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Rencontre avec la femme qui fusionne le traditionnel obi japonais avec le tatriz palestinien

La créatrice Maki Yamamoto s’est donné pour mission d’établir une relation spéciale entre les deux cultures
Maki Yamamoto et les femmes du camp de réfugiés d’al-Amari en Cisjordanie ont créé la ceinture (obi) de cette tenue qui représente la Palestine au « Imagine One World Kimono Project » (Palestinian Embroidery Obi Project)

Maki Yamamoto a passé les huit dernières années à tenter de changer l’image des Palestiniens dans son pays natal, le Japon.

Son arme de prédilection est le Palestinian Embroidery Obi Project, qui fusionne le traditionnel obi japonais, large bande de tissu qui cercle la taille pour maintenir le kimono, et la broderie palestinienne, appelée tatriz.

Ce projet est issu d’une collaboration entre la créatrice japonaise et des Palestiniennes qui vivent dans les camps de réfugiés en Cisjordanie occupée et dans la bande de Gaza, lesquelles brodent les obis à la main.

Si personne ne souhaite révéler le montant des rémunérations, Maki Yamamoto assure qu’« elles obtiennent le prix qu’elles demandent. C’est un échange parfaitement équitable. »

En ce qui concerne le processus de fabrication des tenues, « tout dépend du design », précise-t-elle.

« Il faut parfois jusqu’à cinq mois pour broder un obi totalement couvert de tatriz. Si le tatriz est petit, la broderie prend un mois environ. Une fois le tatriz terminé, le tissu est amené au Japon où un tailleur de kimono japonais achève le vêtement et crée l’obi. »

« Soutien au peuple palestinien »

Maki Yamamoto a mis le projet sur pied après avoir voyagé en Palestine en 2013 dans le cadre d’un échange culturel organisé par l’Autorité palestinienne.

« J’ai des amis palestiniens qui vivent au Japon et on se connaît depuis plus de quinze ans, alors je savais que les Palestiniens ont de beaux vêtements et de belles broderies.

« Mais c’est après ma première visite que j’ai décidé de soutenir le peuple palestinien. »

Maki Yamamoto examine la progression du tatriz d’un obi au bureau de The Society of Inash al-Usra à Ramallah (Palestinian Embroidery Obi Project)
Maki Yamamoto examine la progression du tatriz d’un obi au bureau de The Society of Inash al-Usra à Ramallah (Palestinian Embroidery Obi Project)

Yamamoto, qui est également pharmacologue, confie qu’on compatit énormément à la détresse des Palestiniens au Japon – du moins par rapport aux pays occidentaux.

Le gouvernement japonais soutient officiellement la solution à deux États le long des frontières de 1967, réclame une résolution « juste » au problème des réfugiés palestiniens et s’oppose à l’annexion unilatérale par Israël de Jérusalem-Est occupée. Selon Yamamoto, les médias japonais penchent également en faveur des Palestiniens.

Mohamed Shokeir, journaliste qui écrit pour The Arab, digest trimestriel sur les relations arabo-nippones, explique : « Shinzo Abe [l’ancien Premier ministre japonais] était généralement du côté des Palestiniens et non des Israéliens.

Les Palestiniens sont vus comme faibles et privés de leurs terres par un peuple plus puissant et mieux armé. Donc les Japonais sont plus ouverts et plus accueillants envers les Palestiniens. »

Maki Yamamoto (à droite) est la fondatrice du Palestinian Embroidery Obi Project et a réalisé plus de dix-sept voyages à Hébron et ailleurs dans les territoires occupés depuis 2013 (crédit : Kotaro Manabe)
Maki Yamamoto est la fondatrice du Palestinian Embroidery Obi Project et a réalisé plus de dix-sept voyages à Hébron et ailleurs dans les territoires occupés depuis 2013 (crédit : Kotaro Manabe)

Mais outre la sympathie que suscite la cause palestinienne au Japon, c’est la visite de Yamamoto dans les territoires occupés et son expérience de la « résilience » et de la « cordiale hospitalité » du peuple palestinien qui lui ont donné l’envie d’agir.

