Déesses, prêtresses, reines : six figures féminines qui façonnèrent la Mésopotamie
Correspondant à une zone comprenant l’Irak actuel ainsi qu’une partie de la Syrie et de la Turquie, la Mésopotamie s’étendait en son cœur entre le Tigre et l’Euphrate.
Elle engloba différents peuples et empires tels que les Sumériens, les Akkadiens, les Babyloniens et les Assyriens, qui contrôlèrent la Mésopotamie pendant des millénaires et bâtirent et développèrent des cités glorieuses telles qu’Uruk, Ur, Lagash, Babylone, Assur, Ninive et Akkad.
La Mésopotamie, nom grec désignant le territoire qui abrita une civilisation riche et variée de la préhistoire à la chute de Babylone au VIe siècle av. J.-C., nous a légué un système mathématique élaboré, de solides notions d’astronomie, un alphabet, la roue, l’urbanisme sous forme de cités, l’irrigation et bien d’autres choses.
Outre ces inestimables contributions scientifiques, les Mésopotamiens contribuèrent au progrès artistique avec des techniques impliquant la céramique et l’argile, mais aussi en imaginant et en concevant des splendeurs architecturales, comme les palais de Ninive et de Babylone ou encore les impressionnants temples appelés ziggurat.
Des artefacts et objets richement décorés qui peuplaient les tombes royales, comme l’étendard d’Ur aujourd’hui conservé au British Museum à Londres, témoignent du savoir-faire et du luxe caractéristiques de cette civilisation.
Des sceaux-cylindres – des cylindres gravés utilisés pour imprimer des motifs sur de l’argile humide – ainsi que des tablettes d’argile, des statuettes et d’autres objets ont survécu et nous content aujourd’hui des mythes et des histoires, notamment de déesses et de figures féminines mésopotamiennes tombées pour la plupart dans l’oubli au fil du temps.
Inanna
Parmi les divinités féminines figure la déesse sumérienne Inanna, connue plus tard sous le nom d’Ishtar. Sargon, souverain d’Akkad (vers 2334-2279 av. J.-C.), popularisa son culte, en premier lieu à Uruk.
Il la nomma pour la première fois dans une inscription découverte à Nippur, une cité qui vénérait Enlil, une divinité masculine appartenant aux cosmogonies anciennes et associée aux tempêtes, au vent, à la terre et à l’air.
Cette interconnexion et ce positionnement privilégié dénotent une ascension qui permit à Inanna de gagner progressivement en importance dans le panthéon des divinités mésopotamiennes.
Déesse céleste, Inanna règne sur le ciel. Associée à la planète Vénus et souvent représentée sur le dos d’un lion, elle a pour symbole une étoile à huit branches et incarne les éléments doubles du pouvoir et de la fertilité, de la guerre et de l’amour.
Elle fait partie des figures qui délivrent la justice et apparaît dans plusieurs mythes et épopées, comme l’épopée akkadienne de Gilgamesh. Son culte est associé au pouvoir de changer les sexes et à la prostitution sacrée.
Dans l’un des plus anciens poèmes épiques que nous connaissons, la Descente d’Inanna aux Enfers, nous rencontrons Ereshkigal, déesse des enfers et « sœur » d’Inanna.
« Les femmes du Proche-Orient ancien avaient à peu près les mêmes droits juridiques que les hommes, bien qu’elles apparaissent beaucoup plus rarement dans les textes »
- Saana Svärd, professeure à l’Université d’Helsinki
Inanna « quitta le ciel, quitta la terre pour descendre dans le monde infernal », indique le poème qui s’étend sur environ 400 vers.
Le voyage d’Inanna dans le monde souterrain influença des mythes ultérieurs, comme le mythe grec de Perséphone, avec la transmission des notions personnalisées d’hiver et de printemps. Ishtar donna son nom à l’une des cinq portes de Babylone.
Parmi les autres divinités féminines figure Nisaba, déesse de l’écriture et de la comptabilité, dérivée d’une déesse antérieure des céréales.
Ouvrage précurseur de la professeure Zainab Bahrani, Women of Babylon (2001) a mis en évidence les rôles sexués et la représentation visuelle des femmes et ouvert la voie à un plus grand intérêt universitaire et institutionnel à leur égard.
Saana Svärd, professeure associée d’études du Proche-Orient ancien à l’Université d’Helsinki, s’intéresse à ce sujet depuis l’âge de 12 ans. Coéditrice de l’anthologie Women’s Writing of Ancient Mesopotamia (2017), elle explique à Middle East Eye que « les femmes du Proche-Orient ancien avaient à peu près les mêmes droits juridiques que les hommes, bien qu’elles apparaissent beaucoup plus rarement dans les textes. »
Si les rois mésopotamiens étaient toujours des hommes, les femmes pouvaient occuper des fonctions importantes à la cour et dans l’administration.
Enheduanna
Enheduanna, fille du roi Sargon d’Akkad, l’adorateur d’Inanna, vécut il y a plus de 4 000 ans. Poétesse, grande prêtresse d’Ur et femme politique, son existence nous est connue grâce aux fouilles de l’archéologue britannique Sir Leonard Woolley et à l’identification de son nom sur un artefact en 1927.
Un texte lyrique à la première personne, L’Exaltation d’Inanna, lui fut attribué, ainsi que les Hymnes de temple sumériens.
