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Maroc : pressions sur la fête de la bière

Quelque 300 invités sont attendus, près de Casablanca, pour célébrer l’Oktoberfest le 28 octobre, mais des voix conservatrices s’opposent à la tenue au Maroc du célèbre festival de la bière
Les opposants à l’organisation de cette fête ont lancé une pétition qui a recueillis beaucoup d’adhésion (AFP/Tobias Schwarz)
Les opposants à l’organisation de cette fête ont lancé une pétition qui a suscité une forte adhésion (AFP/Tobias Schwarz)
Par MEE

La Chambre allemande de commerce et d’industrie au Maroc a annoncé l’organisation, le 28 octobre prochain, de la première édition marocaine de l’Oktoberfest, ou fête de la bière, à Bouskoura, une ville située à une vingtaine de kilomètres de Casablanca.

« Vivez l’ambiance unique de l’Oktoberfest sous un chapiteau de plus de 300 places. Une ambiance festive et chaleureuse typique de l’Oktoberfest vous y attend. Assis à de grandes tables conviviales, dégustez des plats et boissons traditionnels de Bavière au rythme des fanfares de Munich », a indiqué l’organisme germanique d’après plusieurs médias marocains.

« Un acte ignoble »

L’Oktoberfest, connue chez les francophones comme la « fête de la bière », est annuellement organisée entre la mi-septembre et début octobre à Munich, en Allemagne. C’est une fête populaire où se mélange festin des plats traditionnels bavarois, concerts de musique et, surtout, consommation de bière à grande échelle.

Mais le houblon ne semble pas être au goût de tout le monde. Le 1er août, le Forum pour la consolidation de l’identité marocaine a lancé une pétition qui, ce lundi, avait reçu près de 23 000 signatures sur un objectif de 25 000.

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« Nous considérons cette initiative comme étant un acte ignoble qui choque les lois marocaines, la religion islamique et les traditions marocaines », lit-on dans cette pétition qui réclame l’interdiction de la fête de la bière au Maroc.

Les pétitionnaires ajoutent qu’il s’agit aussi, lors de cette fête, de « présenter des plats traditionnels allemands, dont beaucoup sont à base de viande de cochon ».

« Nous lançons cette pétition pour l’adresser aux autorités marocaines afin d’interdire ce festival qui contredit la sage diplomatie de pays qui doivent respecter les spécificités des États où sont actives leurs institutions », conclut la pétition.

Ce n’est pas la première fois que les amateurs de mousse sont confrontés à ce genre de risque d’interdiction d’une fête de la bière. En 2015, la société Brasseries du Maroc avait tenté d’en organiser une qui a finalement été interdite par la wilaya (préfecture) de Casablanca, pour des raisons « juridiques ».

« À la suite de la publication par certains médias d’annonces portant sur le projet de l’organisation, à Casablanca, d’un festival de la bière, les services de la wilaya du Grand Casablanca ont pris contact avec la société concernée pour l’arrêt immédiat de cette campagne publicitaire et le retrait de tous les spots et affiches publicitaires y afférents, et ce pour non-respect des règles et des procédures juridiques en vigueur dans ce domaine », annonçaient les autorités.

Vers la dépénalisation de la consommation d’alcool ?

Le Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste) a également fait savoir, au Parlement, son opposition à la tenue de cette manifestation.

Cette polémique intervient au moment où le débat est relancé sur la consommation d’alcool dans le royaume chérifien. Fin mai, le ministre de la Justice Abdellatif Ouahbi avait, lors d’un séminaire organisé par la Fondation Lafquih Tétouani, « dénoncé les contradictions existantes dans la pénalisation de certains délits comme la consommation de boissons alcoolisées », rapporte un média.

Le Maroc produit 40 millions de bouteilles de vin par an, dont la majeure partie est consommée à l’intérieur du pays

« Il est aberrant d’interdire au Marocain de boire de l’alcool tout en lui demandant de payer la taxe sur sa consommation », a déclaré le ministre.

D’après le site d’information Bladi, le Maroc s’acheminerait vers la dépénalisation de la consommation d’alcool à travers la réforme du Code de procédure pénale prévue en 2023.

L’arrêté du directeur général du cabinet royal datant de 1967, qui règlemente le commerce des boissons alcooliques et alcoolisées, stipule : « Il est interdit à tout exploitant d’un établissement soumis à licence de vendre ou d’offrir gratuitement des boissons alcooliques ou alcoolisées aux Marocains musulmans. »

Une disposition anachronique par rapport à la réalité et qui a été critiquée.

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En effet, le Maroc produit 40 millions de bouteilles de vin par an, dont la majeure partie est consommée à l’intérieur du pays. Environ 10 millions de touristes visitent le Maroc chaque année.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, en 2014, 9 % des Marocains et 3 % des Marocaines avaient admis consommer de l’alcool. C’est à peu près le même pourcentage qu’en Tunisie, mais près de la moitié de ce qui est observé dans l’Algérie voisine.

« Soyons sérieux, l’écrasante majorité des clients de ces commerces sont des Marocains, a priori musulmans, tout le monde le sait. Cette réglementation est complètement déconnectée de la réalité d’aujourd’hui, car si on entend l’appliquer de façon juste, il faudra fermer tous les bars, hôtels et restaurants du royaume », avait observé l’avocat Rachid Diouri du barreau de Casablanca sur les colonnes de L’Économiste.

Ce quotidien rappelle que « chaque année, la taxe intérieure de consommation (TIC) et la TVA sur les alcools rapportent des centaines de millions de dirhams aux caisses de l’État ».

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