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Maroc : Aziz Akhannouch, un milliardaire au service de Sa Majesté

Ministre de l’Agriculture et richissime homme d’affaires proche de Mohammed VI, Aziz Akhannouch vient d’être nommé chef du gouvernement. Clivant, l’homme suscite enthousiasme et crainte
Aziz Akhannouch été chargé le 10 septembre par le roi Mohammed VI de former un nouveau gouvernement (AFP/Fadel Senna)
Aziz Akhannouch été chargé le 10 septembre par le roi Mohammed VI de former un nouveau gouvernement (AFP/Fadel Senna)

Ses proches et ses sympathisants, sondés par Middle East Eye, le décrivent comme un « oueld en-nass » (fils de bonne famille), un « bosseur », un homme « affable » et « généreux ». Ses détracteurs le dépeignent sous les traits d’un homme politique « sans envergure », « ministre au bilan terne », qui « n’aime pas la critique », un « parachuté ».

Aziz Akhannouch est un homme clivant. Si clivant que beaucoup prédisaient la fin de sa carrière politique en 2018 lorsque les stations d’essence de sa société Afriquia, premier distributeur de carburants au Maroc, étaient au cœur d’un boycott sans précédent, un mouvement alors perçu comme un désaveu envers le chef du Rassemblement national des indépendants (RNI), un des hommes les plus fortunés du royaume.

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Mais ces prédictions se sont révélées infondées, comme en témoignent les résultats des élections législatives du 8 septembre, qui l’ont hissé à la première place et, par voie de conséquence, à la tête du gouvernement.

« Si Aziz », ainsi que l’appellent certains en signe de déférence, peut même se targuer, en remportant 102 sièges à la Chambre des représentants, d’avoir réalisé un score sans précédent dans l’histoire de ce parti fondé en 1978 par le beau-frère de Hassan II Ahmed Osman.

Et surtout d’avoir battu à plate couture les islamistes du Parti de la justice et du développement(PJD), qui s’est classé huitième avec 13 sièges contre 125 en 2011.

Chargé le 10 septembre par Mohammed VI de former un nouveau gouvernement, Aziz Akhannouch ne laisse personne indifférent.

Le technocrate partisan

« Tout le monde sait que c’est un technocrate déguisé. Le monde des affaires est son milieu naturel. D’ailleurs, personne ne s’attendait à son élection à la tête du parti en 2016 », témoigne auprès de MEE un ancien responsable du RNI.

Homme d’affaires prospère, inamovible ministre de l’Agriculture – poste qu’il occupait depuis 2007 –, Akhannouch a créé la surprise en se faisant élire à la tête du RNI fin octobre 2016 à la place de l’ancien ministre des Affaires étrangères Salaheddine Mezouar.  

« Tout le monde sait que c’est un technocrate déguisé. Le monde des affaires est son milieu naturel »

- Un ancien responsable du RNI

Une élection qui avait fait beaucoup jaser, l’homme ayant démissionné du parti en 2012 pour conserver son poste de ministre de l’Agriculture et de la Pêche maritime. Mais il avait alors balayé les critiques en affirmant qu’il n’avait fait que « geler son adhésion ».

« L’argument sur le gel de son adhésion n’avait convaincu personne mais on savait qu’il était venu accomplir une mission. En octobre 2016, le Parti authenticité et modernité [PAM, centre gauche] venait d’échouer dans son objectif d’empêcher les islamistes de diriger le gouvernement pour un deuxième mandat », poursuit notre interlocuteur, comme pour signifier qu’Aziz Akhannouch avait alors hérité de cette mission consistant à contrer la montée des islamistes.

À peine porté à la tête du parti à la colombe, qui n’avait réussi à gagner que 37 sièges aux législatives de 2016, le ministre de l’Agriculture entamait les tractations avec l’ancien secrétaire général du PJD Abdelilah Benkirane, qui venait d’être reconduit à la tête du gouvernement pour former une nouvelle coalition.

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Une phase durant laquelle Aziz Akhannouch s’est montré intraitable. Ainsi, face au PJD, qui entendait choisir ses alliés bien qu’il ne disposât pas de la majorité au Parlement, Aziz Akhannouch avait formé un bloc de trois partis autour du RNI. Un bras de fer qui avait conduit à un blocage de cinq mois et, en mars 2017, au limogeage d’Abdelilah Benkirane par Mohammed VI.

