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L’axe Paris-Rabat profite des échecs de la relation Paris-Alger

La France et le Maroc ont-ils tourné la page des crises provoquées par Pegasus, les restrictions de visas ou encore le Sahara occidental ? Plusieurs signaux semblent indiquer qu’une nouvelle dynamique est enclenchée
Aziz Akhannouch, chef du gouvernement, s'est entretenu le 13 octobre avec Bruno Le Maire, ministre français de l’Économie et des Finances (Twitter)
Aziz Akhannouch, chef du gouvernement, s'est entretenu le 13 octobre avec Bruno Le Maire, ministre français de l’Économie et des Finances (Twitter)
Par MEE

La relation bilatérale ne peut pas « être réduite à des statistiques ». « On a touché le cœur… Il faudra du temps pour effacer ces humiliations. » C’est par un discours inattendu que l’ambassadeur de France au Maroc, Christophe Lecourtier, a annoncé, lundi 13 novembre sur la radio marocaine Radio 2M, la fin des limitations sur les visas délivrés aux Marocains.

« Toute personne qui présente les conditions requises pour obtenir un visa obtiendra son visa », a-t-il insisté. « Par rapport à l’année 2022, le nombre de visas que nous accordons et accorderons cette année sera en augmentation de l’ordre de 80 %. »

Ces propos ont été perçus comme un signal de plus dans ce que les médias marocains décrivent depuis quelques semaines comme un « réchauffement des relations diplomatiques » entre Paris et Rabat.

Officiellement, tout va bien entre les deux capitales. Mais depuis l’affaire Pegasus – selon le consortium de journalistes créé par Forbidden Stories, le Maroc aurait espionné Emmanuel Macron et plusieurs de ses ministres avec le logiciel espion israélien –, un froid s’est installé.

Il s’est fait plus vif depuis qu’Emmanuel Macron s’efforce de se rapprocher de l’Algérie, qui a rompu en 2021 ses relations diplomatiques avec Rabat, accusé d’« actes hostiles » en raison principalement de la normalisation de ses relations avec Israël.

Le gel s’est durablement installé en septembre 2021, quand la France a décidé de durcir les conditions d’obtention de visas pour les ressortissants maghrébins en divisant par deux le nombre de visas accordés aux citoyens algériens et marocains et en réduisant d’un tiers ceux des Tunisiens. Une telle mesure visait à obliger les pays concernés à reprendre leurs ressortissants illégaux en France.

Ces restrictions avaient été dénoncées par les Marocains, au point qu’une campagne avait été lancée sur les réseaux sociaux pour réclamer la réciprocité, c’est-à-dire que des visas soient aussi exigés pour les visiteurs français.

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Des sujets de crispations, comme le Sahara occidental, contrôlé à près de 80 % par le Maroc, ont entretenu le froid malgré les tentatives des politiques français de rappeler combien le choix de l’Algérie au détriment du Maroc était coûteux.

Rabat reproche à la France de ne pas s’aligner sur les États-Unis et Israël, qui ont reconnu la « marocanité » du Sahara occidental, et de ne pas se prononcer en faveur de son plan d’autonomie.

En septembre, après le séisme meurtrier qui a touché le sud-ouest du Maroc, faisant plus de 2 900 morts, Rabat avait refusé l’aide d’urgence proposée par Paris.

Pour l’historien et professeur à l’université de la Sorbonne Pierre Vermeren, la décision du roi Mohammed VI de ne faire appel qu’aux secours de quatre pays a concrétisé « l’apogée de la crise marocaine », a-t-il commenté pour l’AFP.

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Et puis, alors que depuis janvier 2023, il n’y avait plus d’ambassadeur du Maroc en France, le roi a créé la surprise en nommant jeudi 19 octobre une nouvelle ambassadrice, l’ancienne journaliste Samira Sitaïl.

Cette nomination marque la « volonté d’accélérer un peu les choses et d’ouvrir une nouvelle page », affirme à l’AFP Zakaria Abouddahab, professeur de relations internationales à l’université Mohammed V de Rabat.

Deux semaines auparavant, un nouvel ambassadeur de France au Maroc avait présenté ses lettres de créance à Mohammed VI.

En octobre encore, en marge des assemblées annuelles du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, le ministre français de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a rencontré le Premier ministre marocain, Aziz Akhannouch. Les médias ont rapporté une conversation chaleureuse et des projets de partenariat, notamment dans le secteur des énergies renouvelables.

Pour Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et la Méditerranée à Genève, le difficile rapprochement entre Paris et Alger explique en grande partie l’actuel apaisement avec Rabat.

« La France ne peut pas se permettre d’avoir de mauvaises relations à la fois avec Alger et Rabat », résume-t-il à l’AFP. « Pour Paris, la valeur ajoutée de l’Algérie résidait dans la proximité de celle-ci avec les pays du Sahel et dans la coopération que pouvait offrir Alger [en matière de sécurité dans la région] ».

« Le président Emmanuel Macron s’est rendu à l’évidence qu’il avait emprunté le mauvais chemin en croyant, dur comme fer, qu’il pouvait réconcilier son pays avec l’Algérie, qui, elle, reste attachée au passé colonial et à ce qu’il est devenu usuel de nommer “la rente mémorielle” », écrit le chroniqueur Marouane Kabbaj dans le site d’informations Maroc Hebdo, sur la base d’informations confiées par l’écrivain marocain Taha Ben Jelloun.

Pour Zakaria Abouddahab, interrogé par l’AFP, le Maroc et la France « ont tiré les leçons » d’une situation qui ne profitait « à personne ». « Le couple Paris-Rabat est solide. »

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