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Dans l’œil du cyclone, le journaliste palestinien Said Arikat banni de Twitter sans explication

Le correspondant d’Al-Quds à Washington évoque régulièrement les abus israéliens lors des points presse du département d’État américain
Said Arikat assiste aux points presse du département d’Etat américain depuis une vingtaine d’années (réseaux sociaux)

Lorsqu’Elon Musk a suspendu les comptes Twitter de plusieurs journalistes américains de premier plan au début du mois, l’ONU, l’Union européenne, les États-Unis et plusieurs gouvernements européens se sont prononcés sur la question et ont dénoncé une menace pour la liberté d’expression. 

Peut-être sans surprise, les réactions à la suspension permanente du journaliste palestinien chevronné Said Arikat ont été un peu plus discrètes.   

Porte-parole de l’ONU en Irak de 2005 à 2010, Said Arikat est un habitué des points presse du département d’État américain à Washington depuis près de vingt ans. 

En tant que chef du bureau de Washington d’Al-Quds, l’un des quotidiens palestiniens les plus lus, il ne cesse de mettre en lumière l’occupation israélienne et le calvaire des Palestiniens lors de ses interventions dans la capitale américaine.

« Twitter est une tribune importante pour les Palestiniens. Elle leur a donné un espace pour exprimer leurs griefs et montrer ce qui se passe » 

 Said Arikat

« J’essaie simplement de faire mon travail et de poser les questions pertinentes. Je n’invente jamais d’événements ou de faits et je ne suis jamais l’instigateur d’un récit particulier. Je ne fais que transmettre les questions qui doivent être posées et demander quelle est la position des États-Unis », explique-t-il à Middle East Eye par téléphone depuis son domicile à Washington. 

Pourtant, sa seule présence aux points presse du département d’État suscite une énorme consternation chez les Israéliens. Un article de l’auteur israélien Yisrael Medad paru dans le Jerusalem Post décrit comme un échec le fait que Said Arikat puisse interroger le porte-parole du département d’État Ned Price ainsi que l’absence de médias israéliens ou juifs américains aux points presse. Il affirme ainsi que du territoire a été cédé à un journaliste propalestinien.

En réalité, l’adresse d’Arikat a même été relayée dans le premier paragraphe de cet article – une infraction bien plus grave que le partage de l’emplacement du jet privé d’Elon Musk, raison pour laquelle le milliardaire a banni plusieurs journalistes de Twitter.

C’est pourtant Said Arikat qui a été définitivement suspendu de Twitter le 3 décembre. Il ne l’a appris qu’après que lorsqu’un ami l’a informé que son compte n’était plus visible sur le site.

« J’ai reçu un message de Twitter me disant que j’étais suspendu pour avoir enfreint les règles. Je ne sais pas de quelles règles ils parlent », souligne Said Arikat, qui pense que son compte a été piraté dans les semaines qui ont précédé sa suspension et que certains de ses abonnés ont reçu des spams. 

S’il pense que des « hackers pro-israéliens » sont à l’origine de cette attaque, il s’est empressé d’ajouter qu’il ne faisait que « spéculer ».

« Une tribune importante pour les Palestiniens »

Sous le nouveau régime chaotique d’Elon Musk sur Twitter, il est difficile d’obtenir des réponses pour Said Arikat, dont le compte vérifié comptait près de 100 000 abonnés. 

Les appels qu’il a adressés à Twitter sont restés sans réponse. Aucun tweet soupçonné d’avoir enfreint les règles n’a été mis en évidence et il ne sait toujours pas si sa suspension sera levée ou non. 

Middle East Eye a formulé une demande de commentaires auprès de Twitter mais n’avait reçu aucune réponse au moment de la publication de cet article.

« Malgré toutes les choses négatives que les gens peuvent dire sur Twitter, c’est une tribune importante pour les Palestiniens. Elle leur a donné un espace pour exprimer leurs griefs et montrer ce qui se passe », souligne Said Arikat. 

Said Arikat était l’une de ces voix, mais il est évidemment bien plus influent lorsqu’il passe au gril le département d’État.

