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À la rencontre de la Palestinienne qui documente le patrimoine architectural de Gaza

Haya Barzaq mène une course contre la montre pour archiver les différents styles architecturaux présents dans la bande côtière palestinienne, menacée par les raids à répétition d’Israël
Gaza est riche d’un patrimoine architectural remarquable, de l’ère byzantine au Bauhaus, en passant par l’influence mamelouke (illustration de MEE)
Gaza est riche d’un patrimoine architectural remarquable, de l’ère byzantine au Bauhaus, en passant par l’influence mamelouke (illustration de MEE)

Lorsque Haya Barzaq a commencé à prendre des photos des maisons et bâtiments remarquables de Gaza, elle le faisait juste parce qu’elle aimait leur apparence. Puis au fil du temps, elle a commencé à identifier des caractéristiques uniques et des motifs récurrents dans l’architecture gazaouie.

Certains bâtiments avaient des balcons arrondis et des espaces de vie extérieurs, que Haya Barzaq a ensuite identifiés comme remontant à la révolution architecturale moderniste du Bauhaus, laquelle a commencé en Allemagne au début du XXe siècle. D’autres ont été construits dans le style mamelouk classique.

« Je veux documenter tous ces bâtiments avant qu’il ne soit trop tard »

- Haya Barzaq, ingénieure

L’ingénieure palestinienne, qui a également étudié l’architecture à l’Université islamique de Gaza, est tombée amoureuse des bâtiments historiques de Gaza et a lancé une initiative qui lui a permis de documenter leur évolution à travers le temps ainsi que les périodes historiques auxquelles ils ont été construits.

L’une des plus grandes inspirations de ce désir de documenter et archiver rapidement ces bâtiments était la menace représentée par l’occupation israélienne. En mai 2021, l’offensive israélienne sur Gaza a par exemple entraîné la démolition d’un nombre important de bâtiments, notamment des ensembles résidentiels et des centres médicaux.

« Je veux documenter tous ces bâtiments avant qu’il ne soit trop tard », déclare-t-elle à Middle East Eye. « Mon but est de faire référence à la façon dont l’architecture de Gaza s’est développée à travers les époques politiques qu’elle a traversées au cours des 50 dernières années. »

Influence allemande

Au départ, c’était de manière sporadique que Haya Barzaq prenait des photos de bâtiments et les partageait sur son compte Instagram. Puis elle a rapidement décidé qu’il était important de documenter les bâtiments de façon plus stratégique.

Elle a commencé à contacter leurs propriétaires pour en savoir davantage sur leur histoire. Au cours de longues conversations, elle a découvert que certaines des maisons avaient été construites par des entrepreneurs qui avaient voyagé à Jaffa et Alexandrie, en Égypte. L’un des styles qu’elle rencontrait fréquemment était celui du Bauhaus, car de nombreux architectes étaient entrés en contact avec ce dernier lors de leurs voyages à l’étranger.

Le Bauhaus, qui signifie littéralement « maison de l’œuvre bâtie », est une école d’art allemande fondée en 1919 par l’architecte germano-américain Walter Gropius. On pense que de nombreux architectes juifs allemands ayant trouvé refuge en Palestine sous mandat britannique pour fuir le nazisme sont à l’origine de centaines de maisons Bauhaus en Palestine.

« La plupart de ces maisons sont situées dans les quartiers modernes de Gaza qui sont devenus résidentiels dans les années 1960 et 1970 », explique-t-elle.

Certains des bâtiments repérés par Haya autour de Gaza datent en revanche de la période byzantine, notamment l’église byzantine située dans le Nord de la bande côtière, qui date du Ve siècle.

Le site archéologique de Mukheitim, qui abrite les vestiges d’une église byzantine, à Jabalia, dans le Nord de la bande de Gaza (Reuters)
Le site archéologique de Mukheitim, qui abrite les vestiges d’une église byzantine, à Jabalia, dans le Nord de la bande de Gaza (Reuters)

L’église, récemment inaugurée par le ministère palestinien du Tourisme et des Antiquités, aurait été établie il y a environ 1 700 ans. Sur le site, les archéologues ont trouvé des tombes d’empereurs et de fidèles et examiné leurs ossements.

Selon les experts, l’église était stratégiquement proche d’un emplacement qui facilitait les anciennes routes commerciales reliant Gaza au Levant et permettait aux pèlerins chrétiens de se rendre facilement en Terre Sainte.

Le bâtiment comprend une église, une chapelle et un baptistère sur environ 800 mètres carrés de terrain. Et bien qu’elles aient plusieurs centaines d’année, les mosaïques recouvrant les sols sont encore visibles. Début 2022, le bâtiment a été rénové et a ouvert ses portes au public en tant que musée.