Son doctorat à l’Université d’agriculture et de technologie de Tokyo, qu’elle a commencé après sa visite en 2020, se concentre sur la broderie palestinienne et l’indépendance économique des agricultrices et réfugiées palestiniennes. 

Elle dit vouloir « mettre en lumière de façon positive » la Palestine et la population arabe en général.

« Il s’agit de droits de l’homme fondamentaux », estime-t-elle. « Les Palestiniens qui vivent dans certaines régions de Cisjordanie sont encerclés par les colonies israéliennes illégales, et il y a le blocus de Gaza. Ils ne peuvent travailler librement, ils ne peuvent vivre librement. 

« Le peuple palestinien, les réfugiés palestiniens, sont dans une situation difficile, mais cela ne se résume pas à cela. Les artisans qui font de la broderie dans les camps de réfugiés créent des choses magnifiques malgré les conditions de vie difficiles. Je voulais montrer au Japon la beauté et la résilience de la Palestine. »

Le tatriz en tant qu’identité

En 2014, Maki Yamamoto a commencé à collaborer avec une ONG palestinienne, The Society of Inash al-Usra (renaissance de la famille), pour identifier les brodeurs et artisans de Cisjordanie occupée afin de collaborer avec eux. 

Depuis, elle s’est rendue plus de dix-sept fois dans les territoires palestiniens occupés et travaille désormais avec les brodeurs palestiniens dans la bande de Gaza sous blocus.

Dawlat Abu Shaweesh est l’une des 30 femmes du camp de réfugiés d’al-Amari près de la ville d’al-Bireh qui, ayant appris cet art auprès de sa mère à l’âge de 10 ans, brode à la main des motifs à base de petites croix sur les obis.

Yamamoto avec Abu Shaweesh (deuxième à droite) et d’autres artisanes au camp de réfugiés d’al-Amari à Ramallah (Palestinian Embroidery Obi Project)
Yamamoto avec Abu Shaweesh (deuxième à droite) et d’autres artisanes au camp de réfugiés d’al-Amari à Ramallah (Palestinian Embroidery Obi Project)

« Il faut un œil acéré, et de la patience, c’est difficile à faire.

« Pour les Palestiniens, le tatriz est notre hawiyah, notre identité. C’est comme une photo d’identité contenant les informations personnelles de quelqu’un, voilà à quoi correspond le tatriz pour nous. »

« Savoir que notre tatriz sera emmené au Japon et, qu’ainsi, ils connaîtront notre histoire et notre culture, cela me rend vraiment heureuse »

– Dawlat Abu Shaweesh, brodeuse palestinienne

Ni Abu Shaweesh ni Yamamoto ne considèrent les obis à tatriz comme de l’appropriation culturelle, c’est plutôt une fusion des cultures. Le tatriz est réalisé de manière authentique par des Palestiniennes qui affirment être bien payées pour leur travail et qui sont fières de broder les vêtements traditionnels japonais avec les motifs de leur nation.

Aujourd’hui âgée de 52 ans, Dawlat Abu Shaweesh dit être heureuse de partager « sa culture et son histoire » palestinienne avec le Japon.

« Je ne connais rien de plus beau que le tatriz et savoir que notre tatriz sera emmené au Japon et, qu’ainsi, ils connaîtront notre histoire et notre culture, cela me rend vraiment heureuse. »

Une fois levées les restrictions de voyage imposées par la pandémie de coronavirus, Abu Shaweesh et d’autres Palestiniennes voyageront à Tokyo dans le cadre d’un programme d’échange culturel organisé par Yamamoto.

Association « naturelle »

Selon Maki Yamamoto, incorporer des influences non japonaises dans les designs des kimonos et des obis n’a absolument rien de nouveau. Elle explique que d’autres cultures ont laissé leur marque sur cette emblématique tenue japonaise, que c’est une longue tradition et qu’il est donc « naturel » d’incorporer le tatriz sur l’obi.