Sidney Babcock, conservateur de l’exposition pionnière « She Who Wrote » à la Morgan Library de New York, décrit Enheduanna comme « rien de moins que la première personne de l’histoire pouvant être identifiée en tant qu’auteur [non anonyme] ».
Enheduanna, qui assimilait le processus de création à un accouchement, est « la première personne à écrire à la première personne du singulier et introduit le concept d’autobiographie ».
« Elle évoque des préoccupations humaines qui sont intemporelles et qui sont en effet toujours d’actualité. Elle évoque ses sentiments d’insécurité, les abus sexuels, l’exil, la force destructrice de la nature », ajoute Sidney Babcock.
L’Exaltation d’Inanna a été enseigné dans les écoles de scribes pendant des siècles.
Ennigaldi
Fille du roi néo-babylonien Nabonide, Ennigaldi vécut à Babylone au VIe siècle av. J.-C..
Elle hérita de son père un intérêt pour l’archéologie et devint grande prêtresse de la divinité lunaire Sin, une fonction qui fut rétablie après une interruption de plusieurs siècles remontant à l’époque du roi Sargon d’Akkad.
Elle se mit à rassembler des artefacts provenant de son père, de souverains antérieurs et d’autres qu’elle mit au jour elle-même, une collection qu’elle plaça dans un musée en 530 av. J.-C..
Première conservatrice au monde, Ennigaldi disposa les objets et les étiqueta dans différentes langues afin de reconstituer un récit historique pour ses contemporains et les générations suivantes.
Puabi
L’une des tombes mésopotamiennes les mieux préservées jamais découvertes a été mise au jour à la fin des années 1920, en même temps que d’autres fouilles à Ur. Cette tombe somptueuse était à la hauteur du rang de la personne qui l’occupait, en l’occurrence une femme.
La reine Puabi (ou Pû-abi) régna sur l’ancienne cité d’Ur en son nom propre, ce que nous indique son sceau-cylindre, qui la désigne comme reine, ne fait référence à aucun mari et la représente en train de présider un banquet dans une position qui évoque la royauté.
À l’intérieur de la tombe se trouvaient des bijoux, des diadèmes ornés de pierres précieuses, des coiffes en or et des vêtements opulents, pour elle et les servants enterrés avec elle. Puabi vécut à l’apogée d’Ur, vers 2600 av. J.-C.. Si nous savons peu de choses de sa vie, le dispositif funéraire soigné confirme qu’elle occupait un rang important dans la société.
D’autres reines apparurent au cours de l’histoire de la Mésopotamie, comme la reine Shibtu, de la cité-État de Mari, qui s’acquittait habilement de ses responsabilités administratives au XVIIIe siècle av. J.-C..
Sa correspondance révèle ses inquiétudes, notamment quant au bien-être de son mari Zimri-Lim parti en guerre : en tant que vice-régente intérimaire, elle le tenait informé des affaires de la cité.
Kubaba vécut dans la cité sumérienne de Kish vers 2500 av. J.-C.. Ancienne tavernière, profession respectée à Sumer, elle aurait régné pendant un siècle et est la seule femme à être désignée comme reine à part entière plutôt que reine consort dans la Liste royale sumérienne.
Sammuramat
À la mort de son mari, la reine assyrienne Sammuramat régna à sa place jusqu’à ce que son fils Adad-Nirari III fût en âge de régner.
Elle parvint à stabiliser le royaume dans une période de troubles importants. Une stèle dans la cité d’Assur fit passer son nom à la postérité.
Son nom est associé au mythe d’une reine légendaire, Sémiramis, fondatrice de Babylone et de ses jardins suspendus, conté notamment par l’auteur grec du Ier siècle av. J.-C. Diodore de Sicile.
Diodore de Sicile la présentait comme une demi-déesse mortelle, fille d’une déesse-poisson.
Plusieurs siècles avant lui, l’historien grec Hérodote écrivit qu’une porte de la cité fut nommée d’après Sémiramis et que cette dernière consolidait les berges des rivières avec des digues pour empêcher les inondations.
Le philosophe français Voltaire lui consacra une pièce de théâtre en 1784 et un opéra italien en deux actes de Gioachino Rossini fut créé à Venise en 1823.
À l’époque, la tragédie et l’orientalisme avaient transformé Sémiramis en une reine de Babylone coupable du meurtre de son mari, que des manigances politiques et des intrigues attribuées à tort au personnage allaient mener à sa propre perte.
Naqia
Dans l’Empire néo-assyrien, la reine mère Naqia était la consort du roi Sennachérib et la mère de son successeur Assarhaddon.
L’avis de celle qui vécut au VIIe siècle av. J.-C. était entendu à la cour et elle était impliquée dans l’administration ainsi que dans les affaires religieuses.
À la mort de son fils, elle affirma également son autorité pour asseoir son petit-fils Assurbanipal sur le trône et publia un traité à la place du roi, jouant ainsi un rôle public manifeste dans la politique assyrienne.
Outre ces personnalités de haut rang, les autres femmes, y compris les esclaves, apportèrent elles aussi leur contribution à la société mésopotamienne par le travail, l’art et la transmission de traditions familiales – des voix que l’on commence seulement à entendre aujourd’hui alors que le sujet est étudié de plus près.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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