Conscient du pouvoir du patron du RNI, le successeur d’Abdelilah Benkirane, Saâdeddine el-Othmani, s’est plié en moins de deux semaines aux désidératas d’Akhannouch, faisant entrer son bloc au gouvernement au grand dam des islamistes.

« En imposant trois autres partis, il a complètement dilué le poids du PJD au sein du gouvernement. Comment diriger efficacement une coalition de six partis [PJD, PPS, RNI, MP, UC et USFP] que rien ne réunit ? », analyse un ancien ministre.

La machine électorale en marche

Reconduit à la tête du ministère de l’Agriculture et de la Pêche maritime, Aziz Akhannouch s’attelle dès 2017 à la transformation du RNI. À commencer par son image de « parti de l’administration ».

L’homme s’entoure d’une armada de communicants marocains et étrangers, dont le consultant britannique Richard Bailey, qui avait travaillé pour le cabinet du Premier ministre libyen entre 2013 et 2014 avant d’être recruté par le ministère du Commerce et du Tourisme kenyan et ensuite par la Commission mixte de suivi et d'évaluation (JMEC) au Soudan du Sud.

Il recrute également une équipe de jeunes sans lien apparent avec le parti pour épier les critiques sur les réseaux sociaux et façonner la réputation d’un chef à l’écoute des citoyens. En parallèle, Akhannouch crée des sections pour les jeunes, pour les femmes, des universités d’été, se rend dans une centaine de petites et grandes villes…

Les yeux fixés sur les élections, le président du RNI dépense sans compter pour opérer la transformation de l’appareil et en faire la machine électorale efficace qui vient de le porter à la tête de l’exécutif. Il faut dire aussi que l’argent, le président du RNI en a toujours eu.

Aziz Akhannouch lors d’un meeting à Rabat le 2 septembre 2021 (AFP/Fadel Senna)
Aziz Akhannouch lors d’un meeting à Rabat le 2 septembre 2021 (AFP/Fadel Senna)

C’est à Tafraout, une bourgade dans l’Anti-Atlas près d’Agadir, qu’Aziz Akhannouch voit le jour en 1961, un an après le tremblement de terre qui a frappé la ville du sud-ouest, tuant dix membres de sa famille, dont ses deux frères aînés âgés de 8 et 9 ans.

« Ma mère est restée pendant des heures avec ma sœur sous les décombres. Un an plus tard, je suis né », confiait-il, en 2019, à l’occasion d’une université d’été de la jeunesse du parti, une des très rares fois où le très réservé président du RNI s’est exprimé publiquement sur sa famille.

Son père Ahmed Oulhadj Akhannouch, qui avait soutenu les militants nationalistes dans leur lutte pour l’indépendance, lui légua un groupe prospère après sa mort en 1995.

Contrôlant près de 70 entreprises opérant dans l’énergie, le gaz, l’immobilier, le tourisme, les télécoms et la presse, le mastodonte réalise aujourd’hui un chiffre d’affaires de près de 2,8 milliards d’euros.

Un business tentaculaire qu’il ne cesse de faire fructifier avec sa femme Salwa el-Idrissi Akhannouch, propriétaire du groupe Aksal qui détient le Morocco Mall à Casablanca, un des plus grands centres commerciaux d’Afrique, et un autre actionnaire, Ali Wakrim.

Mariage entre politique et argent

Le très riche président du RNI incarne le mariage entre la politique et l’argent. Et certaines de ses dérives. Durant la campagne électorale, Abdellatif Ouahbi a accusé ouvertement, auprès de l’AFP, le parti d’Aziz Akhannouch « d’inonder la scène politique avec de l’argent ». La même accusation a été faite par le PJD, qui n’a pas nommé le RNI directement.

« La gravité des accusations portées contre le parti ne heurte pas seulement son image vis-à-vis des citoyens et la crédibilité des institutions nationales mais, encore plus grave, affecte aussi le citoyen dans sa dignité », a répondu le parti à la colombe le 3 septembre dans communiqué.

Quelques mois plus tôt, ses adversaires l’avaient accusé d’instrumentaliser la misère à des fins électorales en offrant aux citoyens des paniers alimentaires durant le mois de Ramadan à travers sa fondation Joud.

