Sonia Terrab à la suite de l’incarcération de la journaliste Hajar Raissouni pour « relations sexuelles hors mariage » et « avortement illégal », le débat a refait récemment surface après la condamnation à un mois de prison ferme d’une mère célibataire victime de revenge porn.

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Un verdict transformant la victime en coupable avait été perçu comme très injuste, d’autant que l’auteur de la vidéo, un Marocain vivant aux Pays-Bas, n’a jamais été inquiété.

« Mais que se passe-t-il dans la tête de ceux qui sont censés rendre la justice lorsqu’au lieu de la protéger [la Marocaine poursuivie], ils choisissent de la poursuivre et de la condamner elle, Hanaa [le prénom de la jeune femme], au visa de l’article 490 ? C’est dire à quel point cet article est insidieux. C’est une arme entre les mains d’une justice complètement désensibilisée aux questions des violences faites aux femmes, de la protection de la vie privée et des libertés individuelles », s’indignait le collectif dans un communiqué publié le 3 février.

« Il a détruit la vie de mes enfants. J’avais tout juste commencé à construire une vie pour eux et il a tout fait voler en éclats. Mon fils de 9 ans et demi m’a dit en pleurant au téléphone qu’il ne pouvait plus aller à l’école car ses camarades se moquent de lui et l’insultent », a témoigné Hanaa, émue, à une militante du groupe.

Plus de 15 000 condamnations en 2019

Comme Hanaa, 15 192 Marocains ont été condamnés en 2019 sur le fondement de l’article 490, selon le rapport annuel du ministère public. Un chiffre loin de refléter, évidemment, les relations sexuelles en dehors du mariage, du reste très courantes, mais dont la pénalisation pèse sur toute la société comme une épée de Damoclès.

« Évidemment, dans la réalité, personne n’ignore que les lois qui nous gouvernent sont bafouées tous les jours, toutes les heures, dans tous les milieux. Chacun le sait mais personne ne veut le voir et s’y confronter », écrit Leila Slimani dans son livre Sexe et mensonges, publié en 2017.

« La loi qui pénalise les relations sexuelles hors mariage n’est pas respectée, mais les autorités refusent absolument de l’admettre publiquement. Elles savent que des centaines d’avortements clandestins ont lieu chaque jour, mais la loi punissant l’IVG n’a été amendée qu’à la marge. Elles ne peuvent ignorer que les homosexuels vivent dans la peur et l’humiliation mais elles font comme si. Tous ceux qui détiennent l’autorité – gouvernants, parents, professeurs – tiennent le même discours : ‘’Faites ce que vous voulez, mais faites-le en cachette.’’ »

La journaliste Hajar Raissouni est accueillie par son petit ami à sa sortie de prison, le 16 octobre 2019 (AFP)
La journaliste Hajar Raissouni est accueillie par son petit ami à sa sortie de prison, le 16 octobre 2019 (AFP)

Pour espérer obtenir un amendement du code pénal, les pourfendeurs de l’article 490 frappent à toutes les portes. Y compris à celles des partis politiques, hermétiques pour la quasi-majorité à tout débat – par peur de froisser leur électorat pour les partis étiquetés progressistes, ou par simple conservatisme pour les autres.

Selon un sondage réalisé en 2020 par le quotidien L’Économiste et le cabinet Sunergia, seuls 9 % des Marocains sondés déclarent être favorables aux relations sexuelles hors des liens du mariage. Parmi les jeunes âgés de 18 à 24 ans, 80 % sont contre.

Un rejet qui ne semble pas toutefois dissuader le collectif, dont les membres ont décidé, à quelques mois des élections prévues en septembre, d’interpeller chaque parti en l’incitant à prendre position sur la question.

« Devant l’ampleur prise par la campagne #STOP490 que nous avons lancée le 3 février et à l’approche des élections législatives, nous sommes souvent interrogé.e.s par les nombreux jeunes qui nous suivent et nous soutiennent : quels sont les partis politiques qui sont favorables à l’abrogation de l’article 490 ? », indique un communiqué du 22 février.

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Sans surprise, les formations politiques n’ont pas réagi avec enthousiasme. Néanmoins, la démarche a eu ceci de bénéfique qu’elle a rappelé à certains partis leur référentiel progressiste.

C’est le cas, par exemple, de Mohamed Nabil Benabdallah, le secrétaire général du Parti du progrès et du socialisme (PPS, anciennement communiste).

« En attendant de recevoir matériellement le document concernant l’article 490 du code pénal et de vous affirmer la position du PPS à ce propos par ce moyen matériel direct, je vous confirme que le PPS est pour l’amendement de cet article et pour la dépénalisation des relations sexuelles extraconjugales. Il est donc clair que nous allons l’intégrer à notre programme électoral dans le cadre d’une vision globale concernant la question de la démocratie, de l’égalité et des libertés dans notre pays », écrivait-il aux Hors-la-loi le 26 février.