« Je connais bien la culture traditionnelle japonaise et l’origine du kimono, contrairement à beaucoup aujourd’hui qui se demandent comment certaines de mes idées me sont venues », poursuit-elle.

« Le kimono a été influencé par les pays voisins depuis l’ère de la route de la soie. La plupart des kimonos sont en soie et les techniques de tissage de la soie viennent de Chine. » 

Akimoto porte son obi orné de broderie palestinienne pour les sorties, notamment celle-ci au théâtre kabuki de Tokyo (crédit  Mariko Akimoto)
Mariko Akimoto porte son obi orné de broderie palestinienne pour les sorties, notamment celle-ci au théâtre kabuki de Tokyo (crédit  Mariko Akimoto)

« De nombreux motifs ou textiles venant des pays présents sur la route de la soie ont été utilisés pour les kimonos, comme le motif populaire de la “vague bleue” venant de Perse. »

Yamamoto indique que la broderie suzani ouzbek, le batik indonésien et les tissus imprimés africains ont tous été utilisés pour transformer le kimono et l’obi sans rencontrer d’objection de la part des porteurs de kimono. 

Mariko Akimoto est l’une de ces enthousiastes. Elle possède une collection d’une trentaine d’obis, certains unis et d’autres avec des motifs.

Cette ingénieure qui vit à Tokyo a reçu son premier kimono à l’âge de 3 ans à peine, et en raison de son amour pour cette tenue traditionnelle cultivé par sa mère, elle n’a pas tardé à en acheter et à en collectionner de son côté.

Autrefois, le kimono était porté au quotidien au Japon, mais ils sont aujourd’hui réservés aux grandes occasions. 

Mariko Akimoto possède une trentaine d’obis. Cette large ceinture orange ornée de broderies palestiniennes est sa première « obi à tatriz » (crédit  Mariko Akimoto)
Mariko Akimoto possède une trentaine d’obis. Cette large ceinture orange ornée de broderies palestiniennes est sa première « obi à tatriz » (crédit  Mariko Akimoto)

L’attrait pour les obis à tatriz de Yamamoto ne se limite pas au design, la façon dont ils sont faits attire également les éventuels acheteurs.

« J’essaye toujours de choisir de la mode “équitable” », indique Mariko Akimoto, ce qui signifie pour elle que l’origine des vêtements est connue et qu’ils sont réalisés de manière éthique.

Une recherche internet pour des kimonos équitables l’a conduite au Palestinian Embroidery Obi Project, où elle a découvert les obis à tatriz.

Elle a contacté Yamamoto pour en savoir plus à propos de l’initiative et a acheté le premier de ses deux obis à tatriz – une ceinture orange unie avec un motif en tatriz coloré sur le côté.

« Le design m’a plu, mais acheter un obi n’est pas une décision facile parce que ce n’est pas un prix anodin. 

« Mais après avoir appris que les Palestiniennes qui brodent les obis peuvent ainsi envoyer leurs enfants à l’université, j’ai été très impressionnée et j’ai décidé de l’acheter. »

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Le prix de base de ces obis ornés de tatriz et réalisés sur-mesure est d’environ 1 000 dollars (108 000 yens), un prix qui peut parfois doubler selon le motif.  

Un kimono de seconde main en coton avec un obi inclus peut coûter à peine 10 dollars (1 085 yens) et ceux de meilleure qualité – selon la longueur et la qualité du tissu – vont valoir jusqu’à 10 000 dollars (1 085 000 yens), et encore davantage pour les designs sur mesure.

« Je n’ai pas l’habitude d’expliquer ce que je porte aux autres car je n’aime pas que les gens pensent que je dis que mes vêtements sont plus spéciaux que les leurs », poursuit Akimoto. 

« Mais les obis ornés de tatriz sont assez uniques, alors lorsqu’on m’interroge à leur propos, j’ai l’opportunité d’expliquer comment ils ont été fabriqués, comment le fait d’en acheter un soutient les femmes en Palestine. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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