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Avec la presse, ses relations ne sont pas non plus toujours au beau fixe. À la tête d’un grand groupe de presse marocain, Caractères, qui compte plusieurs journaux féminins, un quotidien francophone généraliste ainsi que le célèbre hebdo La Vie économique, racheté à la fin des années 1990 à Jean-Louis Servan Schreiber, Akhannouch est aussi le propriétaire du journal parisien Le Courrier de l’Atlas, fondé en 2006 via son groupe Akwa.

Mais le patron de presse goûte peu à la critique. L’ancien directeur du quotidien arabophone Akhbar Al Yaoum Taoufik Bouachrine, qui purge depuis 2018 une peine de quinze ans de prison pour « viol » et « traite d’êtres humains », l’a appris à ses dépens.

En affirmant qu’Aziz Akhannouch et son collègue et camarade au RNI Mohamed Boussaid avaient transféré, à l’insu d’Abdelilah Benkirane, la tutelle d’un fonds sous la responsabilité du chef du gouvernement à celle du ministre de l’Agriculture, l’éditorialiste a été condamné en 2018 pour diffamation à 1,4 million de dirhams (130 000 euros). Akhannouch et Boussaid avaient réclamé 10 millions de dirhams (près de 950 000 euros) de dommages et intérêts.

« Quand un ministre estime avoir fait l’objet d’une diffamation, il peut bien entendu saisir la justice car personne n’est au-dessus de la loi mais réclamer dix millions de dirhams à un journal revient à réclamer son asphyxie », commente un patron de presse à MEE.

Proche de Mohammed VI

Nommé par le roi à la tête du gouvernement le 10 septembre, le successeur de Saâdeddine el-Othmani ne risque pas de créer des tensions avec le Palais. Connu pour sa proximité avec Mohammed VI et son conseiller Fouad Ali el-Himma, Aziz Akhannouch gravite autour du sérail depuis les années 1990.

À cette époque, le businessman était très proche de Driss Basri, alors très puissant vizir de Hassan II. « C’est sa zone d’ombre, ses adversaires disent qu’il en a profité et que c’est comme ça qu’il a fait grandir son groupe », témoignait en 2016 un chef d’entreprise dans un article du Monde coécrit par le journaliste Youssef Ait Akdim, devenu depuis conseiller d’Aziz Akhannouch.

Tombé en disgrâce après l’avènement de Mohammed VI, l’ancien ministre de l’Intérieur était devenu un boulet pour Akhannouch. « Il s’est agité pour revenir en grâce, notamment grâce à sa proximité avec Fouad el-Himma, et est aujourd’hui très bien en cour », poursuivait la même source.

Aziz Akhannouch peut se vanter d’être un des très rares hommes politiques à avoir reçu le roi, au moins à deux reprises, dans sa villa cossue à Casablanca

Tellement bien en cour qu’Aziz Akhannouch peut se vanter d’être un des très rares hommes politiques à avoir reçu le roi, au moins à deux reprises, dans sa villa cossue à Casablanca pour le f’tour (rupture du jeûne en dialecte marocain) du mois de Ramadan en 2013 et en juin 2016, soit quatre mois avant son élection à la tête du RNI.

Le monarque voit en lui un patriote « loyal et sincère », ainsi que le décrit une lettre royale adressée à Aziz Akhannouch après le décès de sa mère en 2008.

« Vos défunts parents ont consacré leur vie à vous inculquer les vertus de la morale et de l’éthique, du labeur et du dévouement au travail, du patriotisme loyal et sincère. Ils ont instillé en vous ces nobles valeurs, cimentées par un attachement indéfectible aux institutions sacrées de la nation, et par une loyauté sans faille, aussi sincère que pérenne, à l’égard du glorieux trône alaouite », indiquait le texte lu par un conseiller de Mohammed VI.

« Avec dévouement, abnégation et compétence, vous apportez votre contribution à l’édification de l’économie nationale, en digne successeur d’un pionnier de l’entreprise citoyenne, prompt, comme toujours, à servir au mieux les intérêts supérieurs de la nation », poursuivait le roi, cité par Aujourd’hui le Maroc, un quotidien appartenant au nouveau chef de l’exécutif.

La prochaine étape pour Aziz Akhannouch : former un gouvernement. « Nous sommes prêts à travailler avec confiance et responsabilité avec tous les partis qui partagent avec nous les mêmes principes et les mêmes visions sur le programme afin de relever tous nos défis sous la direction clairvoyante de Sa Majesté le roi », a-t-il déclaré le 9 septembre.

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