Avant d’apporter une nuance : « Nous estimons que cette question importante fait partie de toutes celles qui justifient aujourd’hui une profonde refonte du code pénal marocain, de manière globale et indivisible, pour édifier dans notre pays une société fondée sur les valeurs de la démocratie, de l’émancipation et de l’égalité entre les sexes, du respect des libertés individuelles et collectives, du progrès et de la justice sociale. »

Les contradictions du PJD

Farouchement opposé à la dépénalisation des relations sexuelles consenties entre adultes hors mariage, le Parti de la justice et du développement (PJD, islamistes), la première formation politique du pays qui dirige le gouvernement depuis 2011, n’a jamais bougé d’un iota de sa position.

« Je démissionnerai en cas de légalisation des rapports sexuels hors mariage », avait ainsi promis en 2015 Mustapha Ramid, alors ministre de la Justice, devenu en 2016 ministre d’État en charge des droits de l’homme.

Mais cette position n’est pas toujours conforme aux comportements de certaines figures du parti. En 2018, Omar Benhamad et Fatima Nejjar, deux vice-présidents du Mouvement unicité et réforme (MUR), l’aile idéologique et prédicatrice du PJD, avaient été surpris un matin, aux abords d’une plage près de Casablanca, « en flagrant délit d’adultère », ce qui leur avait valu une condamnation à deux mois de prison avec sursis.

En 2015, une relation extraconjugale entre deux ministres du PJD, Habib Choubani et Soumia Benkhaldoun, avait aussi été très médiatisée, provoquant leur départ lors d’un remaniement.

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En 2019, le président du MUR, Abderrahim Chikhi, a dû nuancer la position du parti lors d’une conférence « scientifique » sur le thème des libertés individuelles.

« La pensée islamique doit se libérer de plusieurs acquis. La doctrine, le droit et la sociologie doivent prendre en compte la réalité pour présenter une jurisprudence moderne », déclarait-il après l’arrestation de Hajar Raissouni, par ailleurs nièce de l’ancien chef du MUR Ahmed Raissouni.

Parmi les défenseurs de la dépénalisation des relations sexuelles extraconjugales, il y a aussi des « cheikhs » qui, s’appuyant sur leur maîtrise des textes religieux, défendent un islam moderne.

Ancien prédicateur radical ayant été condamné pour des activités liées au « terrorisme », le cheikh Mohamed Abdelouahab al-Rafiqi, plus connu sous le nom d’Abou Hafs, en fait partie.

En février, l’ex-salafiste apporte ainsi un soutien sans ambages au mouvement des Hors-la-loi : « Je pense qu’il est temps pour que toutes les orientations, qui semblent être presque toutes d’accord sur le fait que cet article est suranné et injuste, qui n’existe ni dans la religion ni dans aucune convention des droits de l’homme, unissent leurs voix pour plaider [pour son abrogation] », écrivait-il sur sa page Facebook.

« S’immiscer dans la vie privée des gens et dans leur intimité est contraire à l’islam, qui conditionne toute accusation du genre en la rendant impossible à démontrer. Le but étant de protéger les gens. Le prophète de l’islam a répondu à celui qui est venu dénoncer les relations sexuelles illicites d’une autre personne : ‘’Mais tu aurais dû le couvrir avec tes propres vêtements, cela aurait été meilleur pour toi ! [Hadith répertorié par l’imam Malik 5/1198] », argumente encore l’intellectuelle marocaine Asma Lamrabet.

« La loi du code pénal marocain 490 qui aujourd’hui criminalise les relations sexuelles hors mariage est en contradiction avec l’éthique musulmane et avec l’éthique tout court. Elle est inacceptable au sein du Maroc d’aujourd’hui », concluait Asma Lamrabet qui durant sept ans a dirigé le Centre des études féminines en islam, rattaché à la Rabita mohammadia des oulémas (ligue des théologiens marocains).

Reste à convaincre les politiques qui, à quelques mois des élections législatives mais aussi communales et régionales, devraient trouver le sujet moins « prioritaire ».

« Je sais que pour certaines personnes, les droits sexuels ou la liberté sexuelle sont quelque chose d’anecdotique. Dans un pays comme le Maroc, on pourrait considérer qu’il y a bien d’autres combats à mener, que l’éducation, la santé et la lutte contre la pauvreté passent avant les libertés individuelles », prévenait Leila Slimani dans son livre. « Mais les droits sexuels font partie des droits de l’homme. Ce ne sont pas des droits accessoires, des petits plus dont on pourrait se passer sans mal. »

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