« Je pense que ma suspension est directement liée à mes interrogations sur la question palestinienne ; il y a toujours eu une campagne visant à étouffer mon travail »

– Said Arikat

« Il arrive que mon confrère d’Associated Press soulève des questions sur la Palestine. Mais en général, si je ne suis pas là, les questions palestiniennes ne sont pas soulevées et les événements ne sont pas suivis », affirme-t-il. 

« Si je suis là et que je soulève des questions sur la Palestine, alors d’autres journalistes peuvent s’appuyer dessus pour poser des questions et obtenir des clarifications supplémentaires. »

Ce sont ces questions complémentaires qui ont incité le Jewish News Syndicate (JNS) à écrire ce mois-ci un article intitulé « Comment un journaliste palestinien calomnie Israël au Département d’État américain ».

Les questions soulevées par Said Arikat concernant la mort de Jana Majdi Zakarneh, une Palestinienne de 15 ans tuée le 12 décembre, ont été décrites par le JNS comme une intervention visant à « diffamer » Israël en employant un langage « contesté ». 

L’adolescente a été abattue de quatre balles par les forces israéliennes – deux balles dans la tête et deux dans la poitrine. Israël a évoqué des tirs accidentels. 

Ned Price a appelé à ce que « des responsabilités soient établies » pour la mort de Jana Majdi Zakarneh en réponse aux questions de Said Arikat sur les faits, ce qui constitue un reproche rare bien que tempéré vis-à-vis des agissements d’Israël ayant fait les gros titres de la presse. 

La JNS y voit en revanche un problème qui ne peut être résolu qu’en faisant en sorte que « [davantage de] journalistes de médias juifs participent aux points presse ».

« Une répression des voix palestiniennes » 

Aujourd’hui chassé de Twitter, Said Arikat déplore un revers majeur pour son travail. 

« C’est un moyen important, surtout pour les journalistes, de parler à d’autres journalistes pour faire passer certaines informations. Je l’utilise comme une source essentielle pour mon travail », explique-t-il. 

Alors qu’Elon Musk a été contraint de réintégrer les journalistes américains qu’il avait suspendus à la suite d’un tollé, Said Arikat constate qu’« il y a eu beaucoup de bruit » autour de ces suspensions mais que lui-même n’en a pas bénéficié.   

La censure dont j’ai été victime montre qu’aucun espace médiatique n’est ménagé pour la critique d’Israël
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« Je pense que ma suspension est directement liée à mes interrogations sur la question palestinienne ; il y a toujours eu une campagne visant à étouffer mon travail », affirme-t-il.

« Vous savez, la simple mention du mot “Palestine” est vue comme une provocation qui n’a pas lieu d’être. »

La semaine dernière, une démarche similaire a été entreprise par Facebook, qui a suspendu Al-Quds, le journal pour lequel Said Arikat travaille et qui compte environ 10 millions d’abonnés. Cette suspension a été perçue comme un nouvel effort présumé de censure du contenu palestinien. 

Le compte est aujourd’hui rétabli. Cependant, les militants propalestiniens sont depuis longtemps convaincus que les géants des réseaux sociaux comme Facebook restreignent ou bloquent les pages appartenant à des journalistes, des activistes et d’autres individus palestiniens sur leurs plateformes.

« Il ne fait aucun doute qu’il y a une intensification des efforts visant à réduire au silence les voix palestiniennes », avertit Said Arikat. 

« Il y a une campagne qui a vise à réprimer les voix palestiniennes par tous les moyens possibles. Par conséquent, même la mention la plus anodine de la lutte palestinienne ou la mention la plus anodine de l’agression israélienne peuvent être considérées comme problématiques. »

Le 11 mai dernier, une autre journaliste palestinienne chevronnée, Shireen Abu Akleh, qui travaillait depuis 25 ans pour Al Jazeera Arabic, a été abattue par les forces israéliennes alors qu’elle couvrait un raid dans la ville de Jénine, en Cisjordanie occupée.

« J’ai soulevé la question avec mes collègues afin d’établir des responsabilités pour ce type d’actes », explique Said Arikat.  

Aujourd’hui plus que jamais, prévient-il, il est nécessaire que les journalistes demandent des comptes au nouveau gouvernement israélien d’extrême droite. 

Quoi qu’en disent ses détracteurs, « le grand tabou est l’occupation israélienne », souligne-t-il.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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