Au cœur de Gaza se trouve en outre le site de Saint Hilarion, également connu sous le nom de Tell Umm Amer, qui remonte au IVe siècle. Cet ancien monastère chrétien est l’un des plus grands de la région et a été découvert par des archéologues en 1999 alors qu’un tremblement de terre l’avait enseveli en 614.

Les ruines de Saint Hilarion, dont un ancien monastère chrétien, le 8 juin 2022 (AFP)
Les ruines de Saint Hilarion, dont un ancien monastère chrétien, le 8 juin 2022 (AFP)

Le site, situé à proximité de Deir al-Balah, est composé entre autres de deux églises, un cimetière, une chapelle, plusieurs sous-sols, des bains publics, une résidence de moines et une cour. Selon les Palestiniens, Israël a volé près de 60 % des antiquités du site, qui est classé par l’UNESCO dans le cadre de sa liste du patrimoine mondial.

Haya Barzaq a même documenté des exemples d’architecture datant de la période mamelouke, notamment le palais du Pacha (Qasr al-Basha), situé dans la vieille ville de Gaza. Ce bâtiment était un lieu clé pour les Mamelouks au XIIIe siècle et présente des exemples typiques de l’architecture de cette période, notamment des motifs géométriques, des dômes et des voûtes sur croisées d’ogives.

Des bâtiments historiques menacés

Après être entrée en contact avec les propriétaires des maisons qu’elle avait repérées, Haya Barzaq a obtenu l’accès à certaines d’entre elles, ce qui lui a permis d’explorer leur design intérieur.

« J’étais émerveillée par les détails de ces maisons ; beaucoup d’entre elles ont des sols peints, des rampes en fer forgées à la main et d’autres caractéristiques intéressantes. J’avais parfois l’impression d’être dans un musée plutôt qu’une maison », confie-t-elle.

Les archives de Haya Barzaq suscitent des éloges en ligne (MEE/photos fournies)
Les archives de Haya Barzaq suscitent des éloges en ligne (MEE/photos fournies)

Si Haya Barzaq se passionne pour l’architecture historique de Gaza, elle pense qu’il faut toutefois mettre aussi l’accent sur les bâtiments contemporains, qui ne sont pas moins importants que le patrimoine ancien selon elle.

Aujourd’hui, Gaza abrite principalement de grands immeubles résidentiels, qui poussent comme des champignons depuis vingt ans afin de répondre à l’importante croissance démographique de ce qui est souvent décrit comme l’une des enclaves les plus peuplées au monde. Les immeubles résidentiels comptent généralement une vingtaine d’étages, accueillant deux ou trois appartements chacun.

Différents styles et motifs architecturaux dans les maisons et bâtiments autour de Gaza (MEE/photos fournies)
Différents styles et motifs architecturaux dans les maisons et bâtiments autour de Gaza (MEE/photos fournies)

Haya Barzaq est particulièrement préoccupée par les menaces de démolition qui pèsent sur les maisons et bâtiments historiques de Gaza. De nombreuses résidences ont notamment été abandonnées lorsque leurs propriétaires ont été forcés de fuir lors de l’offensive israélienne de mai 2021.

Selon elle, beaucoup seront démolies ou remplacées par de nouveaux immeubles plus grands.

Elle espère de son côté pouvoir continuer à documenter ces maisons historiques en développant des archives. Elle a récemment participé à un atelier conçu pour informer la communauté locale au sujet de ces maisons et sensibiliser à l’architecture unique de la ville.

Certains de ces ateliers sont organisés par des centres culturels locaux, comme la fondation A. M. Qattan à Ramallah, une organisation à but non lucratif axée sur le soutien à la culture et l’éducation.

Les balcons arrondis de Gaza ont suscité l’intérêt de Haya Barzaq pour l’architecture de la ville (MEE/photo fournie)
Les balcons arrondis de Gaza ont suscité l’intérêt de Haya Barzaq pour l’architecture de la ville (MEE/photo fournie)

Le travail de Haya Barzaq a été salué en ligne, où de nombreuses personnes partagent des photos de ses efforts d’archivage et la remercient d’avoir mis en lumière l’héritage architectural de Gaza.

Alors que la croissance démographique dans l’enclave signifie que la majorité des nouveaux bâtiments sont de plus en plus grands et ont tous tendance à se ressembler, Haya Barzaq soutient que là n’est pas la vraie Gaza et qu’il existe de nombreux exemples d’architecture authentique et magnifique dans la bande côtière.

« Mon travail consiste à explorer ces beaux bâtiments et à les montrer au reste du monde », souligne-t-elle. « J’ai vu que les gens aimaient l’idée et voulaient en savoir plus sur l’architecture de Gaza, alors ça m’a vraiment encouragée à faire ce que je fais. »

Pour l’instant, elle concentre ses efforts sur ses prochaines archives et continue d’explorer de nouvelles zones de Gaza à la recherche des trésors architecturaux cachés de la bande côtière.

Traduit de l’anglais (original).

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